Dans l'œuvre platonicienne, la dialectique désigne une certaine façon de pratiquer le dialogue, un entretien questionnant (sens 1). Mais elle désigne aussi la démarche de la pensée dans son ensemble, portée vers la connaissance, ainsi que le résultat de cette démarche (dé-marche : mouvement vers) (sens 2). En ce sens, chez Platon, philosophie et dialectique sont synonymes.
La liquidation des opinions est conçue comme une remontée vers le monde des essences, des formes intelligibles (Aristote récuse la coupure platonicienne entre monde sensible et monde intelligible, cf. infra). Le philosophe est l'ami des Idées, c'est un dialecticien (c'est ainsi, du reste, que se nomme Platon).
Sa méthode est toujours à inventer. Nul ne peut faire la démarche pour un autre. Dans le Philèbe, Socrate dit même que le chemin dialectique lui a souvent échappé, et qu'il s'est parfois trouvé dans une profonde solitude.
La dialectique est une remontée vers les essences, qui permet de rompre avec le monde sensible, et d'accéder à l'universalité. Elle offre le passage du multiple à l'un. Cf. République, Livre VI, et plus précisément l'analogie de la ligne (509c-511e) [ou ici]. Pour comprendre correctement cette analogie de la ligne, trop souvent présentée de manière simpliste, il est recommandé de consulter cette note.
1. Il y a 2 types de connaissance :
- la connaissance dianoétique (διανοητικός, i. e. intellectuel), scientifique au sens étroit ;
- la connaissance noétique ou dialectique (ἡ νὁησιϛ, i. e. l'entendement, l'intelligence), scientifique au sens plein, c'est-à-dire la philosophie selon Platon.
Dans la structure de la ligne, c'est la proportionnalité qui maintient la cohérence de l'ensemble, comme on peut le voir ci-dessous (source : site Philippe Remacle) :
Le segment A/Γ se subdivise en 2 segments plus petits :
- le segment A/Δ correspond aux ombres, aux reflets, aux images et aux œuvres d'art
- le segment Δ/Γ correspond aux objets sensibles
Le segment Γ/B se subdivise également en 2 segments plus petits :
- le segment Γ/E correspond au dianoétique
- le segment E/B correspond au noétique
La démarche dianoétique :
Elle est hypothétique et se sert des essences comme de supports pour ses observations. Mais il lui manque 2 éléments pour mériter le nom de science :
- elle ne connaît pas la raison des essences
- elle ne connaît pas la cohérence naturelle entre les essences elles-mêmes
La démarche noétique :
Elle s'attache à rendre compte de la raison des essences, et des rapports de cohérence entre elles. Mais elle n'y parvient que si elle n'en reste pas à leur niveau : il faut monter encore plus haut, vers le principe même des essences, le principe absolu, anhypothétique (absolu, inconditionné), au-dessus des idées. Platon l'appelle l'Un. C'est lui qui permet de saisir la raison des essences, c'est lui qui donne sa cohérence au monde (qui est déjà une multitude d'uns).
Platon appelle également l'Un, le Bien. Il permet de voir les invisibles, visibles seulement aux yeux de l'âme (cf. ratio cognoscendi et ratio essendi, raison du connaître et raison d'être).
2. On arrive à comprendre rationnellement les choses quand on arrive à comprendre qu'elles sont ainsi. Comprendre rationnellement, c'est comprendre que les essences sont ainsi ; car il est meilleur qu'elles soient ainsi (cf. le principe du meilleur, chez Leibniz). La contemplation du Bien permet de revenir, de redescendre au monde de la connaissance (la philosophie).
Cf., dans le Phédon, le passage sur la causalité. Socrate y cherche une explication rationnelle de la réalité, il cherche à faire intervenir le jugement. Or l'axiologie est le chiffre même de la raison, et permet de rendre compte rationnellement d'un phénomène selon le principe du meilleur. Le terme ultime de la rationalité ne peut être que le Bien. Le Bien est le terme de la démarche dialectique, au delà de l'intelligence, qui ne maîtrise plus rien, mais a atteint la contemplation béate, heureuse (cf. la version mystique du platonisme, mais Platon redescend...)
Quel itinéraire Platon emprunte-t-il ?
