Je viens à peine de prendre connaissance de ce sujet intéressant. J'en profite.
jem a écrit: On m’a invité à créer un sujet traitant du sujet.
jem a écrit: Il semblerait qu’il règne un dédain non justifié de la part de la sociologie pour la psychologie.
Une méfiance plutôt, pas un rejet. Même Boudon, qui ne goûte guère la psychologie, se veut "psychologue", à condition que la psychologie soit simple (cf. la raison). La psychologie (la "vraie") n'ayant de légitimité qu'à la condition de pouvoir compléter certaines apories de la sociologie. Au fond, c'est une démarche très kantienne. La psychologie oui, mais une fois seulement qu'on a parcouru tout le champ de l'expérience (sociologique) possible.
jem a écrit: La psychologie s’intéresse à l’individu
Ce qu'on appelait naguère "psychologie" était une théorie de l'âme. Vous parlez de la psychologie moderne. Et même en précisant cela, votre "définition" ne convient pas. Qu'appelez-vous (psychologiquement)
individu ? Le terme est d'origine
logique (c'est une unité
indivisible, comme on disait que l'atome est insécable).
jem a écrit: L’individu est le centre des études en psychologie
Au sens moderne, l'individu est tout autant un objet sociologique que psychologique. Un individu, par définition, c'est un individu social et psychologique.
jem a écrit: la sociologie, comme l’indique son étymologie, étudie les sociétés. L’individu n’est pas sa prétention première
L'individu (au sens moderne), est une invention
sociologique (comme il fut une invention philosophique) : un concept. Méfiance, donc. Il n'y a que dans un certain type de société qu'on peut découvrir l'individu (au sens moderne), la société de masse.
jem a écrit: considérer l’influence des sociétés sur l’individu et ainsi, on se limiterait à l’influence de l’environnement et aux conséquences externes de la société.
Vous ne prenez en compte qu'une "moitié" de la sociologie. La sociologie de l'action, par exemple, et pour le dire très sommairement, tient ce qu'on appelle "société" pour l'effet disons macrosociologique de l'interaction entre les microsociétés que sont les individus (pour qu'il y ait un individu, pour que l'individu soit concevable, il en faut deux au moins ; cf. ma remarque plus haut : un individu est un objet
social).
jem a écrit: La psychologie étudie l’individu, mieux, l’esprit de l’individu.
La formule revient à dire que la psychologie n'a pas d'objet. Or, l'objet de la psychologie, c'est le
psychisme.
jem a écrit: La sociologie apportant les explications environnementales principalement, et la psychologie apportant les explications individuelles, l'impact des individus sur la société, la façon dont ils la façonnent et dont il sont façonnés par elle. Bref, ces disciplines ont tout à perdre à se rejeter l’une l’autre.
Non, étant donné les quelques précisions plus haut.
jem a écrit: Ces divergences nous rapportent-elles à l’éternelle problématique de l’importance de la culture et de la nature ? La psychologie s’intéressant plus à la nature, et la sociologie à la culture ?
C'est exactement le contraire. L'apparition de l'humanité, c'est l'apparition de
sociétés. Tel est "l'état de nature" de l'humanité ; tandis que la psychologie a toutes les caractéristiques de ce qu'on appelle un objet
culturel : un produit de l'humanité.
jem a écrit: comment est née la sociologie ? De quelle discipline s’est-elle dégagée ?
Du point de vue de l'histoire de la philosophie, elle est rendue possible, pensable, avec Kant. En gros, une fois le criticisme solidement établi, et la place de la métaphysique acquise (la morale, pour faire bref - donc la liberté), restent les sciences dites anthropologiques selon la terminologie kantienne, i. e. les sciences dont l'objet est peu ou prou l'action des hommes, mais en tant qu'elle n'est plus un objet de la morale. Plus largement, la sociologie "naît" à peu près en même temps dans les pays "civilisés" de l'Europe de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. En France, par exemple, les rationalistes (pensez à Condorcet, à Garat, etc.), sans exactement préfigurer le positivisme, forgent les outils à partir desquels on tentera de constituer une science exacte de la société. Mais c'est au moment où l'on comprend que les sociétés contemporaines sont des sociétés de masse que la sociologie prend conscience d'elle-même.
Kthun a écrit: On se rend compte, par exemple, qu'il n'y a pas de consensus concernant l'objet de la sociologie
Remarque importante. Aujourd'hui comme hier, par définition, faire œuvre de sociologue, quel que soit l'objet de sa spécialité, mais surtout pour les plus généralistes, c'est faire deux choses : tenir un discours sur l'objet dont on s'occupe, et tenir un discours sur ce discours (qu'est-ce que la sociologie ?), pour constituer l'objet dont on s'occupe en objet
sociologique. Au moins parce que les sociétés sont le lieu même du
changement (du reste le changement est l'un des principaux, sinon le principal objet de la sociologie).
jem a écrit: On se rend compte, par exemple, qu'il n'y a pas de consensus concernant l'objet de la sociologie ("l'action sociale" pour Dubet et le "règne humain" pour Baechler).
