Mieux vaut traduire par l'existant, quoique le succès de l'existentialisme puisse parasiter ce qu'on entend par ce terme. Ce n'est pas l'être de la métaphysique traditionnelle, aristotélicienne. Il implique un renversement de l'être immuable, identique à lui-même ; il implique aussi et par conséquent le renversement de la vérité et du principe d'identité. On sort de la logique, et plus précisément de l'ontologique (on ne devrait pas parler d'ontologie, chez Heidegger, mais du langage ou de la parole de l'être : l'être parle, cf. son obsession pour la poésie, l'étymologie, les moyens de réinventer la langue philosophique). Heidegger sépare l'être et le langage (la logique, la science), ce qui est censé interdire la métaphysique traditionnelle ; et il les réconcilie tout autant (l'être heideggerien n'est pas l'être de la métaphysique traditionnelle ; le langage n'est plus celui de l'ontologie, de la science) : l'être parle, se manifeste, se dévoile, se révèle (d'où l'intérêt pour les présocratiques, la philosophie naissante, mais aussi la théologie). Il n'y a pas d'organon chez Heidegger, pas de catégories (cf. la logique aristotélicienne) ; il y a des chemins, des sentiers, des trajectoires (il dit souvent : penser vers, en direction de...), ce qui est éminemment poétique, terrien.
Il réinscrit l'être dans le temps, donc dans l'ouvert. Exister, c'est d'une certaine manière être poussé au-dehors de soi, être orienté (ouvert)-désorienté (angoissé : pas d'orientation prédéterminée, préétablie). L'être métaphysique traditionnel est "définitif", défini, il ne fait plus l'objet d'une interrogation une fois défini (même si on s'interroge sur le "dieu" aristotélicien, même si la transposition théologique pose aussi des questions). L'être (l'existant) heideggerien est "indéfini", interrogation, ouverture : on ne peut le refermer sur lui-même, parce qu'il est cet être qui s'interroge sur lui-même, d'autant plus qu'il est en rapport avec le monde (cf. l'intentionnalité dans la phénoménologie ; cf. le désir). C'est un ensemble de possibles, ensemble radicalement irréductible au seul "réel" (cf. la liberté). L'existant, comme on dit, n'a donc pas d'essence. S'il en avait une, à la limite, il n'y aurait plus d'être comme problème (être = toujours le même, identique à lui-même).
Dernière édition par Euterpe le Jeu 11 Aoû 2016 - 18:45, édité 2 fois