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Autour d'une pensée de l'existence

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descriptionAutour d'une pensée de l'existence - Page 31 EmptyRe: Autour d'une pensée de l'existence

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Si le départ empirique d’Aristote, contrairement au départ idéaliste de Platon, ne l’a pas conduit à s’intéresser à la notion d’existence, la détacher de l’essence, ou même de la substance, et commencer à examiner cette notion en elle-même, pour elle-même (dans ce cas-là nous aurions un certain nombre d’existences ce qui n’est pas le cas) c’est que quelque chose continue à occulter la notion d’existence en tant que telle.


Qu’est-qui fait que même quand on se donne le bon point de départ on ne peut pas automatiser cette notion d’existence ? 
Aristote a besoin pour dégager la notion de substance de réalité individuelle, puisque c’est cela une substance au sens aristotélicien, c’est une réalité individuelle. Chacun d’entre nous en tant que personne singulière et donc réalité individuelle aux yeux de la logique aristotélicienne est une substance.



Si l’on entend la substance comme réalité individuelle, néanmoins on ne peut la saisir, c’est-à-dire la penser qu’en se référant à l’emploi de termes génériques, donc en la référant à des substances secondes qui disent et apportent des éléments qui appartiennent à ce que jusqu’à présent nous avons appelé l’essence.
 Au fond, dans l’essence de Socrate il y a bien évidemment l’homme, c’est-à-dire l’humanité de Socrate qui me fait le percevoir, le reconnaître et le penser comme un être humain avec les caractéristiques propres qui vont faire qu’il est Socrate et pas Diogène, c’est quelque chose qui nous raccroche à l’essence. 
En dépit des efforts d’Aristote pour essayer de descendre du siècle atomicien pour partir des réalités individuelles, pour ne reconnaître réellement existant que quelque chose qu’il appelle la substance, ça ne marche pas. Car quand on s’enfonce dans la logique aristotélicienne on comprend très vite que la substance n’a d’intelligibilité possible que par une référence permanente à ce qu’on appelait essence et qu’ici on appellera l’emploi des termes génériques pour assurer par les substances secondes.



Cela c’est la première difficulté : détour par l’essence, nécessaire, y compris chez Aristote. Ce détour par l’essence est nécessaire et là il n’y a pas de grandes différences avec Platon, c’est nécessaire en ce qui concerne une stabilité par rapport aux accidents eux-mêmes.
 De sorte que, deuxième mention d’Aristote mais qui sera aussi une difficulté : l’on attribue l’idée d’essence à l’idée de forme.



Qu’est-ce qui va conférer une essence à quelque chose et partant une réelle existence ?


Réponse : la Forme.


Cela va poser des problèmes religieux et éthiques. Suffit-il pour un bébé de naitre avec une forme humaine, et que nous identifions cette forme, pour le considérer comme un être humain ? Pour Aristote oui, puisque la forme est porteuse de l’essence. Quand on passera par les deux dogmes de la création et du péché originel cela suffira. 
Cette notion de forme est très lourde dans ses applications. Aristote ne peut pas se dispenser d’un détour par les formes, il a essayé de l’éviter, mais il n’y parvient pas. Il n’appellera pas l’essence comme cela, mais elle assumera le même rôle. 
L’essence pour Aristote c’est la forme, elle assure la même fonction.



Pourquoi la forme est-elle porteuse d’essence ?




La forme chez Aristote est ce qui va s’emparer d’une matière informe, par exemple un morceau de bois qui sera transformé en planche, puis en plateau d’une table… en n’importe quel objet en bois. Si l’on s’accroche à cette illustration, on comprend quelque chose de très abstrait. Puisque la forme vient informer la matière, au sens aristotélicien, donc la forme informe la matière.
 Aristote est le premier à instruire une théorie de l’information, au sens premier du terme. La forme est informe, est aveugle.
 Qu’est-ce qui va venir donner à cette matière brute, aveugle, informe, des caractéristiques qui feront que cette matière va devenir un être précis, distinct d’un autre : c’est la forme.
 Si l’on prend la notion de forme on voit que c’est grâce à elle et à son travail, son découpage de la matière, que l’on obtient un être qui existe véritablement. Car exister suppose une matière et une forme. On ne peut exister sans l’une et l’autre.




Quand on n’a que de la matière on n’a pas accès à la véritable existence, il lui manque l’essentiel, c’est-à-dire la forme. C’est la forme qui va jouer le rôle de l’essence, donner des déterminations spécifiques à un être, qui font que cet être est ce qu’il est et pas autre chose.
 

Aristote appelle cela informer.

Donc exister, c’est exister dans une matière au travers d’une forme qui va délimiter cette matière, lui donner ses caractéristiques propres.
 Une fois que la forme s’est emparée d’une matière, qu’elle l’a configurée, qu’elle lui a donné une existence propre, on aboutit à un être individuel et particulier, donc une substance.
Nous avons l’idée qu’une substance n’existe comme être particulier qu’en tant qu’elle met à notre disposition une matière travaillée par une forme, qui lui donne ce qu’avant nous appelions une essence.



L’existence apparait donc comme une réalité. On peut inverser les choses : la réalité nous met aux prises avec l’existence, on ne peut contourner cela.
 Pour Aristote l’existence est une réalité et non pas quelque chose qui est conféré à des idées dans un au-delà. L’existence se confond avec la réalité.



