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Nietzsche et le christianisme.

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3 participants

descriptionNietzsche et le christianisme. - Page 2 EmptyRe: Nietzsche et le christianisme.

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Cela me rappelle une ancienne discussion. J'avais donné à lire le texte de Cacciari et distinguait l'attitude de Nietzsche envers Jésus de celle envers le christianisme comme perversion initiée par Paul. Mais on m'avait ri au nez. Là où Nietzsche est très clair dans l'Antéchrist, on m'avait répondu que Nietzsche était ironique tout du long (alors que pour moi le message de la bonne nouvelle est très clairement repris par Nietzsche ou, en tout cas, son contenu ne diffère pas essentiellement de la position de Nietzsche). Certes, la formule de Nietzsche peut être ironique mais on peut distinguer entre Jésus, le seul chrétien qu'il y eut et mort sur la croix (dixit Nietzsche), et le Christ comme création mythologique du christianisme (servant aux fins du pouvoir). Même si Nietzsche reste ambigu sur Jésus, sa position rappelle celle que tenait Kierkegaard avant lui (le christianisme authentique, originaire, vs. l'Église comme organisation politique). Difficile de se faire entendre toutefois ; d'où mon "goût" (ou mon intérêt) également pour le christianisme tout en étant proche de Nietzsche sur certains points (sans dire toutefois qu'il était chrétien sans l'admettre ou mènerait nécessairement à la conversion si on le lisait correctement).

descriptionNietzsche et le christianisme. - Page 2 EmptyRe: Nietzsche et le christianisme.

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Je me souviens très bien de cette discussion, où vous compariez le Christ au Surhomme, ce qu'à bon droit, nous avions trouvé incohérent. Le Christ est un faible, absolument pas le modèle du Surhomme. Quant à la bonne nouvelle, cela veut dire pour Nietzsche que le Christ croyait que le paradis était déjà sur terre. C'était ça la bonne nouvelle. Aimez-vous les uns les autres, et tout ira pour le mieux.

Certes, la formule de Nietzsche peut être ironique mais on peut distinguer entre Jésus, le seul chrétien qu'il y eut et mort sur la croix (dixit Nietzsche), et le Christ comme création mythologique du christianisme (servant aux fins du pouvoir).

Nietzsche oppose en effet le Christ et ses successeurs, mais pourquoi ? Pour mettre en lumière l'aspect quasi bouddhiste du christianisme primitif, qui n'était pas alors déformé par l'idéal de la Judée, le judaïsme pour le dire carrément, dans lequel Nietzsche voit tous les maux de l'humanité occidentale. Il se rangeait même au nombre de ceux qui disaient que les Juifs seuls étaient responsables de la décadence romaine, pas les chrétiens, mais les Juifs. Toujours selon son idée que le peuple juif, à la volonté de puissance contrariée par Rome, usa de bassesse pour s'emparer sournoisement du pouvoir en séduisant les faibles, ce que les Romains, les forts par essence, le peuple aristocratique par excellence, ne pouvaient imaginer.

Euterpe a écrit:
Liber a écrit:
Nietzsche est le plus radical des anti-chrétiens.

On le dit beaucoup, mais une lecture même peu attentive de l'Antéchrist montre que Nietzsche est beaucoup plus nuancé, au moins au regard de la place qu'il accorde à Jésus, qui n'est pas un négateur ou un nihiliste, mais un symboliste.

Mais bien sûr que Jésus est un nihiliste, Nietzsche le compare même à Bouddha. Il dit que sans les Juifs, les chrétiens se préparaient à installer un nouveau bouddhisme en Europe. Pourquoi Nietzsche aime le Christ ? Simplement parce qu'il n'était pas revanchard, il était incapable de vengeance, il était innocent comme un petit enfant. Voilà ce que Nietzsche trouve de bien en lui. Sur ce plan là, oui il se sent très proche du Christ, Nietzsche qui était incapable de ruse et s'en plaignait souvent, faible comme il se retrouvait devant les manigances des femmes, sa soeur en particulier.

descriptionNietzsche et le christianisme. - Page 2 EmptyRe: Nietzsche et le christianisme.

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Liber a écrit:
Je me souviens très bien de cette discussion, où vous compariez le Christ au Surhomme, ce qu'à bon droit, nous avions trouvé incohérent.

