Bonjour à tous,
Vous connaissez sûrement, au moins de nom, un courant religieux de la Grèce antique appelé Orphisme. Le peu de chose que l'on sait à son sujet se résume à ce qui suit :
Tout d'abord, deux mythes fondateurs : la descente d'Orphée en enfer (justifiant sa connaissance de la mort, héritage des orphiques) et le démembrement de Dionysos. Ce dernier mythe fait naître l'humanité des cendres de titans qui se seraient attirés les foudres (littéralement) de Zeus en démembrant et dévorant son fils Dionysos. Les humains seraient donc composés d'une part dionysiaque, divine et pure, l'âme ; d'une part titanique, matérielle et impure, le corps. A la mort du corps, l'âme non-purifiée descendrait en enfer, s’abreuverait au fleuve Léthé (perdant ainsi tout souvenir de sa vie précédente) et se réincarnerait dans un nouveau corps. Les orphiques cherchaient à se purifier par l'ascèse, la poésie, le végétarisme et la non-violence. En choisissant de se tourner vers l'orphisme, le Grec quittait la société : non seulement il s'en écartait lui-même pour vivre reclus, mais l'interdiction de participer aux sacrifices sanglants lui rendait impossible toute participation à la vie religieuse - et donc sociale - des cités.
Ces idées peuvent nous sembler "banales" et déjà vues, mais en Méditerranée du VIe siècle avant notre ère, elles étaient totalement nouvelles. On peut assez facilement se représenter leur influence sur la philosophie classique : le système de Pythagore, inventeur du mot philosophie, en est plus qu'inspiré, et il est plus facile de compter les divergences entre Pythagorisme et Orphisme que les ressemblances : d'une part, alors que l'Orphisme recherche la purification par l'intuition et la spontanéité de la poésie, Pythagore préfère la réflexion logique et mathématique (influence intellectuelle grecque) et la réflexion symbolique (influence des cultes à mystères auxquels il était initié) ; d'autre part, alors que les orphiques cherchent à s'exclure de la société, les pythagoriciens s'y investissent et, se croyant "l'élite", estiment avoir le devoir de la dominer (possible influence encore une fois des cultes à mystères très hiérarchisés).
Toutes ses influences de l'Orphisme sur le Pythagorisme se retrouveront plus tard chez Platon, qui en fera son célèbre dualisme sensible/intelligible, qui "préparera" accidentellement le monde méditerranéen à la venue du christianisme... Bref, l'Orphisme a joué un rôle très important dans l'Histoire des idées, et même dans l'Histoire tout court (merci pour le moyen-âge, Orphée...).
Mais il est assez peu probable que les idées révolutionnaires de l'Orphisme soient nées d'elles-mêmes en Grèce (ou qu'un dénommé Orphée soit allé prendre l'apéro chez Hadès et Perséphone. Les premières traces de ce courant étant thraces, on lui suppose souvent une origine chamanique. La séparation de l'esprit et du corps ainsi que le mythe d'Orphée en tant qu'allégorie de la transe, et même, pourquoi pas, la réincarnation, pourraient effectivement être ainsi justifiés... mais il reste le rejet du corps et de la société, le refus de consommer de la viande et de tuer, etc. S'il ne tenait qu'à moi, je dirais que les orphiques sont des sâdhus occidentaux. L'orphisme est presque calqué sur les traditions ascétiques de l'Inde ! On retrouve telles quelles dans l'orphisme les notions de Samsara (cycle des réincarnations), de Karma ("loi de cause à effet" enfermant l'individu dans le Samsara), de Moksha ("éveil", arrêt du Samsara, but de la religion/philosophie) et d'Ahimsa (non-violence).
Le seul "problème" est qu'entre la Grèce antique et l'Inde, il y a la Perse, l'ennemi infranchissable... Il y a un certain temps que je cherche des indices permettant de supposer un contact intellectuel entre la Grèce et l'Inde. J'ai cru avoir "trouvé" plus que le nécessaire dans l'introduction aux Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres de Diogène Laërce : il y a un nom grec pour désigner les sages d'Inde ("gymnosophiste", sage-nu), et certains font provenir d'eux la philosophie. Mais je n'ai rien trouvé qui permette de croire que ce fameux mot, "gymnosophiste", soit antérieur à la période hellénistique... à mon grand dam.
Mais je viens de penser à quelque chose... en fait, "l'indice" permettant d'admettre un échange intellectuel gréco-indien pré-héllenistique existe bel et bien, et il est plus qu'évident ! Les éléments, tout bêtement...
On y est tellement habitué (fiction, histoire de la philosophie et de la physique, ésotérisme...) qu'on peut penser notre découpe des éléments en air - terre - eau - feu (et parfois éther, occupant une place particulière) est universelle, mais c'est loin d'être le cas. En extrême Orient par exemple, les éléments sont traditionnellement découpés en cinq : terre - fer - eau - bois - feu . Nos 4 (ou 4+1) éléments sont une construction culturelle, au même titre que les systèmes philosophiques... Or, il se trouve que ce découpage se retrouve en Ionie (avec l'école de Milet) et en Inde (avec le darshana Vaisheshika) bien avant Alexandre le Grand !
Je sais que ça ne "prouve" rien, mais ça rend acceptable (n'aimant pas les coïncidences, j'aurais même tendance à dire probable) des échanges culturels entre les mondes grec et indien bien plus anciens que ce que l'on soupçonne... et si c'est bien le cas, il serait difficile de voir autre chose en l'orphisme qu'un hindouisme ascétique "hellénisé". Le dualisme spirituel/matériel viendrait d'Inde, et le Christianisme devrait indirectement son installation en Europe à l'Hindouisme... amusant, non ?