D’un autre côté la réalité nous met bien aux prises avec l’existence, et Aristote nous montre bien que l’existence est nécessairement indivisée. Mais malgré ces progrès et ses acquits, l’existence est évaluée comme l’aune de l’essence. Par ailleurs elle ne se conçoit que comme ce qui actualise l’essence.


Exemple :

Dans ce mode de penser, et là le dogme de la création va nous contraindre à penser des choses d’une façon tout à fait différente, dans cette logique de la métaphysique chacun et chacune d’entre nous a existé de toute éternité. Nous avons existé en puissance, mais non pas en acte, c’est-à-dire notre essence existe, elle a existé et à un certain moment par la voie de la génération il y a eu actualisation de la puissance. Nous sommes vraiment venus à l’existence. Il y eu  progrès, nous allons être obligés de tenir compte de la façon dont se donne à nous l’existence, c’est-à-dire au travers de réalités empiriques, hautement individualisables, qu’au fond Aristote va appeler des substances.


Mais cette avancée va être freinée parce que pour autant on ne sort pas de ce cadre général qui veut que l’on a besoin pour saisir ce qu’est l’existence, individuée ou individualisée, de passer par l’essence, donc par la forme. Et il faut rajouter maintenant cette troisième notion qui est la puissance. Troisième couple, acte et puissance.



L’idée est que l’on peut exister de deux façons : en puissance et en acte.

Nous avons trois couples :


Substance/Accident

Matière/forme

Puissance/Acte



L’existence est ce que l’on va trouver en recoupant ces trois actes.
Il y a un paradoxe chez Aristote, lequel paradoxe est à la fois de renverser la perspective platonicienne, de bien partir des réalités concrètes, individuelles… donc de nous laisser espérer qu’en fin de compte l’existence va commencer à « exister », que l’on va l’autonomiser. 


En définitive dans la mesure où Aristote la réfère à cette notion de substance, il rate cette opportunité. Notre notion d’existence est toujours inféodée à cette notion d’essence, même si ce n’est plus le terme qu’emploiera Aristote, mais plutôt celui de substance.

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Toute la philosophie médiévale, toute la scholastique et toute la théologie vont discuter de ces analyses que propose Aristote, et vont discuter par rapport au dogme de la création pour savoir.

1) savoir si on maintient ce primat de l’essence par rapport à l’existence, ce qui serait une façon d’assumer l’héritage païen qui est tout l’héritage philosophique pendant longtemps.

2) si cette  distinction entre essence et existence concerne tous les étants (être et exister), c’est-à-dire tous les êtres qui existent de la même façon, ou va-t-on la maintenir de la même façon pour les créatures, par exemple pour les créatures humaines que nous sommes, de l’autre côté pour le créateur, c’est-à-dire Dieu. (Ref. Constances philosophiques de l’Être. Gilson.  chap :  Yahvé et les grammairiens).

Nous héritons de savoir si nous allons pouvoir rendre compatible une métaphysique de l’essence, puisque de Platon à Aristote nous avons vu que quelques soient les moyens, les voies que l’on empruntait, nous étions conduits à reconnaître un primat, le caractère premier de l’essence, par rapport à quoi l’existence est dévalorisée, dévaluée pour Platon, et de toute façon elle est accidentalisée chez Aristote, elle n’est pas véritablement pensée.
Les théologiens se retrouvent avec ce problème de savoir comment peut-on sauver toute la logique d’Aristote, et c’est toute la philosophie qui est en cause, et comment rendre compatible ce cadre conceptuel de pensée avec la religion chrétienne et particulièrement le dogme de la création.
Il faut donc se demander :

Faut-il être créé pour exister ?

Dans les philosophies existentialistes chrétiennes, c’est bien la thématique dont nous héritons, c’est-à-dire toute la médiation sur l’existence transite par une médiation sur notre sort premier qui est celui d’être des créatures avant toute chose. Voilà ce qui nous spécifie, le reste est secondaire.

Faut-il être nécessairement créé pour exister ?

Il semblerait que oui, et nous voyons bien la conséquence logique qui s’en suit. Dieu n’étant pas créé, il n’existe pas. Peut-on alors reporter l’idée d’existence à Dieu ou au contraire l’essence de Dieu ne tolère pas la notion d’existence ?
La réponse à ces questions est longue à s’établir puisque ce sont des siècles de disputes et de querelles théologiques.
Gilson fait remarquer que les choses se passent mal dès le départ parce que les docteurs de l’église se reportent à la Bible, particulièrement à l’épisode de l’exode (exode 3, 14) et vont étayer leurs réflexions sur la fameuse réplique de Dieu faite à Moïse. C’est l’épisode du buisson ardent. Dieu s’adresse à Moïse en le sommant d’aller révéler qui il est à son peuple. Se nommant lui-même ou plus exactement essayant de manifester : là on ne sait pas ce qu’il faut dire, car c’est un problème de traduction : qui il est ou ce qu’il est, ce qui n’est pas exactement la même chose. C’est tout l’article de Gilson qui porte là-dessus. Nous sommes tous victimes de problèmes de traduction.