Mais comparer ce n'est justement pas dire que c'est la même chose ! J'ai pu dire des bêtises à certains moments, ça m'arrive, mais c'est dû au fait d'essayer de démêler le plus possible certains fils sur la base de certaines hypothèses à fonder ou à rejeter - et pour cela il faut aller au fond des choses, le plus loin possible. Mais ce que j'ai pu dire, en tant qu'expérience de pensée, n'était pas forcément mon opinion. Il est vrai que j'ai rapproché Jésus du Surhomme, sans toutefois les faire coïncider (car, d'une part, on ne comprendrait pas la singularité de la pensée de Nietzsche, ce qu'elle dit de nouveau, si les deux étaient le même, et d'autre part, si je voulais que les deux fussent le même je l'aurais assumé comme création personnelle et non comme interprétation grossière de Nietzsche que j'essaye toujours de ne jamais réduire à une seule explication, à un seul visage).

Au mieux, ce qui me vient maintenant à l'esprit, c'est surtout que Jésus est un créateur de nouvelles valeurs et qu'il affirme la vie ici et maintenant. Créateur qui est aussi celui qui subvertit les anciennes valeurs et transforme le monde, de la même manière que le monde se recompose autour du génie par le fait même qu'il existe, comme un centre de gravité autour duquel tournerait un nouveau système solaire avec un nouvel ensemble de coordonnées. Il est aussi celui qui prend sur lui les péchés des hommes et rend le monde à son innocence. Il dit aussi que le Royaume n'est pas dans un au-delà, mais en nous-même et sur terre. Éventuellement, Jésus est un prototype du Surhomme, il en annonce certaines qualités, mais Nietzsche est obligé de dépasser la figure christique, de penser l'outre-homme. Il a une phrase, d'ailleurs, en parlant du Surhomme, "César avec l'âme du Christ". Bref, je ne pense pas que Nietzsche soit systématiquement opposé à Jésus, mais il est difficile de déterminer le rapport qu'il entretient avec lui.

Par contre, ce qui était clairement ma position, c'était de repenser Jésus, différencié du Christ, et de voir si on pouvait le réhabiliter ou de comprendre en quoi il mène à son plus proche parent, - pourtant si éloigné -, qu'est Dionysos. Deux figures présentes dans une tradition que j'avais évoquée et qu'on retrouve jusque dans l'œuvre de Hölderlin dont Nietzsche fit la lecture. Jésus n'est pas, par exemple, celui qui rejetterait le monde à cause de la souffrance de l'individuation, au contraire de la figure mortuaire du Christ qui béatifie Jésus et le fossilise, lui et son message, pour les retourner contre la vie elle-même. Certains chrétiens, qui ont lu Nietzsche, cherchent d'ailleurs une nouvelle façon de penser la foi et Dieu après Nietzsche, contre l'Église, sa Loi et sa morale, et d'autres disent même que Nietzsche ne connaissait que le protestantisme, oubliant la vitalité du catholicisme et d'autres courants, et oubliant surtout la Résurrection qui magnifie la vie et effectue le retour de la vie en ce monde, après avoir surmonté la mort, une vie éternelle sur terre. C'est à cela que j'avais essayé de réfléchir puisque j'aime considérer les différents points de vue. Enfin, je trouve intéressante de penser la vie dans son affirmation, toujours prise avec la souffrance, et de voir ce qu'on peut tirer de mieux de l'enseignement de Nietzsche et de celui du Christ pour affirmer une vie qui fait sa propre épreuve et s'affirme néanmoins, toujours créatrice (cf. Arendt par exemple) et par-delà la simple opposition binaire Bien-Mal (ou fort/faible par nature) entre l'"athéisme" nietzschéen et le christianisme.

Vous parlez aussi d'un Jésus faible, mais j'ai écouté Paolo d'Iorio dans Bibliothèque Médicis (LCP) ce week-end, venu présenter son Voyage de Nietzsche à Sorrente : Genèse de la philosophie de l'esprit libre : il y affirmait qu'au contraire du darwinisme social (Spencer), Nietzsche considérait que seuls les ratés de la société étaient susceptibles d'être de prodigieux créateurs et que pour cela il fallait les rassembler sur une île et leur donner tous les moyens possibles pour les enlever aux contraintes de la société. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que Jésus n'est pas lui aussi ce raté capable de créer de nouvelles valeurs, ce décadent créateur ou législateur, cet homme "mauvais" (au sens de celui qui corrompt et subvertit la loi et la morale ; surtout pour faire de la place à la liberté individuelle) considéré ensuite par l'histoire comme un saint (ou un dieu !). Après oui, ce qu'il a créé est à l'opposé de ce que Nietzsche veut ; il déplore et veut détruire le christianisme, il veut "casser en deux l'histoire du monde" pour renverser l'inversion chrétienne des valeurs, remettre le monde et l'homme sur leurs pieds. L'antéchrist serait alors celui qui annonce l'Apocalypse, la fin du monde chrétien, pour un nouveau commencement. En ce sens, Nietzsche s'est vu en sauveur, en messie contre la folie chrétienne (qui est toutefois due à la dégénérescence du discours christique) ou en prophète d'un nouveau monde à venir.
Liber a écrit:
Nietzsche oppose en effet le Christ et ses successeurs, mais pourquoi ? Pour mettre en lumière l'aspect quasi bouddhiste du christianisme primitif, qui n'était pas alors déformé par l'idéal de la Judée, le judaïsme pour le dire carrément, dans lequel Nietzsche voit tous les maux de l'humanité occidentale. Il se rangeait même au nombre de ceux qui disaient que les Juifs seuls étaient responsables de la décadence romaine, pas les chrétiens, mais les Juifs. Toujours selon son idée que le peuple juif, à la volonté de puissance contrariée par Rome, usa de bassesse pour s'emparer sournoisement du pouvoir en séduisant les faibles, ce que les Romains, les forts par essence, le peuple aristocratique par excellence, ne pouvaient imaginer.

