Comme, il me semble, la plupart des membres de ce forum, je me suis inscrit pour échanger, apprendre et progresser dans les disciplines philosophiques. Actuellement étudiant en licence de philosophie, j’ai pu constater que l’un des exercices les plus formateurs pour le débutant est l’explication de texte. Ce type d’exercice se prêterait facilement à des échanges sur un forum. Je vous propose donc d’initier une discussion dans ce sens, sous forme d’un exercice du type « atelier de lecture » qui pourrait être développé collectivement par l’ensemble des personnes intéressées.
L’objectif sera de lire et comprendre ensemble une œuvre et un auteur et de rendre compte progressivement de cette compréhension sur ce fil de discussion. Les spécialistes de l’auteur et de l’œuvre pourront intervenir afin de corriger les erreurs que nous ne manquerons pas de faire. La base de l’exercice est l’explication de texte, nous nous intéresserons donc uniquement à l’auteur et à sa pensée. L’objectif est de rendre compte, le plus clairement possible, de cette pensée et de la situer dans le corpus philosophique connu.
Pour cette première tentative, je vous propose de nous intéresser à une (très petite) partie de la Somme théologique de Thomas d'Aquin. Thomas d‘Aquin est un religieux d’origine italienne, de l’ordre des Dominicains, né en 1225 et mort le 7 mars 1274. Il rédige la Somme théologique entre 1266 et 1273 et veut en faire un manuel de théologie. Ses principales références philosophiques sont Albert le Grand, Aristote et saint Augustin. Les textes de Thomas d'Aquin sont disponibles ici
Compte tenu de la taille de l’œuvre, il n’est pas question ici d’en traiter la totalité. Je vous propose de nous intéresser aux questions qui concernent la loi (questions 90 – 99 de la « prima secundae »). Ces questions nous forceront probablement à mener quelques excursions dans le reste de l’œuvre, notamment vers certaines questions concernant les vertus (questions 55 à 67), les passions (questions 22 à 25) et l’habitus (questions 49 à 54) ainsi que vers des auteurs sur lesquels Thomas d’Aquin s’appuie : saint Augustin et Aristote par exemple.
Mais pour commencer, pourquoi s’intéresser ici à un manuel de théologie ? D’une part, par nature, la philosophie s’intéresse à un grand nombre de domaines : mathématiques, sciences de la nature, sciences humaines... D’autre part, toute pensée s’appuyant à un moment ou un autre sur des préjugés, s’appuyer sur une « vérité révélée » n’empêche pas nécessairement l’exercice philosophique. À ce propos, je citerais Thomas d’Aquin :(lien)
pour vous proposer ici de faire exactement l’inverse : nous intéresser à ce que Thomas d’Aquin a pensé et non à ce qu’est la vérité.
Enfin, d’un point de vue plus personnel, ce que je trouve très intéressant dans la lecture de cette œuvre, c’est le travail de construction logique d’un « monde imaginaire » qui s’y déroule (Exemple presque au hasard : Prima pars, question 50 – La nature des anges). Je n’ai lu qu’une toute petite partie de la Somme théologique à l’occasion d’un cours de licence qui traitait des toutes premières questions. Lors de cette première prise de contact avec le texte, j’ai immédiatement pensé à J.R.R. Tolkien (Amateur de fiction dans ma jeunesse, j’ai lu la quasi-totalité de l’œuvre de cet auteur). Il semble d’ailleurs que Tolkien était familier avec l’œuvre de Thomas d’Aquin, mais je n’ai rien lu de précis sur ce sujet. Les références dont je dispose pour démarrer cette lecture sont : mes notes de cours, Le vocabulaire de saint Thomas d’Aquin de Michel Nodé-Langlois et Lire saint Thomas d’Aquin de Thierry-Dominique Humbrecht. Parmi la bibliographie qui nous a été proposée, figure en bonne place Le thomisme d’Étienne Gilson, que je ne possède pas.
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Mais trêve de bavardages, je vous propose d’entamer la lecture. Du côté de la forme, Thomas d’Aquin frappe par la sobriété de son style et l’organisation de sa pensée. Chaque question est découpée en quatre parties : les objections qui représentent l’opinion contraire à Thomas d’Aquin ; en sens contraire qui présente la thèse de la doctrine ; le corps de l’article qui présente la position de Thomas d’Aquin ; les solutions qui réfutent les objections en se basant sur le corps de l’article. Ce type de découpage semble être typique de la scolastique de cette époque.
