Texte initial, de Margaret Mead :
Oui, je m'attendais à cette remarque. A vrai dire, j'ai longtemps hésité avant d'incorporer cet adjectif, les conséquences n'étant, comme vous le soulignez, pas des plus simples à appréhender. De plus, et vu le contexte de la question, j'aurais parfaitement pu (du ?) m'en tenir à l'aspect strictement comportemental. Cependant, puisque j'ai fini par l'y incorporer, je me sens dans l'obligation d'en tenter l'explication, quand bien même cette tentative aboutit à une forme de hors-sujet voire, en bout de course, à l'amputation du mot de la citation. Soit.
Il n’est pas interdit de penser que l’environnement culturel puisse influencer, conditionner, la manière dont les processus cognitifs agissent* puisque les raisonnements, les catégorisations et la mise en ordre des choses sous forme de concept ne peuvent pas être nécessairement pris pour invariants, ni comme disposant d'une base invariante, l’unicité de la relation cognitive et des catégories qui en résultent n’étant en réalité qu’une hypothèse. Partant de là, il est possible de recourir à l’abstrait et de continuer dans les tréfonds de la philosophie de la connaissance, mais cela n’est pas nécessaire dans le cadre de la question posée et l’on peut s’en tenir au constat de la multiplicité des rapports cognitifs comme point de départ explicatif. Il s'agit de montrer que, si les processus cognitifs peuvent être multiples et irréductibles entre eux pour certains, ils peuvent parfaitement être modifiés par contact culturel. Le lien nouant le comportement à la cognition me semble évident, je ne le développerai donc pas ici.
Pour appuyer mes propos, je prendrai l’acculturation subie par les populations mélanésiennes de Nouvelle-Calédonie. Chez eux, la personne n’était pas individuée. L’identité et le devenir n’étaient donc en rien liés à un corps, mais à une parenté et à un totem ancestral. La « personne » ne disposait pas d’un nom mais de plusieurs, convergents. Il y avait autant de noms que de rapports de parentés, pas de noms « propres » mais des noms de position sociale, pas d’usage exclusif du « je ». Leur langue disposait donc d’une série de mots et de règles propres à leurs processus cognitifs et leurs comportements en était d’autant influencés. Lors de la colonisation, cette population a progressivement migré d’une conception mélanésienne de la « participation sociale » vers une conception occidentale individualiste. Les pratiques et les comportements se sont modifiés suite au glissement du rapport cognitif au contact d’une culture différente. Nous avons donc bien ici, à mon sens, l’exemple d’un ensemble de relations cognitives modifiées par conditionnement social. Les colons ont diffusé leurs processus cognitifs afin de remplacer ceux des colonisés, et le comportement de ces derniers s’en est vu affecté. Ce n’étaient pas l’information et le stockage cognitifs qui étaient différents entre colons et colonisés, mais bien les concepts et les comportements associés.
Plus près de nous, je mentionnais en exemple la tendance à la neutralisation des comportements sexués des petits enfants. Je pourrais également avancer la question portant sur le sentiment d'appartenance d'une personne adulte à un sexe donné. L'origine en est-elle physique ou psychique ? Ce type de questionnement repose sur les relations cognitives de celui qui se le pose. Un processus cognitif donné peut fournir à son "propriétaire" l'évidence d'un sexe caractérisé physiquement qui se manifeste au travers d'un comportement stéréotypé (groupe A) tandis qu'un autre pourrait ne s'en tenir qu'au sexe physique, niant par là une quelconque influence de genre sur le comportement (groupe B). Cette relation cognitive particulière aura d'immanquables répercutions sur le comportement général des deux propriétaires, A et B. Si d'aventure un groupe d'individus A entre en contact avec un groupe B, les influences des uns sur les autres modifieront les rapports cognitifs de telle sorte qu'un nouvel équilibre, A, B ou C, s'établira. Mais dans tous les cas, il y aura glissement d'une partie du processus cognitif de tout ou partie du groupe, et donc modification comportementale.
Pour synthétiser l'idée : les processus cognitifs ne sont pas coulés dans le marbre mais bel et bien multiples, voire irréductibles (et ce point est d'importance) entre eux dans certains cas. Le comportement individuel est influencé par la cognition, tandis qu'elle-même se voit modifiée, influencée, par la proximité sociale.
*(nota : par souci de simplification, je considère ici la saisie d’information puis son stockage comme des fonctions invariantes au sein des processus cognitifs humains, tandis que la partie qui concerne le traitement de ces informations serait quant à lui modifiable)
Dernière édition par Crosswind le Mar 29 Sep 2015 - 14:16, édité 6 fois
Quand nous opposons le comportement typique de l’homme ou de la femme arapesh à celui, non moins typique, de l’homme ou de la femme mundugumor, l’un et l’autre apparaissent de toute évidence, être le résultat d’un conditionnement social [...]. Seule la société, pesant de tout son poids sur l’enfant, peut être l’artisan de tels contrastes. Il ne saurait y avoir d’autre explication, que l’on invoque la race, l’alimentation ou la sélection naturelle.