Peut-être s'agit-il de reprocher à Paul son revirement et d'être toujours un Juif dont la volonté de puissance est tournée vers le monde. Le christianisme, ce serait le nouvel avatar du judaïsme pour conquérir le monde. L'universalisme comme impérialisme.

descriptionNietzsche et le christianisme. - Page 2 EmptyRe: Nietzsche et le christianisme.

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Silentio a écrit:
Au mieux, ce qui me vient maintenant à l'esprit, c'est surtout que Jésus est un créateur de nouvelles valeurs et qu'il affirme la vie ici et maintenant. Créateur qui est aussi celui qui subvertit les anciennes valeurs et transforme le monde

Je le vois plutôt abandonner la création de valeurs, ne pas chercher à transformer le monde. Jésus était un nihiliste, comme Bouddha. Relisez ce que dit Nietzsche dans la Volonté de puissance, sur le nihilisme européen, le "nouveau bouddhisme". Le christianisme de Jésus, le tout premier donc, était déjà un nouveau bouddhisme. Cela est dit clairement dans l'Antéchrist.

Éventuellement, Jésus est un prototype du Surhomme, il en annonce certaines qualités, mais Nietzsche est obligé de dépasser la figure christique, de penser l'outre-homme. Il a une phrase, d'ailleurs, en parlant du Surhomme, "César avec l'âme du Christ". Bref, je ne pense pas que Nietzsche soit systématiquement opposé à Jésus, mais il est difficile de déterminer le rapport qu'il entretient avec lui.

Il y a chez Nietzsche ce qui appartient à la foi perdue de son enfance. Nous savons (mais c'est toujours pareil dans ce cas) peu de choses sur le sujet. Je ne sais pas si vous avez lu L'effondrement de Nietzsche, de Podach, l'auteur établit un parallèle entre la date de la crise de folie à Turin et l'importance que constituait pour lui les fêtes de fin d'année. "César avec l'âme du Christ", aucun problème d'interprétation ici. Le surhomme nietzschéen doit retrouver l'innocence en plus de la puissance. On peut tout de même s'étonner de sa vision de l'aristocratie, dont il ôte sa caractéristique première, le machiavélisme. A la Renaissance, période prise comme modèle par Nietzsche, les coups tordus étaient la règle. Cela dit, César Borgia, comme le vrai César, n'étaient pas des surhommes. Moi, je trouve que le surhomme de Nietzsche est un peu trop allemand, ou trop gœthéen. Chez Gœthe, on ne trouve pas de personnages méchants. Juste quelques figures picaresques, comme Philine dans Wilhelm Meister. Nietzsche adorait d'ailleurs Gil Blas de Santillane. Le bon peuple, rusé mais pas méchant.

Par contre, ce qui était clairement ma position, c'était de repenser Jésus, différencié du Christ, et de voir si on pouvait le réhabiliter ou de comprendre en quoi il mène à son plus proche parent, - pourtant si éloigné -, qu'est Dionysos.

Certes, on peut toujours les rapprocher, mais pas dans leur enseignement. Au contraire de ce que vous dites, je vois la proximité entre les deux sur le thème de la résurrection et de la mort par torture, Dionysos étant lacéré, déchiré en morceaux, le Christ crucifié, s'offrant lui-même dans la Bible en déchirant le pain et faisant boire son sang, donc, proximité dans les doctrines, le Christ étant calqué sur Dionysos en plusieurs points.