Sur le fond, nous pouvons nous interroger sur le fait qu’un théologien s’aventure sur le terrain de la philosophie. Pour Thomas d’Aquin (lien),
en effet :
il y a donc place pour la raison et la philosophie dans la théologie dans la mesure ou elle peut aider à mieux comprendre les volontés divines. Un danger guette cependant :
car cette constatation pourrait donner lieu à une interprétation hérétique si d’aventure la raison venait à contredire les Écritures. Mais Thomas d’Aquin présente immédiatement la solution à ce trouble potentiel :
Les Écritures sont la vérité, tout raisonnement allant en sens contraire de la foi chrétienne ne peut être valide. Nécessairement entaché d’erreur, ce raisonnement peut être écarté sans plus d’analyse. Sur cette base, le théologien peut recourir à la philosophie avec profit dans sa recherche de la vérité divine.
Venons-en maintenant aux textes qui nous intéressent ici : Thomas d’Aquin traite du sujet de la loi dans les questions 90 à 99 de la «Prima secundae». La question 90 traite de l’essence de la loi, la question 91 des diverses espèces de lois, la question 92 des effets de la loi et les questions 93 à 95 des trois formes de lois : éternelle, naturelle et humaine. Enfin, les questions 96 et 97 reviennent sur les lois humaines puis les questions 98 et 99 sur les lois anciennes (l’Ancien Testament).
La question 90, concernant L’essence de la loi, comporte quatre articles : L’article 1 indique que la loi est œuvre de raison ; l’article 2 qu’elle a le bien commun comme fin ; l’article 3 postule qu’elle doit être établie par le peuple ou une personne qui à la charge du peuple ; l’article 4 indique qu’elle obtient sa force par promulgation.
La question 91, concernant les diverses espèces de lois comporte six articles : L’article 1 postule l’existence d’une loi éternelle, issue de la raison divine ; l’article 2 en dérive l’existence d’une loi naturelle ; l’article 3 présente la nécessité d’ajouter des lois humaines en plus des lois naturelles ; l’article 4 démontre la nécessité de la loi divine ; l’article 5 indique que ces lois divines sont multiples ; l’article 6 présente le péché comme déviation de la loi de la raison, loi pénale infligée par Dieu pour destituer l’homme de sa dignité.
La question 92 concernant Les effets de la loi comporte deux articles : L’article 1 indique que l’effet de la loi est de rendre les hommes bons ; l’article 2 présente les quatre modalités d’action de la loi : commander, interdire, permettre et punir.
Pour commencer l’analyse, je propose d’identifier les concepts qui demandent à être analysés dans ces questions. Commençons par l’article 1 de la question 90 : Le concept d’habitus, présent dans la deuxième objection renvois aux questions 49 à 54 (à lire et analyser). Les concepts de puissance et d’acte renvoient à la Métaphysique d’Aristote (le bloc de marbre est une statue en puissance et le mouvement du sculpteur le transforme en une statue en acte). La distinction entre volonté et raison, présentée dans la troisième objection ainsi que le lien entre commandement et raison, présenté dans le sens inverse, renvoient à la question 9 (à lire et analyser). La raison, comme principe premier des actes humains, présentée dans la conclusion, renvoie à la question 1 (à lire et analyser). La notion de participation, présentée dans la première solution, m’évoque Platon mais il me semblait que Thomas d’Aquin n’avait pas eu accès à l’œuvre de Platon. Je me trompe peut-être…
Pour mon prochain message, je proposerai une analyse de ces différents concepts et de rédiger une explication de ce premier article de la question 90. Comme proposé en début de ce message, la discussion peut maintenant s’engager avec toutes les personnes intéressées par ce sujet sous forme d’une sorte d’atelier de lecture. N’hésitez donc pas à préciser et corriger ces premiers éléments ainsi qu’à proposer votre lecture de la partie de votre choix.
L’objectif sera de lire et comprendre ensemble une œuvre et un auteur et de rendre compte progressivement de cette compréhension sur ce fil de discussion. Les spécialistes de l’auteur et de l’œuvre pourront intervenir afin de corriger les erreurs que nous ne manquerons pas de faire. La base de l’exercice est l’explication de texte, nous nous intéresserons donc uniquement à l’auteur et à sa pensée. L’objectif est de rendre compte, le plus clairement possible, de cette pensée et de la situer dans le corpus philosophique connu.