Nous sommes obligés de conclure que la nature humaine est éminemment malléable, obéit fidèlement aux impulsions que lui communique le corps social.
Vangelis a écrit:Crosswind a écrit:Le conditionnement social serait donc l'action, étalée dans le temps, de la société sur les comportements cognitifs de chaque être humain qui la compose.
A moins que vous ne développiez l'interaction entre le comportement et le conditionnement par le biais des processus cognitifs - ce qui n'est pas une mince affaire - vous allez embrouiller notre ami.
Oui, je m'attendais à cette remarque. A vrai dire, j'ai longtemps hésité avant d'incorporer cet adjectif, les conséquences n'étant, comme vous le soulignez, pas des plus simples à appréhender. De plus, et vu le contexte de la question, j'aurais parfaitement pu (du ?) m'en tenir à l'aspect strictement comportemental. Cependant, puisque j'ai fini par l'y incorporer, je me sens dans l'obligation d'en tenter l'explication, quand bien même cette tentative aboutit à une forme de hors-sujet voire, en bout de course, à l'amputation du mot de la citation. Soit.
Il n’est pas interdit de penser que l’environnement culturel puisse influencer, conditionner, la manière dont les processus cognitifs agissent* puisque les raisonnements, les catégorisations et la mise en ordre des choses sous forme de concept ne peuvent pas être nécessairement pris pour invariants, ni comme disposant d'une base invariante, l’unicité de la relation cognitive et des catégories qui en résultent n’étant en réalité qu’une hypothèse. Partant de là, il est possible de recourir à l’abstrait et de continuer dans les tréfonds de la philosophie de la connaissance, mais cela n’est pas nécessaire dans le cadre de la question posée et l’on peut s’en tenir au constat de la multiplicité des rapports cognitifs comme point de départ explicatif. Il s'agit de montrer que, si les processus cognitifs peuvent être multiples et irréductibles entre eux pour certains, ils peuvent parfaitement être modifiés par contact culturel. Le lien nouant le comportement à la cognition me semble évident, je ne le développerai donc pas ici.
Pour appuyer mes propos, je prendrai l’acculturation subie par les populations mélanésiennes de Nouvelle-Calédonie. Chez eux, la personne n’était pas individuée. L’identité et le devenir n’étaient donc en rien liés à un corps, mais à une parenté et à un totem ancestral. La « personne » ne disposait pas d’un nom mais de plusieurs, convergents. Il y avait autant de noms que de rapports de parentés, pas de noms « propres » mais des noms de position sociale, pas d’usage exclusif du « je ». Leur langue disposait donc d’une série de mots et de règles propres à leurs processus cognitifs et leurs comportements en était d’autant influencés. Lors de la colonisation, cette population a progressivement migré d’une conception mélanésienne de la « participation sociale » vers une conception occidentale individualiste. Les pratiques et les comportements se sont modifiés suite au glissement du rapport cognitif au contact d’une culture différente. Nous avons donc bien ici, à mon sens, l’exemple d’un ensemble de relations cognitives modifiées par conditionnement social. Les colons ont diffusé leurs processus cognitifs afin de remplacer ceux des colonisés, et le comportement de ces derniers s’en est vu affecté. Ce n’étaient pas l’information et le stockage cognitifs qui étaient différents entre colons et colonisés, mais bien les concepts et les comportements associés.
Plus près de nous, je mentionnais en exemple la tendance à la neutralisation des comportements sexués des petits enfants. Je pourrais également avancer la question portant sur le sentiment d'appartenance d'une personne adulte à un sexe donné. L'origine en est-elle physique ou psychique ? Ce type de questionnement repose sur les relations cognitives de celui qui se le pose. Un processus cognitif donné peut fournir à son "propriétaire" l'évidence d'un sexe caractérisé physiquement qui se manifeste au travers d'un comportement stéréotypé (groupe A) tandis qu'un autre pourrait ne s'en tenir qu'au sexe physique, niant par là une quelconque influence de genre sur le comportement (groupe B). Cette relation cognitive particulière aura d'immanquables répercutions sur le comportement général des deux propriétaires, A et B. Si d'aventure un groupe d'individus A entre en contact avec un groupe B, les influences des uns sur les autres modifieront les rapports cognitifs de telle sorte qu'un nouvel équilibre, A, B ou C, s'établira. Mais dans tous les cas, il y aura glissement d'une partie du processus cognitif de tout ou partie du groupe, et donc modification comportementale.
Pour synthétiser l'idée : les processus cognitifs ne sont pas coulés dans le marbre mais bel et bien multiples, voire irréductibles (et ce point est d'importance) entre eux dans certains cas. Le comportement individuel est influencé par la cognition, tandis qu'elle-même se voit modifiée, influencée, par la proximité sociale.
*(nota : par souci de simplification, je considère ici la saisie d’information puis son stockage comme des fonctions invariantes au sein des processus cognitifs humains, tandis que la partie qui concerne le traitement de ces informations serait quant à lui modifiable)
Dernière édition par Crosswind le Mar 29 Sep 2015 - 14:16, édité 6 fois