jean ghislain a écrit: Quand, par exemple, notre imagination nous a emporté illusoirement vers des réalisations que nous sommes incapables d'accomplir.
Est-ce que pour autant il faut s'interdire d'espérer et d'agir ? Est-ce qu'on ne peut pas aussi espérer tout en faisant preuve de prudence, ou bien cette dernière empêche-t-elle définitivement tout souhait tourné vers ce qui ne dépendrait pas de nous ? Faut-il ne pas envisager les différents possibles par crainte de leurs conséquences, ou bien espérer est-il libérateur face à nos craintes et la seule manière pour nous de faire notre vie, de lui donner un sens, en luttant contre l'incertitude qui est la condition principale de notre existence ?
jean ghislain a écrit: C'est tellement le sentiment des mauvais jours, que l'espoir semble servir au plus malheureux, voire à l'esclave.
Le maître n'a-t-il aucun espoir ? Est-il, comme par magie, délivré de tout malheur et de toute faiblesse ?
jean ghislain a écrit: Pris dans l'inextricable, notre imagination nous joue des tours, et pourquoi ne pas dire qu'elle peut nous rendre fou ?
Mais l'homme est un animal malade selon Hegel et fou d'après Castoriadis : c'est, pour ce dernier, le seul animal qui ne soit pas adapté à son environnement et qui ne puisse survivre sans d'une part l'invention de la société et d'autre part sans sa créativité permise par son imagination radicale, phantasmatisation défonctionnalisée qui pose sur/dans/à partir de ce qui est ce qui n'est pas et ce en permanence dans un flux qui fait surgir des représentations, des affects et des désirs.
jean ghislain a écrit: Ne parle-t-on pas d'espoir fou ?
Je ne connais pas cette expression, pourriez-vous donner un exemple de son utilisation ?
jean ghislain a écrit: Né dans la faiblesse, l'espoir ne nous reconduit qu'à la faiblesse en nous faisant ravaler notre déception.
Pourtant cet espoir a semble-t-il mobilisé de grandes forces, que ce soit en religion ou en politique.
jean ghislain a écrit: Pourquoi craindre l'espoir alors ? Que peut-on craindre dans une situation où l'on s'est projeté et où l'on reste certain de la bonne suite des événements ?
Mais l'espoir est-il la même chose que la certitude ? Si nous étions certains du futur nous n'espérerions pas. Nous ne connaissons pas ce qui est comme à-être et nous avons à faire notre vie en dépit de l'incertitude fondamentale du cours des événements et parce que nous avons cette incertitude. C'est cela aussi qui nous permet d'exercer notre liberté. L'espoir permet de se lancer dans des projets que nous n'oserions pas entamer si nous pensions que tout est vain et inutile. Et c'est parce que nous ne pouvons prévoir les conséquences de nos actes que nous devons être responsables en maintenant une certaine prudence vis-à-vis de la démesure que peuvent susciter nos désirs et nos espérances.
jean ghislain a écrit: Rester sur un espoir peut aussi empêcher de penser au pire. Faut-il ne pas penser le pire et espérer toujours le meilleur ?
Ce serait s'aveugler. Mais l'espoir est plutôt une réserve de force, quelque chose qui permet de continuer à vivre malgré les événements néfastes qui s'abattent sur nous. C'est une visée prenant en compte le fait que le temps est encore ouvert vers un avenir et que d'autres événements peuvent changer notre situation, pourquoi pas en bien, et qui donne à nos actes un plan où s'inscrire, ce qui donne du sens à ce que nous faisons et nous permet de nous accrocher à la vie. Je peux perdre ce que j'ai de plus cher, par exemple si mon épouse meurt d'un cancer. Mais étant toujours en vie je peux espérer apprendre à vivre avec cette perte et me reconstruire sachant que mon futur est indéterminé et qu'en agissant et en profitant des bonnes occasions, si elles se présentent, je pourrai "refaire" ma vie. C'est cela qui doit me permettre d'endurer et de surmonter mes souffrances, c'est cela qui fait que ma vie peut encore avoir un sens, c'est cela qui m'empêche de mettre fin à mes jours dans l'instant.
jean ghislain a écrit: Quand l'homme porte son espoir envers l'autorité, il sublime ses désirs et vit mieux en société. Cela serait valable dans une société qui défendrait le bien général.
J'y vois plutôt une forme d'aliénation ou d'assistanat. Si je ne participe pas à l'autorité, si elle est séparée de moi, comment puis-je être libre ? Ne tombe-t-on pas dans une société hétéronome lorsque l'on reconnaît le pouvoir d'une instance transcendante d'après son savoir ? Je ne parle pas ici de la relation maître-élève, c'est autre chose. Il me semble que cet espoir placé dans cette autorité, parce que nous craignons pour notre vie et avons besoin de sécurité nous incite à renoncer à notre liberté (c'est le modèle hobbesien). C'est là aussi que l'espoir devient espérance au sens religieux et que l'on se soumet à une instance qui décide pour nous. Cependant, la société doit effectivement fournir du sens à l'existence humaine, sans quoi elle dépérit. Quant à la sublimation, elle a lieu dans quasiment toutes nos activités si on se réfère à Castoriadis, en tant notamment que l'on passe, par exemple lorsqu'on parle, d'un plaisir d'organe à un plaisir tiré de la formation de représentations. On investit affectivement des représentations imaginaires qui composent notre monde.
jean ghislain a écrit: Or la société ne conduit-elle pas l'homme sur la voie imposée par un rapport social de forces ?
Si, bien entendu, mais est-ce tant que ça imposé au sens où ce serait une fatalité ? Faut-il se retirer en soi-même, se retirer du monde, se résigner et laisser toute domination se réaliser comme un destin ? Ou faut-il justement, pour cette raison même, lutter et espérer, pour être autonome et l'être en étant responsable, c'est-à-dire en assumant le risque inhérent à toute entreprise humaine ?
Dernière édition par Silentio le Dim 11 Mar 2012 - 22:08, édité 1 fois