Pour cette première tentative, je vous propose de nous intéresser à une (très petite) partie de la Somme théologique de Thomas d'Aquin. Thomas d‘Aquin est un religieux d’origine italienne, de l’ordre des Dominicains, né en 1225 et mort le 7 mars 1274. Il rédige la Somme théologique entre 1266 et 1273 et veut en faire un manuel de théologie. Ses principales références philosophiques sont Albert le Grand, Aristote et saint Augustin. Les textes de Thomas d'Aquin sont disponibles ici
Compte tenu de la taille de l’œuvre, il n’est pas question ici d’en traiter la totalité. Je vous propose de nous intéresser aux questions qui concernent la loi (questions 90 – 99 de la « prima secundae »). Ces questions nous forceront probablement à mener quelques excursions dans le reste de l’œuvre, notamment vers certaines questions concernant les vertus (questions 55 à 67), les passions (questions 22 à 25) et l’habitus (questions 49 à 54) ainsi que vers des auteurs sur lesquels Thomas d’Aquin s’appuie : saint Augustin et Aristote par exemple.
Mais pour commencer, pourquoi s’intéresser ici à un manuel de théologie ? D’une part, par nature, la philosophie s’intéresse à un grand nombre de domaines : mathématiques, sciences de la nature, sciences humaines... D’autre part, toute pensée s’appuyant à un moment ou un autre sur des préjugés, s’appuyer sur une « vérité révélée » n’empêche pas nécessairement l’exercice philosophique. À ce propos, je citerais Thomas d’Aquin :(lien)
Thomas d'Aquin - Commentaire du traité du ciel I.22.8 a écrit:…l’occupation de la philosophie n’est pas de savoir ce que les hommes ont pensé, mais quelle est la vérité.
pour vous proposer ici de faire exactement l’inverse : nous intéresser à ce que Thomas d’Aquin a pensé et non à ce qu’est la vérité.
Enfin, d’un point de vue plus personnel, ce que je trouve très intéressant dans la lecture de cette œuvre, c’est le travail de construction logique d’un « monde imaginaire » qui s’y déroule (Exemple presque au hasard : Prima pars, question 50 – La nature des anges). Je n’ai lu qu’une toute petite partie de la Somme théologique à l’occasion d’un cours de licence qui traitait des toutes premières questions. Lors de cette première prise de contact avec le texte, j’ai immédiatement pensé à J.R.R. Tolkien (Amateur de fiction dans ma jeunesse, j’ai lu la quasi-totalité de l’œuvre de cet auteur). Il semble d’ailleurs que Tolkien était familier avec l’œuvre de Thomas d’Aquin, mais je n’ai rien lu de précis sur ce sujet. Les références dont je dispose pour démarrer cette lecture sont : mes notes de cours, Le vocabulaire de saint Thomas d’Aquin de Michel Nodé-Langlois et Lire saint Thomas d’Aquin de Thierry-Dominique Humbrecht. Parmi la bibliographie qui nous a été proposée, figure en bonne place Le thomisme d’Étienne Gilson, que je ne possède pas.
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Mais trêve de bavardages, je vous propose d’entamer la lecture. Du côté de la forme, Thomas d’Aquin frappe par la sobriété de son style et l’organisation de sa pensée. Chaque question est découpée en quatre parties : les objections qui représentent l’opinion contraire à Thomas d’Aquin ; en sens contraire qui présente la thèse de la doctrine ; le corps de l’article qui présente la position de Thomas d’Aquin ; les solutions qui réfutent les objections en se basant sur le corps de l’article. Ce type de découpage semble être typique de la scolastique de cette époque.
