Jean, il me semble que vous articulez plusieurs choses qui demanderaient d'abord à être considérées séparément.
D'abord, la mission de l'école. Pouvez-vous vraiment affirmer que l'école forme des esclaves (parce que c'est cela que vous entendez, quand vous employez le verbe obéir) ? Ne serait-elle qu'une machine à produire des masses informes, incapables de jugement ? Mais si l'école va si mal, c'est peut-être aussi que ces mêmes masses d'élèves qu'elle forme, non seulement contestent, mais ne savent pas du tout ce qu'est l'autorité (et certes, la réaction crispée et parfois autoritaire de l'institution obscurcit ce qu'est l'autorité, et montre un visage qui ne peut susciter la moindre sympathie), n'en ayant aucune notion, habituées qu'elles sont à voir que tout baigne dans tout, que tout est égal à tout, comme si tout n'était qu'un chaos magmatique. Et pourquoi diable ces mêmes masses contestent-elles l'autorité ? Parce que l'école elle-même s'est réorientée dans les années 70, se donnant une nouvelle mission qui impliquait précisément de renoncer à l'autorité, et d'enseigner qu'il n'y en a pas, ou qu'il n'y en a plus. Sauf qu'il n'aura fallu qu'une ou deux générations pour comprendre que le renoncement à l'autorité amputait l'école d'un fondement qui n'est pas nécessairement un fondement illégitime, quoiqu'il pose de vraies difficultés.
Depuis plus de trente ans, l'école voudrait n'enseigner que la gentillesse mièvre de l'innocence : tout le monde est beau et gentil, tout se vaut, juger ce n'est pas bien, etc. Surtout, ne jamais confronter les élèves au réel, c'est-à-dire à l'altérité. Jamais. Renoncer à l'autorité signifiait renoncer aux responsabilités, autrement dit cela signifiait juridiquement former des enfants et, en l'occurrence, maintenir des enfants dans l'enfance. Renoncement à l'autorité, renoncement à la responsabilité. Or on ne réinstitue pas l'autorité en la décrétant. Quand un enseignant dit à un élève insolent qu'il est le représentant d'une autorité (toute symbolique) qui exige le respect comme telle, il est à côté de la plaque, puisqu'il argue que sa fonction même fait son autorité. Or, outre qu'il ne reste au mieux qu'une autorité symbolique, à l'heure où l'intelligence symbolique a bel et bien disparu, une autorité auto-immolée ne peut sortir du sarcophage où elle a décidé de vivre pour signifier à qui que ce soit qu'elle est une autorité. Les pyramides étaient dépouillées dès leur scellement, l'autorité des Pharaons tombait avec eux. Mais en ces temps maintenant immémoriaux, les symboles étaient vivants.
En somme, comment voulez-vous qu'une institution qui s'est elle-même dévêtue de son autorité puisse être accusée de former des ouailles obéissantes ? En outre, il y a bel et bien le projet de rendre autonomes les élèves ; beaucoup de réformes, depuis les années 80, vont en ce sens, quoique leur application laisse à désirer. Mais ce projet, si louable soit-il, doit faire face à une difficulté peut-être insurmontable, que Marcel Gauchet a très bien analysée : comment rendre autonomes des personnes qui ne le sont pas ?
Quant à l'erreur, elle peut être instructive. C'est peut-être même le moyen de la meilleure instruction. Le problème, c'est que la société accepte de moins en moins l'erreur. L'erreur devient même quelque chose dont beaucoup se scandalisent, provoquant au passage un effet boule de neige, puisque ceux qui ont peur de commettre des erreurs, pour cette raison même, sont susceptibles d'en commettre plus. L'école n'y échappe pas. Or elle devrait être l'institution où l'erreur est non seulement permise, mais encouragée (à condition, cela va sans dire, de ne pas tomber dans le tout et le n'importe quoi). Ça donnerait des êtres plus débrouillards, plus autonomes, et cela rendrait moins nécessaire l'assistanat. Toutefois, des ouailles ont besoin de bergers, et de chiens de berger, pour trouver leur voie ; elles ont donc besoin de correcteurs. Or qu'est-ce qu'un correcteur sans autorité ?
Dernière édition par Euterpe le Sam 15 Fév 2014 - 14:02, édité 4 fois