Vous connaissez sûrement, au moins de nom, un courant religieux de la Grèce antique appelé Orphisme. Le peu de chose que l'on sait à son sujet se résume à ce qui suit :
Tout d'abord, deux mythes fondateurs : la descente d'Orphée en enfer (justifiant sa connaissance de la mort, héritage des orphiques) et le démembrement de Dionysos. Ce dernier mythe fait naître l'humanité des cendres de titans qui se seraient attirés les foudres (littéralement) de Zeus en démembrant et dévorant son fils Dionysos. Les humains seraient donc composés d'une part dionysiaque, divine et pure, l'âme ; d'une part titanique, matérielle et impure, le corps. A la mort du corps, l'âme non-purifiée descendrait en enfer, s’abreuverait au fleuve Léthé (perdant ainsi tout souvenir de sa vie précédente) et se réincarnerait dans un nouveau corps. Les orphiques cherchaient à se purifier par l'ascèse, la poésie, le végétarisme et la non-violence. En choisissant de se tourner vers l'orphisme, le Grec quittait la société : non seulement il s'en écartait lui-même pour vivre reclus, mais l'interdiction de participer aux sacrifices sanglants lui rendait impossible toute participation à la vie religieuse - et donc sociale - des cités.
Ces idées peuvent nous sembler "banales" et déjà vues, mais en Méditerranée du VIe siècle avant notre ère, elles étaient totalement nouvelles. On peut assez facilement se représenter leur influence sur la philosophie classique : le système de Pythagore, inventeur du mot philosophie, en est plus qu'inspiré, et il est plus facile de compter les divergences entre Pythagorisme et Orphisme que les ressemblances : d'une part, alors que l'Orphisme recherche la purification par l'intuition et la spontanéité de la poésie, Pythagore préfère la réflexion logique et mathématique (influence intellectuelle grecque) et la réflexion symbolique (influence des cultes à mystères auxquels il était initié) ; d'autre part, alors que les orphiques cherchent à s'exclure de la société, les pythagoriciens s'y investissent et, se croyant "l'élite", estiment avoir le devoir de la dominer (possible influence encore une fois des cultes à mystères très hiérarchisés).
Toutes ses influences de l'Orphisme sur le Pythagorisme se retrouveront plus tard chez Platon, qui en fera son célèbre dualisme sensible/intelligible, qui "préparera" accidentellement le monde méditerranéen à la venue du christianisme... Bref, l'Orphisme a joué un rôle très important dans l'Histoire des idées, et même dans l'Histoire tout court (merci pour le moyen-âge, Orphée...).
Mais il est assez peu probable que les idées révolutionnaires de l'Orphisme soient nées d'elles-mêmes en Grèce (ou qu'un dénommé Orphée soit allé prendre l'apéro chez Hadès et Perséphone. Les premières traces de ce courant étant thraces, on lui suppose souvent une origine chamanique. La séparation de l'esprit et du corps ainsi que le mythe d'Orphée en tant qu'allégorie de la transe, et même, pourquoi pas, la réincarnation, pourraient effectivement être ainsi justifiés... mais il reste le rejet du corps et de la société, le refus de consommer de la viande et de tuer, etc. S'il ne tenait qu'à moi, je dirais que les orphiques sont des sâdhus occidentaux. L'orphisme est presque calqué sur les traditions ascétiques de l'Inde ! On retrouve telles quelles dans l'orphisme les notions de Samsara (cycle des réincarnations), de Karma ("loi de cause à effet" enfermant l'individu dans le Samsara), de Moksha ("éveil", arrêt du Samsara, but de la religion/philosophie) et d'Ahimsa (non-violence).
Le seul "problème" est qu'entre la Grèce antique et l'Inde, il y a la Perse, l'ennemi infranchissable... Il y a un certain temps que je cherche des indices permettant de supposer un contact intellectuel entre la Grèce et l'Inde. J'ai cru avoir "trouvé" plus que le nécessaire dans l'introduction aux Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres de Diogène Laërce : il y a un nom grec pour désigner les sages d'Inde ("gymnosophiste", sage-nu), et certains font provenir d'eux la philosophie. Mais je n'ai rien trouvé qui permette de croire que ce fameux mot, "gymnosophiste", soit antérieur à la période hellénistique... à mon grand dam.
Mais je viens de penser à quelque chose... en fait, "l'indice" permettant d'admettre un échange intellectuel gréco-indien pré-héllenistique existe bel et bien, et il est plus qu'évident ! Les éléments, tout bêtement...
On y est tellement habitué (fiction, histoire de la philosophie et de la physique, ésotérisme...) qu'on peut penser notre découpe des éléments en air - terre - eau - feu (et parfois éther, occupant une place particulière) est universelle, mais c'est loin d'être le cas. En extrême Orient par exemple, les éléments sont traditionnellement découpés en cinq : terre - fer - eau - bois - feu . Nos 4 (ou 4+1) éléments sont une construction culturelle, au même titre que les systèmes philosophiques... Or, il se trouve que ce découpage se retrouve en Ionie (avec l'école de Milet) et en Inde (avec le darshana Vaisheshika) bien avant Alexandre le Grand !
Je sais que ça ne "prouve" rien, mais ça rend acceptable (n'aimant pas les coïncidences, j'aurais même tendance à dire probable) des échanges culturels entre les mondes grec et indien bien plus anciens que ce que l'on soupçonne... et si c'est bien le cas, il serait difficile de voir autre chose en l'orphisme qu'un hindouisme ascétique "hellénisé". Le dualisme spirituel/matériel viendrait d'Inde, et le Christianisme devrait indirectement son installation en Europe à l'Hindouisme... amusant, non ?