Plus généralement et sous l'angle méthodologique, les courants d'imitations n'impliquent ni une parenté entre deux choses ni l'existence d'un modèle unique :
Gabriel Tarde, Les Lois de l'imitation, 1890, Éditions du Seuil, p. 157-159 a écrit:
Eh bien, pour une raison analogue, si maintenant nous passons du monde vital au monde social, nous sommes toujours frappés, en parcourant les tableaux ou les statues de nos peintres et de nos sculpteurs contemporains dans nos expositions, en lisant nos écrivains du jour dans nos bibliothèques, en observant les manières, les gestes, les tours d'esprit de nos amis et connaissances dans nos salons, nous sommes toujours et exclusivement frappés en général de leurs différences apparentes, nullement de leurs analogies. Mais quand, au musée Campana, nous jetons un coup d’œil sur les produits de l'art étrusque, quand, dans une galerie hollandaise, vénitienne, florentine, espagnole, nous voyageons pour la première fois à travers des peintures de la même école et de la même époque, quand, dans nos archives, nous parcourons des manuscrits du moyen âge, ou que, dans un musée d'art rétrospectif, les exhumations des cryptes égyptiennes s'étalent à nos yeux, il nous semble que ce sont là autant de copies à peine discernables d'un même modèle, et qu'autrefois toutes les écritures, toutes les façons de peindre, de sculpter, de bâtir, toutes les manières de vivre socialement, à vrai dire, se ressemblaient à s'y méprendre dans un même temps et un même pays. [...]
Nous avons essayé d'établir dans un précédent chapitre que toute ou presque toute similitude sociale dérive de l'imitation, comme toute ou presque ou presque toute similitude vitale a pour cause l'hérédité. [...] Un vieux tombeau étrusque décoré de fresques est découvert. Comment apprécier son âge ? Quel est le sujet de ses peintures ? On résout ces problèmes en signalant les similitudes, légères et insaisissables parfois, de ces peintures avec d'autres d'origine grecque, d'où l'on conclut immédiatement que la Grèce était déjà imitée par l’Étrurie à l'époque où ce caveau fut creusé. Il ne vient pas à l'esprit d'expliquer ces ressemblances par une coïncidence fortuite. Tel est le postulat qui sert de guide en ces questions et qui, employé par des esprits sagaces, ne trompe jamais. Trop souvent, il est vrai, entraînés par des préjugés naturalistes de leur âge, les savants ne se bornent pas à déduire des similitudes l'imitation, et ils en induisent la parenté. Par exemple, des fouilles faites à Este, en Vénétie, ayant donné des vases, des situles et autres objets qui présentent des ressemblances étranges avec le produit de fouilles faites à Vérone, à Bellune et ailleurs, M. Maury incline à penser que les auteurs de ces tombeaux divers appartenaient à un même peuple, conjecture que rien ne paraît justifier, mais il a soin d'ajouter : "ou du moins à des populations observant les mêmes rites funéraires ou ayant une industrie commune", ce qui n'est pas tout à fait la même chose. [...] Ainsi la similitude des produits artistiques ne prouve rien en faveur de la consanguinité et révèle seulement une contagion imitative.
Obligés, pour rattacher l'inconnu au connu, de chercher dans les analogies les plus lointaines, les plus inappréciables à l’œil profane, en fait de formes, de styles, de scènes, de légendes figurées, de langues, de costumes, etc., les secret des générations disparues, les archéologues se sont exercés à en découvrir partout d'inattendues, les unes certaines, les autres vraisemblables à divers degrés suivant une échelle fort étendue de probabilité. Par là, ils ont merveilleusement contribué à étendre et approfondir le domaine de l'imitativité humaine, et à résoudre presque entièrement en un faisceau d'imitations combinées des autres peuples la civilisation de chaque peuple, même la plus originale au premier aspect. Ils savent que l'art arabe, de physionomie si nette, est pourtant une simple fusion de l'art persan avec l'art grec, que l'art grec a emprunté à l'art égyptien, et peut-être à d'autres sources, tels et tels procédés, et que l'art égyptien s'est formé ou grossi successivement d'apports multiples, asiatiques ou même africains.