C'est une question fondamentale, voire essentielle. :roll:
Je vais essayer de répondre, je préviens que je ne suis pas spécialiste de la question. Je risque de tourner autour de l'être - du pot - plutôt que de m'attaquer directement à une notion aussi compliquée.
Comme le disait Parménide, l'être c'est ce qui est. Mais encore, qu'est-ce que cet être qui se fonde lui-même, y a-t-il autre chose à dire qu'une tautologie ? Cependant, si l'être c'est ce qui est, ce qui fait présence (le monde), alors nous avons un nouveau problème, parce que le monde, que Platon qualifie de sensible, et qui est le seul à nous apparaître (à-part-être ?), est changeant. Les choses ne sont plus ce qu'elles sont sous les effets du temps et du mouvement, tout en demeurant les mêmes. Étrange paradoxe. Comment ce qui est peut-il s'altérer tout en demeurant identique à lui-même ? Cette identité n'est-elle pas factice ? Pourtant nous voyons bien les mêmes choses ; elles seraient toutefois dissemblables. La question que pose Socrate, "qu'est-ce c'est ?" vise à définir la quiddité d'une chose (ce qui fait qu'elle est bien cette chose, en tant qu'on la reconnaît comme appartenant à un groupe définissable des choses dont on considère qu'elles sont communes). Qu'est-ce qu'une pomme si elle n'est pas encore, mais en train d'être, puis qu'elle est et qu'enfin elle pourrit ? L'être de la pomme, sa quiddité, c'est ce qui fait que l'on peut parler d'une pomme par-delà ses qualités sensibles. Si l'on veut distinguer cette pomme en particulier, on cherchera ce qui fait son eccéité (c'est cette pomme-ci, pas celle-là, mais les deux sont des pommes). L'être, comme définit ici, requiert de considérer la raison des choses, ce que Platon appelle les Idées, leurs traits (formes) fondamentaux et irréductibles (Arendt emploie souvent l'explication selon laquelle contempler les Idées, eidos, c'est percevoir en soi pour l'artisan la forme de l'objet attendu : si j'imagine une table, je sais qu'une table se définit et se construit, disons selon un modèle standard, avec quatre pieds). D'une certaine manière, si le monde sensible est (à sa manière), l'être est pourtant en dehors de ce monde. Ce dernier en dépend, mais l'être est parfait, intemporel, coexistant au monde qui en provient. Parménide conçoit l'être comme une sphère (ce qui me donne personnellement à penser l'Être comme unité et plénitude). Penser l'être revient à connaître la vérité, c'est-à-dire à employer sa raison pour déceler dans le monde les principes dont il est le résultat (certes imparfait), principes qui ordonnent le monde (les Idées seraient-elles au cœur de la phusis sur laquelle prend appui le nomos des hommes ? Est-ce le rôle du logos que de les trouver dans la phusis pour les donner à l'homme éveillé - je pense au logos héraclitéen - ?).
Cependant, il a bien fallu inventer un langage pour dire ce qui est, langage qui suppose et assure la stabilité au monde en en objectivant le contenu sensible, en procédant par abstraction et négation. Mais pour Platon, cela signifie que le monde sensible est à l'image, "détériorée", "avilie", de principes supérieurs qui le définissent, assurent qu'il soit (qu'il ne soit ni néant, ni règne de l'éternel, mais devenir d'un monde qui se conserve aussi). C'est une manière, bien évidemment anachronique, de donner une réponse à la question de Leibniz, qui consiste en cet étonnement philosophique : pourquoi y a-t-il de l'être et non pas rien ? Autrement dit, pourquoi existons-nous, pourquoi y a-t-il un cosmos ? L'être, c'est tout de même mystérieux, ça pourrait sembler une pure présence gratuite du monde, au monde. Poser la question de l'être, c'est comprendre cette présence. Mais il faut inventer un langage pour cela, et le langage ne réussit jamais complètement, car il n'est que représentatif, voire doublure du monde et de lui-même, représentation de la représentation, métaphore de métaphores. Le monde, dans sa singularité, échappe au langage. L'être est tautologique, il faudrait expliquer la présence de la présence, le principe qui enroule l'être sur lui-même, il faudrait également pouvoir dire l'être dans ce qui n'est pas dicible. Le langage est réducteur et coupé, en une partie quasiment infinie (parce que toujours transcendante et inconnaissable), de l'expérience du monde.