La dialectique se définit par 2 mouvements : - le mouvement ascensionnel, qui va de la multiplicité à l'un véritable. Le dialecticien sait faire l'Un à partir des unités multiples. Mais, une fois atteint le terme, il faut en rendre compte, et redescendre. Il faut maîtriser, à partir de la connaissance des essences, la multiplicité au sein du réel. On ne peut imaginer qu'il n'y ait aucun rapport entre le sensible et l'intelligible, d'ailleurs. En redescendant, la dialectique devient la science des divisions réelles au sein du réel. Il faut une technique de division du réel, diviser le réel selon ses articulations naturelles (sens 3).
Aristote voudra réunir ce que Platon avait séparé. Il récusera la pertinence de la coupure entre sensible et intelligible. Selon lui, en effet, les formes sont à l'œuvre au sein même de la réalité. D'un autre côté, il voudra séparer ce que Platon avait unifié : le champ de la connaissance et le champ de l'action, l'ordre du nécessaire et l'ordre du possible (d'après Aristote, l'ordre de l'action ne peut pas faire l'objet d'une science rationnelle). Or, Platon conçoit l'essence comme le modèle du réel et la norme de l'action. L'action est ordonnatrice de la forme, séparée ou immanente, qui est le chiffre même de la réalité. La finalité est le degré suprême de la connaissance rationnelle. Le domaine de compétence et de validité de la raison n'a pas de limite de droit : elle n'est impuissante dans aucun domaine. Rien n'échappe à la compétence de la raison, qui est toute puissante, à la fois comme exigence et comme possibilité virtuelle. Partout, la raison découvre des normes et des formes idéelles qui assurent l'unité du monde.
En conclusion, on peut dire que le prix à payer est l'évacuation, hors du champ de la réalité, du monde sensible. Dans le monde, l'esprit est partout chez lui, parce que l'idée est la réalité véritable. Il n'y a de science qu'a priori, indépendante de l'expérience. Seule la mathématique aurait pu se développer sur de telles bases.
Ce premier rationalisme est un rationalisme ajusté à la constitution de la mathématique comme science. Mais il sera en crise lorsque se constitueront les bases d'une science de la nature, d'une physique, au moment du rationalisme classique, au XVIIe siècle, inauguré par Descartes, Galilée, Spinoza, etc. Mais la philosophie cartésienne de la science entrera presque aussitôt en crise également... Quoi qu'il en soit, au XVIIe siècle, a lieu un renversement majeur : passage du connu, de l'objet à connaître, au sujet connaissant. Ce déplacement est opéré par Descartes : on parlera désormais du sujet de la connaissance, et non plus de l'objet de la connaissance. La philosophie du sujet est née.
La liquidation des opinions est conçue comme une remontée vers le monde des essences, des formes intelligibles (Aristote récuse la coupure platonicienne entre monde sensible et monde intelligible, cf. infra). Le philosophe est l'ami des Idées, c'est un dialecticien (c'est ainsi, du reste, que se nomme Platon).
Sa méthode est toujours à inventer. Nul ne peut faire la démarche pour un autre. Dans le Philèbe, Socrate dit même que le chemin dialectique lui a souvent échappé, et qu'il s'est parfois trouvé dans une profonde solitude.
La dialectique est une remontée vers les essences, qui permet de rompre avec le monde sensible, et d'accéder à l'universalité. Elle offre le passage du multiple à l'un. Cf. République, Livre VI, et plus précisément l'analogie de la ligne (509c-511e) [ou ici]. Pour comprendre correctement cette analogie de la ligne, trop souvent présentée de manière simpliste, il est recommandé de consulter cette note.
1. Il y a 2 types de connaissance :
- la connaissance dianoétique (διανοητικός, i. e. intellectuel), scientifique au sens étroit ;
- la connaissance noétique ou dialectique (ἡ νὁησιϛ, i. e. l'entendement, l'intelligence), scientifique au sens plein, c'est-à-dire la philosophie selon Platon.
Dans la structure de la ligne, c'est la proportionnalité qui maintient la cohérence de l'ensemble, comme on peut le voir ci-dessous (source : site Philippe Remacle) :
Le segment A/Γ se subdivise en 2 segments plus petits :
- le segment A/Δ correspond aux ombres, aux reflets, aux images et aux œuvres d'art
- le segment Δ/Γ correspond aux objets sensibles
Le segment Γ/B se subdivise également en 2 segments plus petits :
- le segment Γ/E correspond au dianoétique
- le segment E/B correspond au noétique
La démarche dianoétique :
Elle est hypothétique et se sert des essences comme de supports pour ses observations. Mais il lui manque 2 éléments pour mériter le nom de science :
- elle ne connaît pas la raison des essences
- elle ne connaît pas la cohérence naturelle entre les essences elles-mêmes
La démarche noétique :
Elle s'attache à rendre compte de la raison des essences, et des rapports de cohérence entre elles. Mais elle n'y parvient que si elle n'en reste pas à leur niveau : il faut monter encore plus haut, vers le principe même des essences, le principe absolu, anhypothétique (absolu, inconditionné), au-dessus des idées. Platon l'appelle l'Un. C'est lui qui permet de saisir la raison des essences, c'est lui qui donne sa cohérence au monde (qui est déjà une multitude d'uns).