Gilson rappelle que l’on a coutume de traduire la phrase qui révèle l’identité de Dieu « je suis celui qui est ». Cette phrase est parfois traduite par « Je suis qui je suis ». Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : « Le seigneur Yahvé, Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous ».
Ce qui est extrêmement important c’est le « Je suis qui je suis ».
Or Gilson fait remarquer que depuis le premier usage que Novatien a fait de ce texte, usage relayé par St Augustin, St Thomas par la suite, s’est développée une conception dite essentialiste de Dieu, c’est-à-dire on a imposé dans l’usage la traduction qui est erronée et qui est la traduction « Je suis ce que je suis » ou « Je suis celui qui est », et même c’est plutôt la traduction « Je suis celui qui est » qui va peu à peu prévaloir. La Vulgate et la Septante adoptent cette traduction « Je suis celui qui est ».
Or « Je suis celui qui est » sur le plan strictement philosophique, d’abord grammatical cela signifie « Je suis l’Être », c’est-à-dire très exactement « Je suis celui dont l’essence enveloppe l’existence ».

Si l’on s’accroche comme l’usage l’a imposé à la traduction « Je suis ce que je suis » plus particulièrement « Je suis celui qui est », l’on va développer une conception essentialiste de Dieu, c’est-à-dire que l’on va traduire Dieu, en tout cas l’essence de Dieu, par l’Être, c’est-à-dire à la limite celui qui seul est, celui dont l’essence enveloppe l’existence.

Or rappelle Gilson l’hébreu ne dit pas cela : « Esomaï nos Esomaï » traduit littéralement « Je serai qui je serai ». Donc « je serai qui je serai » traduction littérale on passe à « je suis celui qui est ». Un infléchissement qui, d’après Gilson, va être responsable de toute une conception de Dieu qui va rebondir sur notre conception de l’existence par la suite.
Tout le problème est de savoir si, à l’intérieur de l’institution (3monothéistes) où il s’agit d’aller le plus simplement possible aux paroles essentielles de Dieu de façon à ne pas fourvoyer les fidèles, mais au contraire les rassembler, on ne vise pas  toujours plus ou moins un certain pragmatisme.
Ces analyses sont des analyses de gens qui s’intéressent aux textes. C’est vrai qu’entre celui qui va prier son Dieu et celui qui reprend le flambeau de ses pères, se lance dans la méditation et la relecture de la Tora en permanence, il y a un abîme. Entre la traduction ponctuelle qui est un travail de savant et ce qu’il en ressort et qui intéresse l’organisation du culte, forcément il y a des subtilités.
L’hébreu dit « Je serai qui je serai ». Ce qui est intéressant ici c’est que l’identité de Dieu n’est pas révélée ou plus exactement, c’est une problématique juive, mais elle va peser sur tout. Comme le fait remarquer Gilson cette identité de Dieu est masquée, elle n’est pas révélée directement à Moïse, au travers de la nomination.
Dieu se nomme mais se nomme en réservant son nom. Autrement dit le « Je serai ce que je serai » ne nous dit pas ce qu’il est, ne nous dit pas quelle est son essence, mais au fond dit que cette essence est incompréhensible à l’homme et surtout elle est masquée, cachée par le nom impossible innommable, imprononçable de Dieu.

Ceci est extrêmement important parce que cette idée que Dieu ne révèle pas son nom et que la non révélation de son propre nom est une façon pour lui de protéger son mystère, de sceller à tout jamais son essence, c’est ce qui nous intéresse ici, et qui va sacraliser totalement dans notre tradition le processus de nomination.
En fait dans l’inconscient collectif de tout le monde que l’on soit juif ou chrétien, ou musulman cela ne change pas grand-chose d’une certaine façon, nommer les êtres donc les gens, et d’un autre côté les choses, c’est vraiment les faire être.
Si nous n’arrivons pas à nommer, l’être n’est pas conféré à l’entité dont on parle, à la chose ou à la personne. C’est pour cela que la nomination, l’accès au nom est symboliquement fondamental. Le nom est notre véritable accès à l’être. C’est une sorte de deuxième naissance. Sur le plan ontologique, quand on sort de nos traditions religieuses, c’est quelque chose qui semble obscurément avoir été senti par des peuples extrêmement différents. Pour certaines peuplades la naissance biologique n’est rien. Tant que l’enfant n’a pas reçu son nom propre, il n’existe pas.

Gilson parle d’un infléchissement de la pensée qui va permettre à son sens de faire entrer une vérité révélée, puisque Dieu se révèle à Moïse, à l’intérieur des cadres de la métaphysique ancienne, et à partir de là il va parler de la métaphysique de l’exode, entendant que, à partir de ce moment-là les pères de l’église qui sont tous nourris philosophiquement parlant de la pensée grecque, « ont été conduits à décrire la nature de Dieu en lui attribuant les propriétés principales de l’Être philosophique ». C’est le tournant éminemment  important.
D’un côté il y a cette vérité irréductible à quoi que ce soit. Dieu se manifeste en cachant son identité à Moïse, vérité indirecte qui est de l’ordre de la révélation, et les théologiens vont récupérer cette vérité et la repenser au travers des catégories métaphysiques traditionnelles. De sorte que l’on assiste à la confusion, l’assimilation de l’essence de Dieu, ce qu’est Dieu avec ce qu’est l’Être telle que précisément l’ontologie aristotélicienne nous la définie.

