RAPPEL DE CE QUI A PRÉCÉDÉ
Euterpe a écrit:Quant à la tragédie grecque, on en a compris l'essentiel.
Liber a écrit:A mon avis, on n'en sait pas beaucoup plus que du temps de Racine.
Euterpe a écrit:Parce que le temps de Racine est éminemment politique, ce qui n'est plus le cas de notre époque essentiellement sociologique. Or la tragédie grecque, au fond, c'est de la politique. De plus, sous l'ancien régime, il n'y a pas exactement des rapports sociaux, mais des rôles (la vie est publique, même si la vie privée existe aussi). Aujourd'hui, on passe tout à la râpe psychosociale, et on demande aux tragédies grecques de nous montrer des personnages torturés, pour les soumettre à nos quenouilles intellectuelles. Tout de même, nous avons des interprétations devenues incontournables, même et surtout quand elles sont personnelles voire originales, et qui échappent aux paquets de nœuds dont raffolent nos contemporains.
Liber a écrit:Euterpe a écrit:Tout de même, nous avons des interprétations devenues incontournables, même et surtout quand elles sont personnelles voire originales, et qui échappent aux paquets de nœuds dont raffolent nos contemporains.
Hegel, Nietzsche, entre les plus célèbres. Malgré tout, que sait-on réellement des origines de la tragédie, et plus généralement, du théâtre grec ? Comment les Grecs en sont-ils venus à cette forme de représentation ? On connaît beaucoup mieux le déroulement des concours et du spectacle lui-même. Dionysos semble avoir joué un rôle majeur au début, mais cela aussi est une hypothèse, et le fait qu'il n'existe qu'une seule pièce sur le sujet, les Bacchantes d'Euripide, ne parle pas en faveur d'une origine dionysiaque de la tragédie.
Euterpe a écrit:Celle de Schopenhauer vaut tout autant, comme celle de Clément Rosset, helléniste sûr, qui est absolument remarquable.
Liber a écrit:Malgré tout, que sait-on réellement des origines de la tragédie, et plus généralement, du théâtre grec ? Comment les Grecs en sont-ils venus à cette forme de représentation ?
Euterpe a écrit:La tragédie est trop violente pour qu'on ne subodore pas certaines choses. Nietzsche a des intuitions géniales, qui restent debout même quand on les a critiquées, lui le premier. Walter Otto, et bien d'autres ont abattu un travail solide. Et puis littéralement, la tragédie, c'est une boucherie. C'est quand même éloquent.
Liber a écrit:Euterpe a écrit:Et puis littéralement, la tragédie, c'est une boucherie. C'est quand même éloquent.
Vous voulez dire la légende de Dionysos déchiré ? Je vois plus la boucherie de la tragédie comme le résultat du destin. S'il y a un "dieu" de la tragédie, il est là. Mais quel est le rapport entre Dionysos et la destinée ? Nietzsche en établit un quand il interprète Dionysos en tant que dieu de la souffrance, du moins, de l'acceptation de la souffrance. Aristote faisait déjà de la souffrance devant l'horreur tragique un motif à philosopher. Certes, Nietzsche, par son interprétation amorale, corrige l'invraisemblance de la catharsis. Néanmoins, pouvons-nous dire que tel était le but, même inconscient, des tragédies grecques ? Ne mélange t-il pas trop le pessimisme grec de Burckhardt avec la religion chrétienne, religion de la souffrance ?
Liber a écrit:Mais quel est le rapport entre Dionysos et la destinée ?
Dans l'altérité, la peur et les souffrances étant plutôt les conséquences du rapport avec l'altérité, sous toutes ses formes. On peut supposer que le théâtre tragique est une forme très tardive, et raffinée à l'extrême, de pratiques sacrificielles très anciennes, qui furent de plus en plus simulées pour une meilleure économie sociale, et que la simulation elle-même fut de plus en plus sophistiquée pour rester crédible, le réalisme cruel (et cru) du tragique garantissant l'efficacité du rituel originel.
Liber a écrit:Aristote faisait déjà de la souffrance devant l'horreur tragique un motif à philosopher. Certes, Nietzsche, par son interprétation amorale, corrige l'invraisemblance de la catharsis.
C'est curieux, je n'ai jamais entendu la catharsis en ce sens, qui me paraît occulter l'expurgation. C'est moins de la souffrance devant l'horreur que de la jouissance et la possibilité d'accomplir soi-même l'horreur tragique en la fantasmant, que me paraît parler Aristote. En gros, la tragédie permet à chacun de satisfaire sa propre violence en la vivant, ce qui évite à la collectivité des citoyens de se trucider les uns les autres. Bref, ça évite la multiplication des psychopathes, qui n'ont justement pas de fantasmes.
Dernière édition par Euterpe le Mer 12 Fév 2014 - 23:29, édité 3 fois