Cela me semble insensé. Comment peut-on rassembler un certain nombre de choses si ces choses n’ont pas un minimum d'éléments en commun ? Si elles ne sont pas liées par un objet commun ? En psychologie, c’est l’esprit humain.
Étant donné les remarques plus haut, comment voulez-vous que cela soit insensé ? C'est l'objet "société" lui-même qui est, par définition, et pour une part essentielle, un objet "fuyant", toujours "nouveau" (cf. le changement). Pour la question de la méthodologie, comme je l'ai dit, elle est une constante, parce qu'il faut
constituer ses objets sociologiques. Quant aux instruments de mesure, ils existent, et on les raffine sans cesse, au moins parce qu'on les multiplie et qu'on les confronte les uns aux autres.
jem a écrit: Concernant la psychanalyse, vous semblez faire d’elle une discipline à part de la psychologie alors qu’en fait la psychanalyse est une discipline à part dans la psychologie. La psychanalyse est, à l’origine, un des domaines développés dans le cadre du domaine de la psychologie, c’est une des théories sur la structure de l’esprit
Attention. De même qu'il est important de connaître à peu près l'histoire de la sociologie, il est important de connaître celle de la psychologie. La psychanalyse ne naît pas de la psychologie, mais à côté. La psychologie, c'est la "science", plus exactement le discours sur le psychisme. La psychanalyse consiste à faire parler (analyse) le psychisme. La psychanalyse surgit progressivement de l'esprit de Freud inspiré par son expérience de l'hypnose. C'est l'hypnose qui fait naître la psychanalyse (elle ne lui donne pas naissance, elle provoque sa naissance).
jem a écrit: On connaît tous, je crois, les torts de la psychanalyse
Vous faites sans doute référence au rejet (prétendu) de l'empirisme. Il y a méprise. Comment voulez-vous faire l'expérience
empirique du psychisme, comme on le ferait de choses accessibles aux sens ? Cela signifie-t-il que la psychanalyse est dénuée de raison, qu'il n'y a pas de raison psychanalytique ? Beaucoup, comme Boudon, pensent que la psychanalyse est un irrationalisme. Ça me paraît manquer la cible.
jem a écrit: La psychologie a eu énormément de mal à faire reconnaître son intérêt, et la fiabilité de ses résultats, son statut de science est encore et toujours contesté
C'est le lot des sciences humaines. Il est rare qu'au PMU on discute des objets mathématiques.
jem a écrit: ils sont persuadés qu’un psychologue « analyse » les gens, et que le facteur et la coiffeuse font la même chose que le praticien.
Il ya quelque chose du concierge chez tout psychologue qui se respecte. :D
jem a écrit: Bref, la psychanalyse a défait ce que la psychologie avait de scientifique
Non.
jem a écrit: La psychanalyse a falsifié des résultats [...]. Et malgré tous ces éléments, elle affirme être une science.
Vous portez une accusation parfaitement infondée et illégitime.
jem a écrit: Dans les critiques de la psychologie contre la psychanalyse, il n’est pas nécessairement question de critique envers les théories directement, mais de critique envers la méthode, ou alors de critique envers l'opacité des théories (cf. rejet de l’empirisme).
La lecture de Castoriadis devrait vous aider à y voir plus clair. L'opacité est constitutive de la psychanalyse. Il l'explique très bien. L'affaire n'est pas seulement celle de la psychanalyse, mais du
sujet. Vous dites vous-même que vos professeurs ne se donnent pas la peine de définir ce qu'il faudrait entendre par "esprit", et pour cause : de
quoi s'agit-il ? Et comment pourrait-ce être un
objet comme le sont un coupe-ongles, un objet technique ou encore un objet scientifique ? Si c'était le cas, ça se saurait. Et comme ça se saurait depuis que l'homme est homme, donc depuis les origines de l'humanité, on n'aurait jamais inventé la psychologie d'abord, la psychanalyse ensuite et à côté.
jem a écrit: Je définirais une société comme « l’esprit » qui unit les individus entre eux, qui les unit à leur passé et à leur présent, en d’autres termes c’est ce qui situe l’individu dans le temps et l’espace.
C'est une théorie magique.
jem a écrit: Je pense qu’en fin de compte, nous ne pouvons jamais définir une discipline dans son ensemble (pour une discipline de recherche tout du moins), puisque c’est effectivement pour ça qu’on l’étudie.
On étudie moins une discipline qu'on étudie à l'intérieur d'une discipline.
Dernière édition par Euterpe le Dim 9 Fév 2014 - 18:10, édité 1 fois