Assimilation des deux systèmes de pensée, avec de temps en temps des problèmes. Tout ne rentre pas sans créer quelque crise, mais d’une façon générale on est toujours surpris de voir que les définitions de l’essence de Dieu, de la nature de Dieu sont celles que l’on retrouve, avec quelques mots latins en plus, dans l’ontologie aristotélicienne. Pris pour preuve le travail de St Thomas.
Il faut reprendre ce que nous lègue l’exode : l’Être constitue l’essence même de Dieu. Mais on peut considérer que l’être est le nom de Dieu, en se souvenant que ce nom de Dieu est par ailleurs impossible. Ce qui revient à dire qu’il y a quelque chose dans l’Être qui est impossible. Peut-être que toutes les philosophies existentialistes partiront à la recherche de cet impossible qui nous est légué par la tradition théologico-religieuse, et qu’ensuite cela sortira des cadres religieux. Mais c’est la chose qui nous poursuit.
La question forcément que l’on est obligé de se poser maintenant c’est :

Qu’est-ce qu’être pour Dieu ? (Thomas d’Aquin-Dietrich de Freiberg- Alain de Libera- Cyril Michon- Vocabulaire médiévale de l’ontologie -Ed : Seuil).

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Qu’est-ce qu’être pour Dieu ?

On se demandait au fond si on allait entendre de la même façon ce terme pour les créatures et le créateur. Va-t-on séparer essence et existence ? Est-ce que Être signifie la même chose selon que l’on vise Dieu et selon que l’on vise les créatures. Donc la question qu’est-ce qu’être pour Dieu peut déjà recevoir une réponse négative. Être ne doit pas se confondre comme une pure essence de type platonicien.
 
Être ne signifie pas seulement être une idée, une pure essence de type platonicien. Aristote le dit, Dieu, donc le premier moteur, est un acte. Les théologiens reprennent cette idée. La puissance et l’acte sont des catégories importantes pour la théologie et pour l’existentialisme par la suite. Il faut donc comprendre par être, pour Dieu être en acte, être intellectuellement. Ceci exclut l’idée que Dieu ne soit réduit qu’à une simple idée, à un être purement intelligible.

Mais problème, si nous disons Dieu existe en acte, son être implique qu’il est actuellement, c’est-à-dire qu’il est en acte et pas seulement en puissance, que devient alors l’essence ? Et nous retombons sur notre première question qu’il nous faut traiter : doit-on séparer essence et existence en Dieu comme nous serons constamment contraints de le faire pour la créature ?
Or, il faut comprendre que le dogme de la création et les dogmes ne se discutent pas, sinon on devient hérétique. Le dogme de la création implique que l’existence se surajoute toujours de l’extérieur à l’essence. Quand nous prononçons le mot création, c’est comme une équation, sur le plan de la philosophie nous avons, égal, existence qui vient se rajouter de l’extérieur à l’essence.

On retombe sur la conception aristotélicienne, l’existence est de l’ordre d’un accident. Cela signifie qu’elle ne modifie en rien l’essence, elle ne fait qu’actualiser un être, c’est-à-dire on appelle existence le passage de la puissance à l’acte.

Il faut nous rendre à l’évidence une essence ne contient pas en elle-même l’existence. On voit ici le problème : dire que Dieu existe est, d’une certaine façon, compris par certains théologiens comme un propos totalement hérétique, coupable d’hérésie. C’est précisément la position qui consiste à ne pas adopter le dogme et soutenir des idées qui sont extérieures au dogme, voire totalement contraires au dogme.
Si par exemple on dit je veux bien croire en Dieu mais pas au Dieu en trois personnes, sur le plan chrétien c’est parfaitement hérétique. Si l’on dit je veux bien que le Christ ait été porté par une femme et mis au monde par une femme, mais la vierge Marie d’une part n’est pas une vierge et d’autre part ne participe en rien à la divinité, c’est évidemment un propos hérétique.
Est hérétique tout ce qui contrarie à un degré ou à un autre, au sens logique du terme, puis au sens spirituel, les dogmes, c’est-à-dire les vérités révélées qui sont posées par Dieu, et qui sont véhiculées par l’institution religieuse.

On est pris entre deux feux, car si on dit Dieu n’existe pas et qu’on le prenne comme l’énoncé qui signifie je ne crois pas en Dieu qui pour moi n’est pas une réalité, on est incroyant donc position que l’église refuse.
Et si on dit Dieu existe on peut passer pour hérétique car c’est cette notion d’existence qui est inappropriée pour certains, en tout cas rapportée à Dieu.

En effet, à la lettre dire que Dieu existe est donc soutenir que Dieu comme la créature reçoit son existence de l’extérieur puisque l’existence se surajoute à l’essence. Ce qui revient évidemment à dire que Dieu est lui-même créé par autre chose que lui, que donc il n’est pas nécessaire mais contingent, et c’est l’essence même de Dieu qui devient tout à fait incompréhensible. Dieu finit par totalement s’évanouir, le concept de Dieu disparait.
Nous avons toute une veine théologique qui va refuser l’idée même que l’on puisse dire que Dieu existe. Que faudra-t-il dire ? C’est tout le sens du verbe être.