Sur le fond, nous pouvons nous interroger sur le fait qu’un théologien s’aventure sur le terrain de la philosophie. Pour Thomas d’Aquin (lien),
Thomas d'Aquin - Somme contre les gentils, Introduction générale §7 a écrit:La vérité de la foi chrétienne ne contredit pas la vérité de la raison
en effet :
Thomas d'Aquin - Somme contre les gentils, Introduction générale §7 a écrit:Si la vérité de la foi chrétienne dépasse les capacités de la raison humaine, les principes innés naturellement à la raison ne peuvent contredire cependant cette vérité.
il y a donc place pour la raison et la philosophie dans la théologie dans la mesure ou elle peut aider à mieux comprendre les volontés divines. Un danger guette cependant :
Thomas d'Aquin - Somme contre les gentils, Introduction générale §7 a écrit:Les propriétés naturelles ne peuvent changer, tant que demeure la nature. Or des opinions contraires ne peuvent coexister dans le même sujet.
car cette constatation pourrait donner lieu à une interprétation hérétique si d’aventure la raison venait à contredire les Écritures. Mais Thomas d’Aquin présente immédiatement la solution à ce trouble potentiel :
Thomas d'Aquin - Somme contre les gentils, Introduction générale §7 a écrit:On en conclura nettement que quels que soient les arguments que l'on avance contre l'enseignement de la foi, ils ne procèdent pas droitement des premiers principes innés à la nature, et connus par soi. Ils n'ont donc pas valeur de démonstration; ils ne sont que des raisons probables ou sophistiques. Il y a place ainsi pour les réfuter.
Les Écritures sont la vérité, tout raisonnement allant en sens contraire de la foi chrétienne ne peut être valide. Nécessairement entaché d’erreur, ce raisonnement peut être écarté sans plus d’analyse. Sur cette base, le théologien peut recourir à la philosophie avec profit dans sa recherche de la vérité divine.
Venons-en maintenant aux textes qui nous intéressent ici : Thomas d’Aquin traite du sujet de la loi dans les questions 90 à 99 de la «Prima secundae». La question 90 traite de l’essence de la loi, la question 91 des diverses espèces de lois, la question 92 des effets de la loi et les questions 93 à 95 des trois formes de lois : éternelle, naturelle et humaine. Enfin, les questions 96 et 97 reviennent sur les lois humaines puis les questions 98 et 99 sur les lois anciennes (l’Ancien Testament).
La question 90, concernant L’essence de la loi, comporte quatre articles : L’article 1 indique que la loi est œuvre de raison ; l’article 2 qu’elle a le bien commun comme fin ; l’article 3 postule qu’elle doit être établie par le peuple ou une personne qui à la charge du peuple ; l’article 4 indique qu’elle obtient sa force par promulgation.
La question 91, concernant les diverses espèces de lois comporte six articles : L’article 1 postule l’existence d’une loi éternelle, issue de la raison divine ; l’article 2 en dérive l’existence d’une loi naturelle ; l’article 3 présente la nécessité d’ajouter des lois humaines en plus des lois naturelles ; l’article 4 démontre la nécessité de la loi divine ; l’article 5 indique que ces lois divines sont multiples ; l’article 6 présente le péché comme déviation de la loi de la raison, loi pénale infligée par Dieu pour destituer l’homme de sa dignité.
La question 92 concernant Les effets de la loi comporte deux articles : L’article 1 indique que l’effet de la loi est de rendre les hommes bons ; l’article 2 présente les quatre modalités d’action de la loi : commander, interdire, permettre et punir.
Pour commencer l’analyse, je propose d’identifier les concepts qui demandent à être analysés dans ces questions. Commençons par l’article 1 de la question 90 : Le concept d’habitus, présent dans la deuxième objection renvois aux questions 49 à 54 (à lire et analyser). Les concepts de puissance et d’acte renvoient à la Métaphysique d’Aristote (le bloc de marbre est une statue en puissance et le mouvement du sculpteur le transforme en une statue en acte). La distinction entre volonté et raison, présentée dans la troisième objection ainsi que le lien entre commandement et raison, présenté dans le sens inverse, renvoient à la question 9 (à lire et analyser). La raison, comme principe premier des actes humains, présentée dans la conclusion, renvoie à la question 1 (à lire et analyser). La notion de participation, présentée dans la première solution, m’évoque Platon mais il me semblait que Thomas d’Aquin n’avait pas eu accès à l’œuvre de Platon. Je me trompe peut-être…
Pour mon prochain message, je proposerai une analyse de ces différents concepts et de rédiger une explication de ce premier article de la question 90. Comme proposé en début de ce message, la discussion peut maintenant s’engager avec toutes les personnes intéressées par ce sujet sous forme d’une sorte d’atelier de lecture. N’hésitez donc pas à préciser et corriger ces premiers éléments ainsi qu’à proposer votre lecture de la partie de votre choix.