xavion a écrit: J'ai lu quelque part qu'il voulait en finir avec la philosophie, au pretexte que toutes les questions qui l'agitent depuis des siècles ne seraient que des malentendus engendrés par notre manière de parler. Au passage il semblerait qu'il veuille aussi en finir avec la psychologie et sa manie de prêter une intention aux sujets. Est-ce à ce genre de chose que vous faites allusion ?
Tout à fait. Chez le premier Wittgenstein, c'est une façon de considérer les différents usages du langage en termes d'expression : ce qui fait sens et ce qui n'en a pas. Il y a différentes manières de
dire dont certaines ne disent rien. Certaines ne peuvent rien dire sur l'essentiel. Le but de Wittgenstein, en mettant le curseur sur la clarté de l'expression et sur l'analyse de nos manières d'utiliser le langage, est de pratiquer une forme de thérapie visant à détruire les illusions
philosophiques véhiculées par un mauvais emploi du langage. Une fois que l'on s'est débarrassé d'un certain nombre de faux problèmes (dont la philosophie est remplie), j'ai l'impression qu'on peut alors vivre en renouant avec le monde alentour, mais de manière silencieuse (par exemple, la philosophie ne peut rien dire en matière d'éthique). Comme si la philosophie devait critiquer la philosophie pour s'évader de la prison mentale dans laquelle nous nous étions retrouvés. Mais cela suppose une position critique, de combat, contre les prétentions des philosophes, une volonté de clarté, de rigueur, de précision et de retenue (ne pas s'exprimer sur ce dont on ne peut rien dire - ce qui pour beaucoup ne va pas de soi, chacun se permettant, sans raison, d'y aller de son opinion sur, par exemple, l'existence ou l'inexistence de Dieu ; or cette question ne peut pas concerner la philosophie, "Dieu" n'est pas dans le monde, cela n'a pas de sens). Il y a quelque chose du Kant de la première Critique, mais en plus existentialiste.
Quant au second Wittgenstein (il y en a un troisième, paraît-il, mais je n'y suis pas encore), je crois comprendre qu'il nous invite à une façon de
voir autrement les choses, c'est-à-dire à repositionner le discours comme une pratique. Là encore, il s'agit des usages du langage, mais non plus au sein de celui-ci, mais en-dehors (si l'on peut dire cela ainsi) : au sens où il y a différents jeux de langage. Je crois que cela signifie qu'il y a des situations très variées où le langage a des usages différents, avec à chaque fois des règles nouvelles qui rendent le langage approprié ou non. Dans une situation, le langage pourra servir à montrer les choses, leur donner un nom. Dans un autre, il pourra servir à commander ou obéir (exprimer un ordre ou qu'on l'accepte ou non), etc. On ne pourra donc comprendre un discours qu'en le rapportant à la pratique, à la règle à laquelle il répond, à la forme de vie qui le soutient (on ne saurait comprendre un lion), etc. D'une certaine manière, le langage n'est pas hors du monde, indépendant, il relève de la société, d'usages sociaux. C'est quelque chose qui permettra à Bourdieu de penser des choses comme l'
habitus et l'
illusio. D'ailleurs, on "joue" selon des règles en se prenant au jeu : on ne sait pas qu'on joue, que les règles sont celles-là et qu'elles sont arbitraires. C'est pourquoi on s'illusionne et on se plie à certaines formes de domination.
C'est, en tout cas, ce que j'ai compris jusqu'ici et ce que vous me donnez l'occasion de formuler (en quelques minutes), ce qui me permet de me rendre cela intelligible. Quelqu'un de plus expérimenté viendra me corriger s'il le faut, ou bien compléter ce que je viens de dire.