Si l’on veut que Dieu existe, il faut repenser ce terme d’existence. Le philosophe Avicenne du XIème siècle cite l’image employée pour désigner Dieu, une image où Dieu est son creux. Dieu est l’impénétrable, Dieu est son creux. Dieu ne reçoit rien, car recevoir quelque chose manifeste une limite et l’idée qui va peu à peu se faire est que l’essence va se trouver limiter par l’existence. Dieu est son creux donc rien ne peut venir de l’extérieur, le compléter, et sur le plan philosophique, si l’on revient à l’Occident cela va laisser durablement cette idée que l’essence reçoit toujours des limites qui lui sont conférées par l’existence qu’elle accueille.
Par ailleurs une pure existence sans essence, si nous essayons de penser les choses à l’envers, semble également impossible. Autant penser une matière sans forme. Chacune de ces catégories posent problème dès qu’on la réfère à Dieu, mais il faut bien comprendre que nous ne pouvons pas faire l’économie de ce détour par Dieu (il faut mettre entre parenthèses ses convictions religieuses personnelles).

Dans la philosophie on peut dire que la pensée de l’existence s’adosse nécessairement à des questions théologiques. L’existence, telle qu’elle est découverte, observée, exposée, vécue, assumée, non assumée par chacun d’entre nous êtres humains, n’est possible et pensable dans la philosophie que comme reliquat et rémanence de toute cette pensée d’abord théologique.
C’est d’abord par rapport à Dieu que la notion d’existence va apparaître, va s’autonomiser par rapport à la notion d’essence, et une fois que l’on aura tenté de résoudre le problème de savoir si on peut dire oui ou non Dieu existe et quel sens cela a pour Dieu, la brèche sera ouverte. La notion d’existence aura eu le temps de marquer la pensée, le champ philosophique, et là elle va peu à peu tirer dans le champ des créatures et peu à peu se laïciser.

Nous aurons donc les grandes pensées de l’existence avec une branche religieuse existentialiste et de l’autre côté la branche athée. Même si nous sommes athées personnellement nous sommes tous redevables de ce travail conceptuel qui se passe dans le domaine de la théologie.

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Qu’est-ce qu’être pour Dieu ?

On voit qu’il y a un problème. Le premier qui a essayé de réconcilier essence et existence en Dieu, pour Dieu, c’est St Thomas (l’être et l’essence). St Thomas est reconnaissant à Avicenne d’avoir le premier démontré que l’essence n’impliquait pas l’existence. En revanche St Thomas pense qu’Avicenne s’est trompé dans les conclusions qu’il en tire. Cela n’implique pas que Dieu n’a pas d’essence. Il faut donc réexaminer les rapports essence existence, telle est la tâche que va s’imposer St Thomas

Tout en étant aristotélicien, il va refuser d’accidentaliser l’existence pour Dieu, et refusant d’accidentaliser l’existence pour Dieu il n’aura qu’une possibilité c’est de montrer que, justement pour Dieu, l’essence inclut l’existence. Ensuite ce sera quelque chose qui sera reçu, admis. Mais c’est bien St Thomas qui, par des analyses, va imposer cette idée.

« Je suis celui qui est » : cette phrase si on la traduit comme cela va pouvoir recevoir un sens qui est toujours le sens que nous continuons à lui donner. « Je suis celui qui est » est une façon de dire que mon essence est d’exister. Et en existant je manifeste la totalité de mon essence. On ne peut plus faire de différence entre exister et être, au sens être ici exprimant plutôt l’essence, et nous retombons sur l’idée très féconde que les hommes ne peuvent jamais penser l’identité.
 Cependant ils la posent car c’est ce qui permet d’arrêter le flux du devenir, c’est ce qu’à découvert la pensée antique, jouer Héraclite contre Parménide, mais qui a bien montré que le moment parménidien est un moment nécessaire.
Si je veux me repérer dans le multiple, je suis obligé de poser l’un. Sinon je suis emporté par le tourbillon, je ne peux pas penser.

Donc la catégorie de l’un opposé au multiple. Le concept d’identité est un réquisit de notre intelligence, de notre pensée. Nous ne pouvons pas penser autrement qu’à ce prix, mais en même temps c’est l’Impossible, c’est peut-être cela le nom de Dieu, cette unité qui échappe au discours puisque le discours fragmente, s’enracine dans le temps, le discours nous éparpille car chaque acte locutoire est un acte ponctuel. En même temps je suis bien un sujet qui ordonne et agence tous les actes locutoires. Je pose l’un et en même temps je pose l’identité davantage comme principe dont j’ai besoin comme réalité.


Que dit Dieu ?

Je suis cette réalité que tu cherches que, évidemment, tu ne peux pas trouver en toi. Il y a donc là quelque chose d’impossible. C’est l’Impossible. Ce n’est pas un hasard si des théologiens, des mystiques ont écrit autour de cette notion d’impossible.

En résumant rapidement St Thomas, dans la créature essence et existence sont hétérogènes, irréductibles l’une à l’autre. St Thomas parle d’une différence réelle entre existence et essence. Qu’entend-il par différence réelle entre existence et essence ? Il signifie que l’existence est l’axe par lequel une réalité accède à l’être ; de possible elle devient actuelle c’est-à-dire réelle. On reste là dans les perspectives d’Aristote.

