Kercoz,
Je reviens vers vous après avoir lu en profondeur l'article Wikipédia(.fr) consacré à Jacques Ellul. La technique y occupe apparemment une place importante mais en réalité le sujet est tristement survolé : plus que l'argumentation elle-même, c'est la polémique qu'elle suscite qui est soulignée (idéalement il faudrait une partie uniquement consacrée aux analyses qu'il fait des caractères du système technicien), et je soupçonne qu'il y ait la volonté de montrer en Ellul le suiveur de Marx plutôt que le penseur de la technique (une observation rapide de l'historique des éditions de l'article ne me détrompe pas). Les affirmations fidèles aux textes - encore une fois, ceux que j'ai lus - sont souvent compensées en ce sens (on ajoutera "et le capitalisme" quand initialement il s'agit de l'aliénation technicienne). L'idée générale est finalement assez éloignée de ce que je connais d'Ellul (surtout et massivement sa pensée de la technique, où il affirme sans aucune ambiguïté que le système technicien est devenu autonome et déterminant par rapport à l'économique - autonomie évidement pas absolue, etc., et sans jamais prétendre que l'économique aurait "disparu", etc., je ne peux que vous renvoyer à
La Technique ou l'enjeu du siècle et
Le système technicien). Par ailleurs, j'ai entamé
Le Bluff technologique et pourrai donc bientôt en dire plus au sujet de la place du productivisme dans ses analyses - mais ceci déjà me semble intéressant : faisant le point sur les principaux axes des dépenses engagées à l'époque par l’État français en matière de développement technique, et de leurs justifications, il écrit, dans la partie consacrée au productivisme :
Ellul, dans Le Bluff technologique (1988, éd. 2010 Arthème Fayard/Pluriel, p.549) a écrit: Lorsque l'État s'engage à fond, il fait valoir que tout cela représente une entreprise raisonnable par rapport aux enjeux. L'enjeu majeur, c'est la productivité, qui nous rendra indépendants sur le plan militaire, technique, économique, assurant notre commerce extérieur, développant nos entreprises (donc résorption du chômage). Nous allons voir concrètement ce qu'il en est. Mais en attendant, il faut constater que l'enjeu véritable est d'"être dans la course", de conserver le prestige national, la multiplication des communications et en réalité l'efficience (pour n'importe quoi) de l'appareil technique : l'enjeu, c'est d'avantage de technique ! Tous les autres enjeux que l'on nous présente sont faux, il n'y a de vrai enjeu ni politique, ni économique, ni scientifique. Autrement dit, les pseudo-enjeux présentés comme dominant le sort de la France sont des faux-semblants.
En regard de cette citation, il semble bien que le compte rendu que vous avez cité fasse - en fait, risque fortement d'induire - un contre-sens lorsque l'auteur écrit par exemple que "L’efficacité technique est essentielle à cette productivité." L'efficacité technique forme l'essence, le fond véritable et la constante de cette productivité, qui quant à elle est de l'ordre de l'idéologie (dans le sens où elle voile la réalité). Mais en aucun cas l'efficacité technique ne sert la productivité - c'est précisément le bluff. Etc.
Quant à notre accrochage, je tiens à mettre les choses au clair. Il n'y a aucune censure. Il y a une exigence minimale ! Je développerai un peu mon point de vue sur ce sujet si vous voulez bien. La légèreté dans vos propos, lorsque vous laissez entendre qu'Ellul c'est tout vu, c'est bien compris, bien entendu - détruisant ainsi la possibilité d'une discussion véritable à ce propos -, quand dans le même temps vous ne faîtes référence qu'à des "on dit" qui ne peuvent pas être remis à leur place sans une connaissance directe de l’œuvre (sa mise en
problématique), cette attitude restreint ma liberté, la votre et celle d'autrui. En posant entre nous l'écran d'une page Wikipédia (ou d'une recherche google, ou que sais-je encore qui ne soit pas des écrits émanant de celui dont il est uniquement question ici),
vous nous enfermez dans un débat stérile, sans point d'ancrage et sans visée, insignifiant. Vous vous faîtes le vecteur de cette insignifiance générale. En ce sens, vous êtes l'oppresseur. Il se trouve que vous me rencontrez sur votre chemin, un peu borné, et qu'ici c'est moi qui ait le "pouvoir". En réalité je ne peux rien contre vous, ou ce que vous représentez à ce moment-là de la discussion. Je suis pratiquement démuni et ne peux m'en tenir qu'à l'exigence intellectuelle simple : étudier un auteur avant d'affirmer connaître sa pensée, ou "penser comme lui". Vous bannir - je n'y ai jamais réellement songé ; mais je songe à clore ce sujet - n'a aucun intérêt pour moi (je le vis comme une absurdité) ou le forum, et ça jouera nécessairement en ma défaveur et celle du forum. En outre, je ne suis pas si assuré de connaître Ellul que vous l'êtes, semble-t-il ; dans une certaine mesure, je vous accorde le bénéfice du doute, je suis prêt à suivre vos indications. Et c'est alors un autre de ces renversements typiques qui font toute la difficulté sur ce forum. Vous finirez par me prêter des certitudes que vous n'auriez pas quant à vous. Voilà notre tyrannie quotidienne.
Enfin, quant à l'émergence d'organismes - vos réflexions sur l'organicisme - tout le problème au fond est de comprendre de quel "organisme" nous parlons, quels sont ses caractères réels, comment il évolue et en quoi il peut et vient en effet s'opposer à l'individu - par quoi d'ailleurs nous pourrions rejoindre ce que j'écrivais à l'instant à propos de l'insignifiance dont chacun peut se faire le vecteur. Vos réflexions générales à ce sujet ne se rapportent que de très loin aux travaux d'Ellul (vous inversiez la thèse centrale, me semble-t-il) et ne posent pas le problème de sorte qu'on s'en rapproche. Et puis, faut-il rappeler que ce n'est pas le sujet ? Il s'agissait d'une demande de référence bibliographique. Encore une fois, c'est avec une grande joie que je partagerai avec vous ce qui ressort de l'étude de cet auteur, mais ailleurs, et à condition que vous ne m'opposiez pas des extraits de Wikipédia - qui demandent, pour être compris, et contrairement à ce qu'on pense, un travail poussé et franchement laborieux.