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descriptionEst-il moral de tuer un assassin qui vous est utile ? EmptyEst-il moral de tuer un assassin qui vous est utile ?

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Bonjour à tous, bonjour à toutes, chers philosophes.


Je ne sais pas si c'est le bon forum, mais j'ai un cas moral plus ou moins concret à vous soumettre, et j'aimerais avoir vos réflexions là-dessus.

J'ai rencontré ce cas en jouant à un jeux vidéo, et je trouve ce cas très intéressant, peu importe que l'on aime les jeux vidéos ou non. Laissez-moi vous le narrer :

Vous êtes dans un pays très pauvre. Tellement pauvre qu'il n'y a presque pas de gouvernement, et aucune police ou armée digne de ce nom. Les gens se battent pour survivre, la vie y est particulièrement difficile. Les conditions climatiques n'aident en rien, le sol est désertique, il y a peu d'eau exploitable, et il y est dur de cultiver quoi que ce soit. Néanmoins, quelques fermiers parviennent, aux prix de durs efforts, à s'en sortir malgré tout.
Seulement, ils sont constamment harcelés par un gang que l'on appelle "les pillards", qui volent leurs récoltes et tuent sans hésiter en cas de résistance. Ils possèdent des armes à feu. Et les fermiers ne peuvent pas se défendre. Vous êtes à la tête d'une milice, bien armée elle aussi, qui aide les fermiers et repousse régulièrement ces pillards. Vous savez parfaitement manier les armes, vous avez déjà tué un bon paquet de ces pillards, mais toujours pour vous défendre.

Un beau jour, au cours d'une exploration, vous tombez sur le cadavre d'un de ces pillards, que vous n'avez pas tué vous-même pour une fois, une note indiquant : « Pickman était ici. Trouvez-moi si vous l'osez. » Avec un dessin en forme de cœur rouge sang de la victime, en guise de signature. Vos recherches vous mènent à un grand manoir abandonné. A l'intérieur, vous trouvez des ossements, du sang un peu partout, et des tableaux à teinte rouge à vous glacer le sang, accrochés un peu partout sur les murs. Grâce à diverses informations et à des enregistrements audio trouvés dans le manoir, vous apprenez que ce Pickman est un tueur en série qui torture et laisse agoniser longuement ses victimes d'un plaisir sadique, en peignant ses tableaux macabres avec leur sang. 
Néanmoins, il s'en prend uniquement aux pillards. Tous les éléments que vous avez trouvés dans le manoir semblent indiquer cela. Vous entendez un bruit, et parvenez à vous dissimuler parfaitement dans une des nombreuses cachettes faites par le temps dans les murs en bois de ce vieux manoir. A ce moment, vous assistez à une scène ou des pillards, armés de barres de fer, encerclent un homme seul qui, d'après sa voix et les enregistrements que vous avez trouvés, est le fameux Pickman.

Une bagarre éclate ensuite. Pickman semble savoir très bien se défendre, armé d'un simple couteau, mais il sont plus nombreux que lui, et il va finir entre quatre planches. Vous avez ensuite le choix, depuis votre cachette, à l'aide de votre fidèle fusil, vous pouvez :

- tuer Pickman, sachant que les pillards vous attaqueront certainement après, le chef du groupe qui mène ces hommes vous connaît et a juré votre perte. Mais ces derniers ne sont pas si nombreux que ça, vous êtes positionné en hauteur et vous croyez pouvoir vous en sortir.
- massacrer les pillards et aider Pickman, en espérant que ce dernier continue son "œuvre" ? Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ?
- ne pas intervenir ?
- une autre chose à laquelle je n'ai pas pensé ?

D'après vous, quel est dans cette situation le choix le plus moral à faire ? et le plus éthique ? Ça m’intéresse de le savoir, ne serait-ce qu'histoire de comprendre un peu mieux la morale et l’éthique d'un point de vue philosophique.

descriptionEst-il moral de tuer un assassin qui vous est utile ? EmptyRe: Est-il moral de tuer un assassin qui vous est utile ?

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La morale est un problème récurrent en philosophie, et les réponses apportées sont nombreuses. Je ne suis pas spécialiste dans ce domaine là, mais j'ai tout de même quelques notion qusi pourront peut-être vous aider.

Alors tout d'abord, il faut savoir que la morale présuppose le choix, sans cela la morale est impossible.

L'exemple que vous proposez n'est pas très pertinent, selon moi, pour illustrer ce qu'est la morale. Permettez-moi d'en proposer un nouveau, qui va, je l'espère, couvrir l'intégralité du problème. Ex : Aider un enfant en train de se noyer, cela peut-il être une action non conforme à la morale ?
Mais avant cela, tentons de définir ce qu'est la morale.

Tout d'abord, la morale désigne un acte désintéressé. En effet, si on aide quelqu'un par crainte d'un châtiment ou dans le but de jouir, l'action n'est pas morale parce qu'elle n'est pas accompagnée d'une "bonne volonté". En effet, selon Kant :
De tout ce qu'il est possible de concevoir dans le monde , et même en général hors du monde, il n'est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n'est seulement une bonne volonté.

Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785


En cela, on voit que Kant nous apprend qu'une volonté bonne n'est accompagnée d'aucun désir, d'aucune inclination de tout genre, mais uniquement par la loi énoncée par notre raison. Ceci nous permet de distinguer une action conforme au devoir et une action accomplie par devoir. Pour résumer, si je suis un homme qui s'engage dans des missions humanitaires bénévolement, c'est une action certes conforme à la morale, mais si elle est accompagnée d'un désir de gloire ou bien même par le désir de ne plus voir autrui souffrir (empathie) alors l'action n'est pas morale en soi. Une action peut donc revêtir l'apparence morale sans pour autant l'être. Autrement dit, à partir du moment où une action est intéressée, elle est moralement corrompue et donc ne peut pas être purement morale (c'est le rigorisme kantien). Juste pour l'anecdote, il me semble que Kant affirme qu'aucune action purement morale n'a peut-être jamais eu lieu.
 
Je ne vais pas m'aventurer plus loin pour ne pas dire de bêtises, et puis il me semble qu'avec ces données on peut déjà répondre à votre question par un non. Tout comme, le fait d'aider un enfant en train de se noyer n'est pas moral, si on accomplit l'acte de façon intéressée. Je me suis essentiellement appuyé sur la morale kantienne pour fonder mes propos, mais il faut savoir qu'il n'est pas le seul à s'être interrogé là dessus.

Ainsi, Malebranche disait : 
il faut préférer son ami à son chien

Et Socrate, dans le Gorgias de Platon : 
il vaut mieux subir l'injustice que la commettre


Dernière édition par Azyb le Lun 17 Avr 2017 - 20:19, édité 1 fois

descriptionEst-il moral de tuer un assassin qui vous est utile ? EmptyRe: Est-il moral de tuer un assassin qui vous est utile ?

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Je vois. Merci de cette réponse instructive. Vous répondez donc par "non", mais c'est donc à la question du titre ? Du coup, vous épargneriez Pickman, en suivant la morale kantienne, si j'ai bien suivi. Mais vous le laisseriez se faire tuer par les pillards ou pas ? Ou vous n'interviendriez pas ?

J'avoue que je ne sais pas si j'ai bien choisi le titre, mon verbe n'est pas des mieux choisis, désolé pour ça.

Après je ne sais vraiment pas pourquoi mon exemple n'est pas pertinent, car quand j'ai rencontré ce cas dans le jeu, j'ai eu l'impression que ma morale était mise à l'épreuve. Et j'essaie de jouer le plus "justement" possible, pour peu que ça veuille dire quelque chose.

Si je suis votre point de vue, mon exemple n'est pas moral car il est intéressé. Autant le fait de défendre les fermiers peut l'être, on peut imaginer aisément que les fermiers partagent leurs récoltent avec la milice et moi-même, mais par contre le fait d'épargner ou de tuer Pickman, en quoi c'est intéressé ? Je ne vois pas en quoi. Si je l'exécute, je protège juste les pillards d'une mort atroce, en plus, ces pillards sont mes ennemis, je n'en tire strictement aucun bénéfice. C'est même l'inverse, vu que les pillards épargnés risquent de tuer d'autres fermiers.

Et si je l'épargne, j'en tire certes un intérêt, mais je le laisse librement exprimer son sens extrême de la justice. Après tout, je ne suis pas responsable de ses actes. Il est majeur et vacciné. Et comme il ne s'en prends qu'aux pillards, pas d'inquiétude.

Aussi, en ne faisant rien, je le laisse récolter ce qu'il a semé. Je ne me mouille pas, je ne suis pas critiquable.

A la limite, l'action la plus désintéressée serait de tuer Pickman plutôt, non ? C'est l'action qui m'apporte le moins d'une part, et qui demande un sens de la justice équitable pour des ennemis mortels.
Après, si l'empathie est immorale, alors oui, aucune action morale n'est possible.

Ou alors ce problème n'a rien à voir avec la morale mais plutôt avec la justice ?

descriptionEst-il moral de tuer un assassin qui vous est utile ? EmptyRe: Est-il moral de tuer un assassin qui vous est utile ?

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Édition des messages pour les mettre en conformité avec la charte, art. 6

Azyb a écrit:
Tout d'abord, la morale désigne un acte désintéressé.

Pour être un peu plus précis : chez Kant, seul un acte désintéressé est un acte moral.

LeGameur a écrit:
j'ai eu l'impression que ma morale était mise à l'épreuve.

Votre impression était bonne, et pertinente. Vous avez constaté que, comme vous l'a si bien dit Azyb, la morale implique un choix dont la décision n'est pas, de soi, toujours évidente. Autrement dit, ce choix vous impose de suspendre votre action (i. e., ici, votre jugement ─ je ne m'étends pas sur le rapport entre l'acte et le jugement). C'est ce que vous avez fait. Et vous l'avez fait de manière cohérente, dans une démarche conséquentialiste (vous avez essayé de comparer les conséquences possibles de chacune des actions envisagées). L'attitude est morale. Mais, d'un point de vue kantien, elle ne l'est pas, parce qu'envisager les conséquences de ses actes, c'est se livrer à une forme de calcul (ici, je vous renvoie à la conception péjorative que l'on se fait d'un calculateur, de quelqu'un qui se livre à l'hypocrisie, à la duplicité, etc.). Même avec les meilleures intentions du monde, dans une perspective kantienne, ce genre de calcul interdit le désintéressement.

LeGameur a écrit:
Ou alors ce problème n'a rien à voir avec la morale mais plutôt avec la justice ?

Les deux sont liés. Mais cela exigerait un développement substantiel.

Quoi qu'il en soit, Azyb vous a orienté sur une bonne piste en vous proposant le point de vue kantien, qu'il vous a exposé avec justesse et judicieusement.
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