Que veut dire chez Thomas différence réelle ? Cela veut dire simplement que l’existence se définit comme l’axe par lequel une réalité quelconque accède véritablement à l’être. C’est-à-dire de possible qu’elle était, elle était en puissance, elle devient actuelle donc réelle. L’existence d’un être actualise son essence.

L’existence d’un être quel qu’il soit actualise son essence, mais trois conclusions immédiatement s’en suivent :

1) Comme la créature est imparfaite son essence indique ses propres limites.

Être ceci ce n’est pas être cela. Donc ce que je suis, mon essence, n’est pas séparable de l’acte de délimiter. Je dois poser des limites, c’est-à-dire je ne suis pas pour oser dire ce que je suis. Donc dans toute essence, on a nécessairement pour rendre intelligible même cette notion d’essence, la notion de limite. Toute essence de tout être créé est limitée, pose à cet être ses propres limites, sous-entendu c’est précisément parce que nous avons des limites que nous existons, que nous avons une essence qui détermine ce que nous sommes et qui nous différencie de ce que nous ne sommes pas.

C’est la première conséquence, la créature est imparfaite. Son essence nécessairement indique ses propres limites, donc son existence sera nécessairement limitée en temps et en lieu.

2) Dans la créature l’essence indique quelque chose qui est simplement possible.

Il faut donc que cette essence soit actualisée par ce qu’on appelle l’existence pour qu’elle se réalise, pour qu’elle s’actualise (Aristote) et que de possible elle passe à la réalité.
Au niveau des essences on peut ne pas faire la différence entre Socrate, un phénix et une licorne, puisque au niveau des essences on est au niveau dans le domaine du possible. Tous ces êtres sont également possibles. Mais il se trouve qu’il n’y en a qu’un seul qui s’est actualisé : Socrate.
D’une certaine façon ce n’est pas tellement au niveau des essences que l’on va pouvoir faire la distinction entre les êtres. C’est dans ce passage qu’on appelle l’existence, qui porte quelque chose qui est simplement possible, qui est en puissance, qui va devenir acte. Es-ce que l’essence peut toute seule passer à l’acte ? Non.

3) l’essence pourrait rester tout le temps essence, elle pourrait ne jamais passer à l’acte.


Elle pourrait ne jamais s’actualiser, mais quelque chose va faire qu’elle pourra passer à l’acte, ce qui revient à dire que cette essence va être actualisée de l’extérieur.
Aucune essence n’est capable de se conférer à elle-même l’existence. Il faut donc pour concevoir l’idée d’acte chez Aristote, assimiler l’acte à l’acte créateur qui est un acte toujours extérieur, transcendant.
La création n’est pas autre chose que ce pouvoir que seul Dieu a de faire passer le possible au réel, la puissance à l’acte. (Dieu a créé le meilleur des mondes possibles. Leibniz).
Il devient indifférent de dire que Dieu existe par son essence ou bien (St Thomas préfèrera la deuxième formulation) que l’essence de Dieu se manifeste dans l’acte pur d’exister. L’essence de Dieu est exprimée, est actualisée au travers de l’acte pur d’exister. Telle sera la chose qui va nous séparer de beaucoup de Dieu, c’est que nous avons l’existence, nous la recevons, et l’ayant reçue nous ne la manifestons pas comme un acte pur.
Il faudra comprendre qu’est-ce que l’acte pur d’exister, qu’est-ce qu’exister d’une façon pure et qu’est-ce qu’exister pour nous ?

On se trouverait maintenant avec des degrés d’existence. Dieu est dans une situation où il n’y a pas de différence entre essence et existence. Dieu jouit d’une existence qui est incluse dans son concept, ce qui revient à dire que c’est le seul être dont l’existence soit nécessaire, contrairement à nous dont l’existence est contingente.

L’idée est qu’il exprime son essence au travers de ce pur acte d’exister. L’existence manifeste la plus haute perfection qui soit. On est dans  un rapport d’opposition que l’on retrouvera toujours et qui hante d’une façon très fantomatique les pensées existentialistes, surtout les pensées athées, c’est-à-dire que nous courons après la perfection. Nous éprouvons notre existence comme quelque chose qui est imparfait, parce que limitée, et cette imperfection  nous allons essayer de la racheter d’une façon ou d’une autre.
Ces thématiques que l’on retrouvera dans les philosophies existentielles s’enracinent bien dans des perspectives théologiques et religieuses.

C’est normal puisque cette notion d’existence est dégagée progressivement de la notion d’essence. Mais elle va apparaître au travers d’une méditation sur Dieu avec ce grand problème qui est une véritable torture pour les théologiens et d’une certaine façon pour les chrétiens éclairés : Faut-il ou non s’aventurer dans la connaissance de Dieu ? Est-ce que l’on trahit Dieu lorsque l'on emploie son intelligence, sa raison à essayer de comprendre, de pénétrer son essence, ou bien doit-on se contenter d’une impénétrabilité totale de Dieu ?

