PhiloGL a écrit:Quand la neurologie/neuro-éthologie des araignées aura donné une réponse à la question : comment les circuits neuronaux construisent la toile d'araignée, sans qu'intervienne un "esprit", on disposera d'une base qui ne sera plus un apriori : connaissant dans le détail le fonctionnement des circuits neuronaux de l'araignée, quelle différence pourrait-on trouver chez l'être humain qui rendrait sa conscience partiellement indépendante de ce fonctionnement neuronal ?
Là, vous êtes au cœur du sujet.
En effet, comme vous le savez sans doute, les neuro-sciences dont il est question ici sont nées dans les années 50 à la suite des travaux de Turing sur la cybernétique, c'est-à-dire sur les systèmes physiques capables de faire des inférences logiques valides. Or, comme vous le savez aussi, depuis Platon jusqu'à Russell en passant par Descartes, LA logique (LaLogique, comme dirait shub22, c'est-à-dire, pour en revenir à Lacan, une certaine pulsion inconsciente de signifiance unilatérale) est considérée comme le paradigme de l'excellence en matière de pensée. Du coup, l'intuition de Turing, qui est un logicien et un mathématicien, est la suivante : voyons si nous ne pourrions pas construire des systèmes mécaniques capables d'utiliser la logique propositionnelle et la logique des prédicats du premier ordre. Or, de fait, nous savons construire des machines qui, de l'information "si p alors q" et de l'information "p", déduisent "q", de l'information "pour tout x appartenant à D, il existe un y tel que y=f(x)" et de l'information "x=a, a appartenant à D", infèrent "y=f(a)". Bref, il est tout à fait possible de construire des machines à calculer (en anglais, computers), "calculer" étant ici synonyme de "utiliser la logique propositionnelle et la logique des prédicats du premier ordre". Intuition géniale, c'est certain. On sait quelle confirmation triomphale l'avenir a réservé à Turing. Jusque là, rien à dire.
Cela commence à se compliquer à l'étape suivante, dans laquelle la responsabilité de Turing est complètement dégagée. Certains (Shannon, Simon, Chomsky, Fodor...) ont cru devoir en tirer l'hypothèse suivante : si une simple machine est capable de calculer, comme nous le sommes de penser logiquement, il se pourrait qu'après tout nos cerveaux ne soient rien d'autre que des machines à calculer, autrement dit des computers complexes. C'est là que ça commence à devenir problématique. Et pour une raison précise : la formation d'une telle hypothèse s'appelle, en logique, une abduction. C'est une inférence très banale et, en plus, extrêmement utile parce qu'elle permet de former les hypothèses audacieuses sans lesquelles la recherche n'avance pas. Sauf que ce n'est pas une inférence valide au sens des logiciens, parce que ce n'est pas une inférence concluante. C'est comme si je disais : "mon voisin est noir, les corbeaux sont noirs, donc mon voisin est (probablement) un corbeau". Mais, encore une fois, tant qu'on en reste au stade de l'hypothèse audacieuse en attente de confirmation expérimentale, tout va bien.
Là où, en revanche, on passe véritablement du stade scientifique heuristique (dans lequel, Feyerabend se plaît à le rappeler, anything works) au stade scientiste proprement dit, c'est quand les Changeux, Damasio, Laborit ou autres Dehaene prennent l'hypothèse (non confirmée, et on ne voit pas bien comment on pourrait s'y prendre pour le faire...) que nos cerveaux sont probablement des machines à calculer (computers) pour un axiome évident par soi-même (et indémontrable par définition). C'est sur cette escroquerie intellectuelle que va se développer tout le courant cognitiviste qui s'évertue à nous faire accroire que penser, c'est calculer et que notre système nerveux central n'est qu'une agrégation de microprocesseurs qu'il suffirait d'interconnecter correctement et d'implémenter avec des informations pertinentes pour maximiser son efficacité. Pour ne rien dire de l'oxymore ridicule d'"intelligence artificielle" (sic !) dont on gratifie les systèmes mécaniques ainsi optimisés et qui aurait probablement fait beaucoup rire Alan Turing. Voilà comment on transforme, en tout cas,
shub22 a écrit:la science en idéologie au moyen de cette "déviation" que constitue le scientisme car le scientisme EST une idéologie : il n'y a pas à mon avis à s'y tromper. Et une idéologie comporte nécessairement ses inquisiteurs, ses tribunaux, d'exception ou pas, ses lignes officielles
Du coup, pour en revenir au propos de PhiloGL, il est manifeste que le cours de l'histoire des sciences aurait pu être tout autre. Il aurait suffi qu'un lobby arachnophile fît le raisonnement suivant : si une simple araignée est capable de tisser une toile magnifique, comme nous autres êtres humains sommes aussi capables de tisser (quoique très maladroitement), il se pourrait qu'après tout nous ne fussions que des araignées dégradées ! Pénélope l'a échappée belle !