Philippe BénétonLa règle est donc la suivante : les opinions se valent sauf celles qui ne valent pas parce qu’elles offensent l’égalité par défaut. La conséquence est celle-ci : plus s’étend ce relativisme (sous tutelle) des opinions, plus s’étend le dogmatisme des opinions. Voici un exemple. L’opinant dit : ‘‘La culture doit désormais être comprise avec ouverture et tolérance. A chacun ses choix. La vieille distinction entre genre noble et genre mineur est dépassée et discriminatoire. La bande dessinée relève de la culture au même titre que la tragédie.’’ Son interlocuteur est un relativiste conséquent, il réplique : ‘‘ Votre point de vue est tout à fait légitime à une réserve près : le point de vue contraire est également légitime, au nom même des principes relativistes dont vous vous réclamez. Vous ne pouvez sans vous contredire affirmer que les choix se valent et que la distinction traditionnelle est périmée.’’ [Cet interlocuteur] a la logique pour lui, mais contre lui toute la force du principe contemporain d’égalité. La proposition qui relativise au nom de l’égalité échappe au relativisme, elle est posée comme un dogme : il est inconvenant de penser que la bande dessinée est un art mineur.
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La logique de l’opinion apparaît ainsi comme un mécanisme à double détente. D’un côté (versant relativiste), elle tend à neutraliser les distinctions intellectuelles et morales traditionnelles : telle conduite, c’est son affaire ; telle discipline, elle vaut les autres ; telles cultures, elles sont égales… Corrélativement (versant dogmatique), elle définit de nouvelles règles : quiconque parle autrement manque de tolérance ou manque à l’égalité. (p. 20-21.)