Si Dieu est impénétrable, refusons précisément de le connaître, ayons la sagesse de dire que nos catégories intellectuelles, mentales ne peuvent rien, et contentons nous de l’aimer. L’amour devient alors quelque chose auquel il faut donner une forme. On l’éprouve comme une force intérieure mais il va falloir donner une forme à cela. On a la matière mais on n’a pas la forme.

St Thomas représente un tournant important dans l’histoire de la pensée, particulièrement cette pensée qui se lève, commence à se manifester. St Thomas va faire valoir cette différence : Dieu est l’être qui est l’existence. Il va poser que l’existence fait partie de l’essence même de Dieu alors que les créatures, c’est-à-dire nous, nous sommes seulement des êtres qui avons l’existence.

A partir de ce moment-là va se faire la distinction qui ne cessera de s’enrichir sur le plan philosophique, entre le plan de l’être et le plan de l’avoir qui engage non seulement les choses sur le plan métaphysique, ontologique, mais aussi sur le plan éthique.

Dans notre vie de tous les jours  nous manipulons bien sûr l’être et l’avoir, et ce que nous engageons sur ces deux plans ce sont aussi des choses éthiques. C’est bien souvent parce que nous n’arrivons pas à nous saisir nous-mêmes par exemple sur le plan de l’être c’est-à-dire nous défendre, tout simplement ne pas nous sentir déporter du côté de l’avoir, que nous allons compenser dans l’ordre de l’avoir quelque chose qui ne peut pas avoir lieu ou qui ne peut se passer du côté de l’être. Il y a de nombreux comportements, attitudes qui ont des implications morales et éthiques très importantes qui vont découler de cette distinction. St Thomas va reprendre et travailler entre être et avoir.

Cette assimilation essence-existence en Dieu est aux yeux de St Thomas ce qui lui confère son unicité, sa souveraineté puisque c’est à lui-même et en lui-même que Dieu doit son existence, qu’il existe, alors que nous, nous devons systématiquement notre existence à quelque chose d’extérieur.

descriptionAutour d'une pensée de l'existence - Page 31 EmptyRe: Autour d'une pensée de l'existence

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Que va-t-on retenir du thomisme ?

Tout d’abord que St Thomas est à un moment de rupture, à un moment de tournant dans l’histoire de la pensée de l’existence, parce que justement après lui surgit enfin cette notion d’existence. On peut dire qu’il l’a dégage de toute sa gangue.
La notion d’existence va désormais apparaître, et surtout elle va rompre avec toutes les idées énoncées, la tradition païenne, la tradition hellénistique  qui ne s’intéressaient pas à l’existence et en faisait toujours une chose secondaire.

Là, première rupture.
Non seulement l’existence apparaît, mais elle apparaît comme principe premier et en même temps comme fin, comme finalité. L’existence cesse d’être une notion secondaire de l’être. Au contraire l’existence se déplace et avec St Thomas elle vient s’installer désormais au cœur de l’être. Bien sûr on peut dire que cela ne concerne que Dieu. C’est vrai ! Mais en même temps on le verra, même si nous sommes là au cœur de problèmes théologiques, en même temps, et comme d’habitude dans notre culture, ces problèmes qui sont au départ des problèmes théologiques vont déborder très rapidement le cadre strictement théologique, et produire des effets dans la vie des hommes, dans leur vie concrète et matérielle de tous les jours.

Par exemple, c’est cette migration de l’existence au cœur de l’être que St Thomas fait subir en essayant de montrer quelle est la nature de Dieu, quelle est la spécificité de cette nature et où se fait le fossé entre le Créateur et ses créatures. C’est ceci qui va aboutir dans les philosophies existentielles athées, à cette prise de conscience que c’est à exister, et comme le dira Sartre, à nous faire exister, nous faire exister par nos choix, nos engagements, la façon dont nous allons user de notre liberté. C’est dans cette façon de nous faire exister, cette façon que nous allons avoir chacun d’entre nous à disposer de notre propre existence que nous allons précisément actualiser notre essence.

Si l’existence va devenir si importante, si elle va se mettre à travailler de plus en plus cet être philosophique, avec beaucoup de retard bien sûr, c’est qu’au fond même de la pensée athée on admet puisque nous n’avons pas d’essence déterminée (pour la pensée athée l’existence précède l’essence) c’est à exister. C’est en existant, c’est en déroulant notre existence que nous allons construire cette essence, nous allons littéralement l’actualiser.
Bien loin de nous débarrasser de la notion d’essence on peut se poser déjà la question de savoir si l’existentialisme  le plus athée de toutes les philosophies existentialistes, c’est-à-dire l’existentialisme sartrien, est peut-être moins un règlement avec la métaphysique, mais une façon plus subtile de continuer à faire de la métaphysique, puisque l’on n’en n’a pas fini avec l’essence.

Ici c’est l’existence qui va précéder l’essence, mais Sartre emploie encore le terme essence. Au fond l’essence est l’aboutissement, le résultat de ce que mon existence aura permis de fabriquer. Cela s’origine dans l’histoire, et sur cette question nous sommes les héritiers d’une très longue tradition que nous le voulions ou non.
Sur le plan théologique on peut dire que l’existence est le nom même de Dieu « Je suis celui qui est », celui qui existe, celui dont l’essence même est d’exister. Dieu est donc l’existence pure, l’être pur au sens d’existence.

