La liberté chez Hegel.

J'ai trouvé au hasard une citation de Hegel qui m'interroge depuis quelques mois (c'est une formule que je trouve exceptionnelle) et dont je ne connais ni la source (dont j'aurais besoin) ni le sens réel (même si j'en ai une interprétation qu'il ne s'agit pas ici de donner). Pourriez-vous m'aider ?

Hegel dit, en effet, qu'être libre c'est être chez soi dans l'autre (ou l'Autre). Je suppose que cela signifie avoir formé un Soi en ayant formé un rapport particulier avec l'Autre qui ne le nie pas et que c'est aussi être chez soi dans le monde malgré toute incertitude et tout danger. Est-ce une forme de réconciliation avec le monde ou assumer sa propre finitude et accueillir l'Autre en soi-même ? Est-ce d'ailleurs une conception du Soi comme Même dévorant l'Autre (comme dans le système hégélien, si on prend par exemple la critique qu'en fait Levinas) ou non ? Et comment Hegel envisage-t-il la liberté, notamment des sujets, alors même que sa conception de l'histoire est déterministe ?

Sauriez-vous aussi quels paragraphes je peux lire concernant la liberté (individuelle et/ou politique) dans la Propédeutique philosophique ?

Essai de réponse imparfaite à votre première question.

La "liberté" est assimilée au fait "d'être chez soi" notamment dans Encycl1, §23. En trouvant l'homme dans le réel, par une connaissance approfondie de soi-même et des choses, qui permet de se reconnaître dans les choses (et de reconnaître celles-ci en soi-même ?), on se libère de la contrainte qu'est le souhait indéterminé.

Vos questions me donnent terriblement envie d'approfondir...

La liberté équivaudrait-elle donc à l'acceptation de la fatalité ("ce qui est réel est rationnel, et ce qui est rationnel est réel" : le réel est tel qu'il doit être, ce qui doit être est) ?

Silentio a écrit:

La liberté équivaudrait-elle donc à l'acceptation de la fatalité ("ce qui est réel est rationnel, et ce qui est rationnel est réel" : le réel est tel qu'il doit être, ce qui doit être est) ?

La phrase que vous citez (préface des Principes de la philosophie du droit), donne lieu à controverse : il semble qu’une traduction conforme à la pensée de l’auteur – et à ses autre écrits (Encycl. 1 §6) – doive être : « Ce qui est rationnel est effectif (et non "réel") et ce qui est effectif est rationnel ». « Effectif » signifie ici seulement une part du réel, fondamentale mais à laquelle il ne se réduit pas. Il ne s’agit pas d’une simple nuance : le réel n’est rationnel, selon Hegel, que dans ses déterminations essentielles et nécessaires. Mais Hegel ne nie pas l'existence dans le réel d'une part contingente, phénoménale, non rationnelle. Il n’est, à partir de là, résolument pas possible d’en conclure que « ce qui doit être est » : il me semble que cette distinction ouvre un espace entre « l’être » et « l’avoir à être » qui est celui d’une liberté humaine vue comme tout autre chose qu’une acceptation de la fatalité.

Une perspective de la formule de Hegel que vous mentionnez ("Être libre, c'est être chez soi dans l'autre") n’est-elle pas de poser la liberté non pas d’abord comme une valeur ou comme une fin de l’action, mais bien comme un lieu de l’existence humaine, lieu conquis par une prétention à la vérité ?

Grégoire Franz, "L'attitude hégélienne devant l'existence", Revue Philosophique de Louvain, Troisième série, Tome 51, N°30, 1953, pp. 187-232.