Lorsque Descartes "découvre" le cogito, il creuse un gouffre entre la conscience (le sujet) et le monde (l'objet). Le langage devient trompeur (les nominalistes combattent l'abstraction platonicienne, préférant considérer la particularité de chaque chose), il ne peut plus être logos, discours sur l'ordre des choses. Le monde est devenu le monde des phénomènes, le monde de l'apparence et des forces en conflit (Machiavel sépare l'être et le devoir-être, certes en politique et pour écarter l'éthique, mais du même coup c'est aussi une distinction ontologique, qui laisse la place à l'action et à la contingence ; on découvrira certes des lois de l'univers, aussi nécessaires que les mathématiques). Mais Descartes croit encore à la raison, il réussit à faire reposer l'ordre du monde sur un bon génie, Dieu. Pourtant, ça n'empêche pas peu à peu l'émergence d'un idéalisme confondant l'être et la conscience. Berkeley dit bien qu'être c'est être perçu. Le monde ne saurait exister hors de l'esprit qui s'y rapporte. En nominaliste, il pourrait préfigurer l'idée selon laquelle le réel est multiple, mais Berkeley lui-même pour assurer l'ordre des choses et la raison humaine et sa connaissance, fait émaner les perceptions et sensations de l'entendement divin. Être c'est être perçu, mais connaître c'est connaître que la raison ultime des choses repose en Dieu. Je suppose que la question de l'être devient épineuse avec Hume lorsqu'il réfute la causalité, parce qu'alors il n'y a plus d'ordre, plus de principe, plus rien qui explique le monde, il n'y a que des phénomènes issus d'un chaos fondamental (je n'ai pas lu Hume ; n'hésitez pas à me rectifier, de même que pour le reste). Kant veille à (r)établir un fondement (intelligible) aux phénomènes, au monde, objet de connaissance et de raison, dont la chose en soi (inconnaissable) est une garantie (voire la condition de possibilité ?).
Nietzsche dira que le devoir-être n'a pas raison d'être, ou plutôt que le devoir-être c'est l'être, que seul ce qui est est nécessaire (ou que le nécessaire c'est le monde des apparences, qui ne sont finalement apparition d'aucune autre chose que d'eux-mêmes ou matérialisation de forces qui sont ce monde, il n'y a pas de chose en soi) puisqu'il s'actualise (ce qui rejoint en partie la formule de Hegel, "le réel est rationnel", même si les deux philosophes s'opposent et pensent tous deux la liberté à leur manière). Il n'y a pas de principe extérieur au monde, ce dernier a son principe en lui-même. La volonté de puissance est l'être de l'étant, pour Heidegger. Toutefois, il faudrait distinguer être et étant. On pourrait dire, en tout cas, en considérant la temporalité, que la volonté de puissance se confond avec le devenir, transcendance du monde vers d'autres états, d'autres répartitions de la force. Il n'est plus question ni de vérité ni de Dieu. Cela dit, on pourrait aussi dire que l'être est la totalité indistinguable du monde ; mais le monde (la nature, substance unique) est composé de modes de l'être (Spinoza), de sorte de chacun est un morceau d'un monde morcelé (multiplicité de l'être ouvert et non clôturé, non ramené à l'Un chez Deleuze), et la conscience et l'ex-istence sont elles-mêmes des ouvertures qui permettent l'expérience du monde, mais sont aussi, par le surgissement du temps dans l'éternité, une négation, une trouée de l'être et de l'éternel. Être au monde, ce serait donc y participer tout en s'en distinguant en son sein (tout dépend du plan où l'on se place, du côté de l'individuation ou du côté de la spéculation qui fait participer toute altérité à l'Un).
Dernière édition par Silentio le Mer 14 Sep 2011 - 17:08, édité 3 fois