friedrich crap a écrit: Qu'est-ce que cette activité de l'esprit que craignent tant les défenseurs de la vie ordinaire ? La philosophie a-t-elle plus de chances d'être le ciment ou la dynamite de la société ? Je penche pour la dynamite
Le problème avec la philosophie, c'est qu'elle ne s'accommode pas de l'ordinaire, les deux seraient même plutôt incompatibles. Mais que défendent les défenseurs de la vie ordinaire, en la défendant contre la philosophie ? De quelle sorte de dynamite veulent-ils être garés ? D'abord, ils constatent très vite que le philosophe parle une langue étrangère, qu'ils ne peuvent ni ne veulent comprendre, souvent, parce que ça leur semble dire des choses simples avec des mots compliqués. Attitude courante et qu'on peut définir en ces termes à peu près : "ce que je ne comprends pas, c'est incompréhensible ; si c'est incompréhensible, il n'y a rien à comprendre ; s'il n'y a rien à comprendre, le philosophe, au mieux est un fou, au pis est un original (fou on peut le prendre en pitié, original, on peut le mépriser)".
Il existe donc d'emblée deux positions inconciliables : celle de celui qui ne comprenant pas, pense qu'il y a quelque chose à comprendre, la preuve : il ne comprend pas ; celle de celui qui, ne comprenant pas, et supposant à juste titre qu'il n'est pas moins doué de raison, conclut à tort que s'il y avait quelque chose à comprendre, il l'aurait compris, mais à moindre coût (genre : paf le chien).
C'est la question du coût, qu'on néglige le plus souvent. La plupart des grands philosophes ont tout plaqué ou presque, pour la philosophie, comprenant qu'ils en auraient pour un bail indéterminé, et que ça leur coûterait très cher. Entrer en philosophie, c'est ne pas en revenir. C'est donc se rendre la vie impossible, et quand il essaie de vivre quand même (couple, vie normale, séries tv, soirées à la con avec des abrutis), il se rend vite compte qu'il lui est presque impossible d'établir un chèque, d'acheter du pain, de sortir le chien, de ne pas renverser son café, etc. Qu'a-t-il donc, ce philosophe ? Il est occupé par des pensées, et comme on ne décrète pas à quelle heure elles doivent commencer ou s'arrêter, ça se complique. Mais ce décalage d'avec le réel lui montre que le réel n'est pas l'ordinaire. L'ordinaire, c'est le réel devenu absurde, invivable. Alors autour d'un thé le dimanche après-midi, comme chacun critique son ordinaire, la critique du philosophe paraît normale. Mais quand les autres reprennent l'ordinaire tous les lundis, le philosophe continue à critiquer l'ordinaire. Tout l'emmerde, et tout le monde, mais du coup il emmerde tout le monde. Il y a du Bacri dans chaque philosophe. De la dynamite, mais une dynamite douce.
Silentio a écrit: On en vient aussi à Leo Strauss.
Absolument. Du coup j'essaierai de relire deux ou trois de ses œuvres avant la rentrée.