Platon appelle également l'Un, le Bien. Il permet de voir les invisibles, visibles seulement aux yeux de l'âme (cf. ratio cognoscendi et ratio essendi, raison du connaître et raison d'être).
2. On arrive à comprendre rationnellement les choses quand on arrive à comprendre qu'elles sont ainsi. Comprendre rationnellement, c'est comprendre que les essences sont ainsi ; car il est meilleur qu'elles soient ainsi (cf. le principe du meilleur, chez Leibniz). La contemplation du Bien permet de revenir, de redescendre au monde de la connaissance (la philosophie).
Cf., dans le Phédon, le passage sur la causalité. Socrate y cherche une explication rationnelle de la réalité, il cherche à faire intervenir le jugement. Or l'axiologie est le chiffre même de la raison, et permet de rendre compte rationnellement d'un phénomène selon le principe du meilleur. Le terme ultime de la rationalité ne peut être que le Bien. Le Bien est le terme de la démarche dialectique, au delà de l'intelligence, qui ne maîtrise plus rien, mais a atteint la contemplation béate, heureuse (cf. la version mystique du platonisme, mais Platon redescend...)
Quel itinéraire Platon emprunte-t-il ?
La dialectique se définit par 2 mouvements : - le mouvement ascensionnel, qui va de la multiplicité à l'un véritable. Le dialecticien sait faire l'Un à partir des unités multiples. Mais, une fois atteint le terme, il faut en rendre compte, et redescendre. Il faut maîtriser, à partir de la connaissance des essences, la multiplicité au sein du réel. On ne peut imaginer qu'il n'y ait aucun rapport entre le sensible et l'intelligible, d'ailleurs. En redescendant, la dialectique devient la science des divisions réelles au sein du réel. Il faut une technique de division du réel, diviser le réel selon ses articulations naturelles (sens 3).
Aristote voudra réunir ce que Platon avait séparé. Il récusera la pertinence de la coupure entre sensible et intelligible. Selon lui, en effet, les formes sont à l'œuvre au sein même de la réalité. D'un autre côté, il voudra séparer ce que Platon avait unifié : le champ de la connaissance et le champ de l'action, l'ordre du nécessaire et l'ordre du possible (d'après Aristote, l'ordre de l'action ne peut pas faire l'objet d'une science rationnelle). Or, Platon conçoit l'essence comme le modèle du réel et la norme de l'action. L'action est ordonnatrice de la forme, séparée ou immanente, qui est le chiffre même de la réalité. La finalité est le degré suprême de la connaissance rationnelle. Le domaine de compétence et de validité de la raison n'a pas de limite de droit : elle n'est impuissante dans aucun domaine. Rien n'échappe à la compétence de la raison, qui est toute puissante, à la fois comme exigence et comme possibilité virtuelle. Partout, la raison découvre des normes et des formes idéelles qui assurent l'unité du monde.
En conclusion, on peut dire que le prix à payer est l'évacuation, hors du champ de la réalité, du monde sensible. Dans le monde, l'esprit est partout chez lui, parce que l'idée est la réalité véritable. Il n'y a de science qu'a priori, indépendante de l'expérience. Seule la mathématique aurait pu se développer sur de telles bases.
Ce premier rationalisme est un rationalisme ajusté à la constitution de la mathématique comme science. Mais il sera en crise lorsque se constitueront les bases d'une science de la nature, d'une physique, au moment du rationalisme classique, au XVIIe siècle, inauguré par Descartes, Galilée, Spinoza, etc. Mais la philosophie cartésienne de la science entrera presque aussitôt en crise également... Quoi qu'il en soit, au XVIIe siècle, a lieu un renversement majeur : passage du connu, de l'objet à connaître, au sujet connaissant. Ce déplacement est opéré par Descartes : on parlera désormais du sujet de la connaissance, et non plus de l'objet de la connaissance. La philosophie du sujet est née.