St Thomas essaye à la fois d’expliquer la nature du dieu chrétien, et en même temps garder l’outillage aristotélicien. Il va donc poursuivre dans da définition de Dieu en disant que conséquemment c’est un être sans puissance, sans forme.

Pourquoi sans puissance ?

Parce que si l’on conférait de la puissance, au sens aristotélicien, à Dieu cela voudrait dire que Dieu n’est pas toujours en acte, et c’est toute la notion même de création qui se trouve menacée. Pour être cohérent St Thomas est obligé de dire que c’est un être sans puissance, non pas sans pouvoir, mais puissance reliée à acte chez Aristote. C’est un être sans puissance, c’est un être sans forme, chez les Grecs la forme est ce qui nous limite, et donner une forme à Dieu ce serait précisément le limiter.

C’est donc un être absolument simple ce qui signifie pour St Thomas que, contrairement à toutes les autres choses, exister pour Dieu ne veut pas dire être une substance qui ensuite recevrait une pluralité de prédicats. On ne peut pas dire qu’il y a une substance Dieu qui recevrait comme prédicat la bonté, la toute puissance, l’ubiquité, l’omniscience, toutes les qualités que l’on a coutume de reconnaître à Dieu, mais il est l’ensemble de ces qualités ou de ces prédicats.

On doit à St Thomas une idée très féconde que l’on trouve chez les grecs mais insuffisamment développée, qui va prendre toute son ampleur au sein du christianisme, à savoir l’idée qui consiste à nous faire comprendre que l’entendement humain par sa propre limitation, par son imperfection précisément est obligé de concevoir dans le temps, c’est-à-dire dans la succession, de découper, d’analyser l’entendement divin. Lui le conçoit dans l’éternité, dans le non-temps.

Platon disait déjà « Le temps est l’image mobile de l’éternité » Timée. Dialogue très difficile où il est question de cosmologie, comment le cosmos a été fabriqué par les dieux. Quand les dieux fabriquent le cosmos il faut qu’ils fabriquent le temps. L’idée importante est que ce qui existe à l’origine, c’est du non-temps, un présent éternel.

Le non-temps évidemment n’a pas le même sens pour un Grec que pour un chrétien. La notion même de création donne l’idée d’origine. Pour les grecs il n’y a pas de commencement du monde. Quand les grecs disent le monde est éternel, ce n’est pas du tout dans un sens chrétien. Quand nous disons (tradition judéo-chrétienne) le monde est éternel cela veut dire qu’il a été créé par Dieu, il a donc forcément un début, mais il n’aura pas de fin. Nous menons notre existence terrestre, l’humanité est programmée pour durer un certain temps. Ce n’est qu’un petit bout de ce temps qui s’est mis à exister à partir de ce temps zéro qu’est la création, mais ensuite nous attendent des réjouissances et nous entrons dans cette éternité quelques soient les modalités sous lesquelles nous la livrons. Pour un grec l’idée est qu’il n’y a ni commencement ni fin. S’il n’y a pas de fin, il n’y a pas de commencement, le monde a toujours été présent, sous des formes différentes. Il y a toujours eu quelque chose.
           
La question leibnizienne pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, pour un Grec n’a aucun sens. Platon nous montre que ce qui existe du point de vue des dieux, c’est ce non-temps que nous traduisons par éternité, et le temps n’est que le reflet mobile, car le temps est lié au mouvement, de ce non-temps.

Cet aphorisme représente bien cette idée : attention de ne pas reprojeter de façon rétroactive nos propres catégories avec leurs limites sur Dieu, cette essence que je ne peux pas véritablement saisir. Ce que je suis obligé de percevoir dans l’ordre de la succession, et par ailleurs hors de la succession, qui est souligné par la discursivité du langage puisque quand je parle je suis obligé de dérouler mes phrases, et cela souligne l’aspect successif des choses. Pour comprendre l’un, je suis obligé de passer par le multiple, je suis obligé de fractionner l’unité première. Je suis obligé de casser cette unité en petits morceaux pour pouvoir m’approprier cette unité.

Je ne peux pas intuitivement accéder à l’un. Je suis obligé de faire le détour par le multiple. Mais ce n’est pas parce que nous sommes assujettis au temps, à la succession et à l’analyse entre autre infligée par la discursivité du langage que forcément les choses sont comme cela. St Thomas va bien souligner que pour Dieu il n’en n’est rien.  Dieu voit toutes choses aussi bien dans son présent divin, aussi bien dans l’ordre du passé que l’ordre du futur, puisque ces catégories sont des catégories inadéquates, imparfaites qui ne conviennent pas à son intelligence. Donc simplicité de Dieu, pas de limites propres qui renvoient à notre entendement humain, qui nous fait séparer, diviser, décomposer, analyser puisque nous sommes des êtres de composition.

D’où l’idée thomiste, faire de la théologie, c’est travailler le langage de telle façon qu’il puisse un peu s’élever vers cet objet transcendant qu’est Dieu et ne pas, par un anthropomorphisme naïf, rabaisser Dieu pour vouloir absolument le faire rentrer dans nos propres catégories. 


D’où les trois voies possibles chez Thomas.
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