S’il y a un topos qui illustre au mieux les changements dans les manières de penser s’opérant au sein de la philosophie, entre l’antiquité et l’époque moderne, c’est bien le rapport que peuvent entretenir les hommes avec les choses ; car, en plus d’être acceptées par tous, ces perspectives manifestent leurs différences dans le langage philosophique : on a tendance, de coutume, à définir la pensée moderne comme une philosophie du sujet et de l’objet, alors que la pensée grecque se définit, ainsi qu’on a pu le dire d’une manière à première vue étrange, comme une philosophie sans objet (1), substituant par là à notre héritage latin de l’objectum, le mot grec ἀντικείμενα (2). Mais si le changement nous paraît manifeste, cela ne signifie pas pour autant que l’on a compris, non seulement sa portée, mais aussi ses raisons.
Il faudrait même tout d’abord s’étonner de tels changements. Que l’on parle de rapport aux choses ou de corrélation entre sujet et objet, on se situe dans le domaine de la sensation ou de la perception. Or, si l’on place au milieu d’une pièce une balle rouge, et autour de cette même balle, à égale distance, deux hommes normalement constitués, l'on doit considérer que ces deux hommes sentent de la même manière cette balle. Dès lors, comment comprendre qu’à partir d’un même phénomène qu’est celui de la sensation, des philosophes comme Aristote et Descartes, qui usent du même exemple illustratif du morceau de cire (3), considèrent ce même phénomène de manière différente ? La raison en est qu’il s’agit de penser la sensation en général et plus précisément de penser ce qui s’engendre à partir de cette rencontre entre un sentant et un senti, la connaissance.
Mais, poser que ces manières de penser la sensation sont différentes, ce n’est encore là, rien dire. Il faut rendre explicites ces différences, non en montrant en quoi elles diffèrent seulement, mais pourquoi elles diffèrent, en ceci que, exprimant plus clairement les raisons de cette polémique, on pourra mieux comprendre par elles-mêmes en quoi ces perspectives divergent et donc, en quoi on peut dire qu'il y a un changement dans la manière de penser. Ainsi, on pourrait reformuler la question de cette façon : pour quelles raisons peut-on dire qu’entre Aristote et Descartes, il y a une manière différente de penser le rapport aux choses ?
(1) Cf. Dictionnaire Européen de vocabulaire philosophique, article « objet »
(2) La traduction par « objet » de ἀντικείμενα est un anachronisme dans la version de Barbotin ; on préférera la traduction donnée par J. Brunschwig de 'corrélat objectif' dans son article « En quel sens le sens commun est-il commun ? » dans Corps et âme, p.192
(3) Cf. De Anima, II, 12, 424a17-23, & l’exemple du morceau de cire de la 2nd Méditation Métaphysique, AT, IX, 23-27
Il faudrait même tout d’abord s’étonner de tels changements. Que l’on parle de rapport aux choses ou de corrélation entre sujet et objet, on se situe dans le domaine de la sensation ou de la perception. Or, si l’on place au milieu d’une pièce une balle rouge, et autour de cette même balle, à égale distance, deux hommes normalement constitués, l'on doit considérer que ces deux hommes sentent de la même manière cette balle. Dès lors, comment comprendre qu’à partir d’un même phénomène qu’est celui de la sensation, des philosophes comme Aristote et Descartes, qui usent du même exemple illustratif du morceau de cire (3), considèrent ce même phénomène de manière différente ? La raison en est qu’il s’agit de penser la sensation en général et plus précisément de penser ce qui s’engendre à partir de cette rencontre entre un sentant et un senti, la connaissance.
Mais, poser que ces manières de penser la sensation sont différentes, ce n’est encore là, rien dire. Il faut rendre explicites ces différences, non en montrant en quoi elles diffèrent seulement, mais pourquoi elles diffèrent, en ceci que, exprimant plus clairement les raisons de cette polémique, on pourra mieux comprendre par elles-mêmes en quoi ces perspectives divergent et donc, en quoi on peut dire qu'il y a un changement dans la manière de penser. Ainsi, on pourrait reformuler la question de cette façon : pour quelles raisons peut-on dire qu’entre Aristote et Descartes, il y a une manière différente de penser le rapport aux choses ?
(1) Cf. Dictionnaire Européen de vocabulaire philosophique, article « objet »
(2) La traduction par « objet » de ἀντικείμενα est un anachronisme dans la version de Barbotin ; on préférera la traduction donnée par J. Brunschwig de 'corrélat objectif' dans son article « En quel sens le sens commun est-il commun ? » dans Corps et âme, p.192
(3) Cf. De Anima, II, 12, 424a17-23, & l’exemple du morceau de cire de la 2nd Méditation Métaphysique, AT, IX, 23-27