Jésus n'est pas, par exemple, celui qui rejetterait le monde à cause de la souffrance de l'individuation, au contraire de la figure mortuaire du Christ qui béatifie Jésus et le fossilise, lui et son message, pour les retourner contre la vie elle-même.

La seule différence que vous pouvez trouver sur ce point, c'est de dire, comme l'a fait Nietzsche, que le Christ est un symbole de fuite devant la souffrance. Mais précisément, le Jésus réel n'a rien à voir avec Dionysos, mais avec Bouddha. Jésus était un nihiliste prônant l'amour. Le Christ est un avatar de Dionysos. Je ne vois donc pas de ressemblance entre Jésus et le Christ, ni entre Jésus et Dionysos. La ressemblance est entre le Christ mort sur la croix et Dionysos, avec cette différence que la crucifixion du Christ est celle de la chair, la chair dont on sait ce qu'elle valait aux yeux des chrétiens. Et Nietzsche voulait réhabiliter cette chair, justement.

d'autres disent même que Nietzsche ne connaissait que le protestantisme, oubliant la vitalité du catholicisme et d'autres courants

Nietzsche attribue une valeur au catholicisme, qui est d'avoir à tel point corrompu la doctrine chrétienne à la Renaissance, en Italie, qu'il aurait pu en finir avec elle... sans Luther. Et Nietzsche d'ironiser sur un César Borgia qui fut devenu pape.

Vous parlez aussi d'un Jésus faible, mais j'ai écouté Paolo d'Iorio dans Bibliothèque Médicis (LCP) ce week-end, venu présenter son Voyage de Nietzsche à Sorrente : Genèse de la philosophie de l'esprit libre : il y affirmait qu'au contraire du darwinisme social (Spencer), Nietzsche considérait que seuls les ratés de la société étaient susceptibles d'être de prodigieux créateurs et que pour cela il fallait les rassembler sur une île et leur donner tous les moyens possibles pour les enlever aux contraintes de la société. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que Jésus n'est pas lui aussi ce raté capable de créer de nouvelles valeurs, ce décadent créateur ou législateur, cet homme "mauvais" (au sens de celui qui corrompt et subvertit la loi et la morale ; surtout pour faire de la place à la liberté individuelle) considéré ensuite par l'histoire comme un saint (ou un dieu !).

Les ratés, Nietzsche disait qu'il fallait s'en débarrasser, pour ne pas qu'ils corrompent les forts par la pitié. Je crois même que c'est dans l'Antéchrist qu'il dit ça. Mais il est vrai qu'il faisait peu de cas des meilleurs exemplaires humains de son temps, et qu'il eût préféré 10 000 fois le Christ à Bismarck. Enfin, il me semble que c'est le fou qui est créateur de valeurs, pas le faible, le raté. Quant à la liberté individuelle, je redis ici que Nietzsche n'y accordait aucune importance. Il voyait les hommes en groupes, représentés par des personnalités symboliques. Toute sa philosophie repose sur les liens du sang, l'héritage ("Tout ce qui est bon est hérité", antithèse de Gœthe).

En ce sens, Nietzsche s'est vu en sauveur, en messie contre la folie chrétienne (qui est toutefois due à la dégénérescence du discours christique) ou en prophète d'un nouveau monde à venir.

Nietzsche avait la folie des grandeurs, c'est un fait. ll fallait donc qu'il se compare au plus grand mythe de l'Histoire, le Christ, comme jadis le fit Napoléon. Il se voyait en prédicateur, en a pris le style, il a singé celui du Nouveau Testament. Tout cela est pour moi un peu ridicule, je n'y attache pas grande importance. Par contre, là où vous faites un nouveau contresens, c'est que vous pensez que "la folie chrétienne" est due à la "dégénérescence du discours christique", or c'est faux, dans la mesure où cette dégénérescence nous mène exactement là où Jésus avait commencé, au bouddhisme, au nihilisme ("le nihilisme européen, un nouveau bouddhisme").

Le christianisme, ce serait le nouvel avatar du judaïsme pour conquérir le monde.

En effet. Reste que l'insistance de Nietzsche sur la perversion du judaïsme est bien de son temps. Pour un chrétien antisémite, il est tentant de lire la Généalogie comme la preuve de la nocivité des Juifs dans l'histoire. Pour moi, cette thèse est très exagérée. Elle fait des Juifs les seuls responsables de la décadence romaine, même pas des chrétiens, mais des Juifs en tant que secte. Et la phrase de Tacite (citée par le philosophe), pour qui ils avaient "la haine du genre humain" sonne comme une condamnation éternelle.

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En tout cas tout ceci me donne envie de relire Nietzsche.
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