Bonjour à tous,
puisque je suis dans une période platonisante, il m'est venu à l'esprit une difficulté majeure quant au statut de la photographie dans la hiérarchie platonicienne entre monde sensible et monde intelligible et j'aimerais savoir si la photographie est cause d'une difficulté majeure qui remet en question le platonisme ou si elle n'en serait qu'une complication, mais non pas une réfutation.
Je ne connais pas grand chose, théoriquement, à la photographie (il faudra aussi me corriger sur Platon si cela est nécessaire). Je parle ici naïvement après m'être étonné de ce que la photographie, plus réaliste que la peinture (du moins en apparence !), ou plus aboutie techniquement et se voulant fidèle à la réalité capturée, est pourtant productrice d'images, donc d'une représentation qui est imitation, au sens platonicien, et de ce fait productrice d'une distance avec l'objet, d'une différence : l'image de quelque chose ne serait pas la chose elle-même (il y a en effet deux choses, chacune singulière, et non la même, sinon l'image posséderait la singularité de la chose, serait celle-ci et ne serait donc pas une image : une copie parfaite se nierait elle-même ou nierait la chose copiée). Mais elle prétendrait être la même chose et tirerait de la chose elle-même certains attributs pour se définir elle-même et approcher la chose imitée. Elle pourrait donc la trahir et s'y substituer illégitimement à cause de similitudes (il y aurait une rivalité entre copie et modèle, la première imparfaite, manquant d'être, devant "tuer", pour s'imposer, ce dont elle procède ; mais peut-elle vraiment tuer le modèle puisqu'elle en dépend pour exister, même si elle veut prendre la première place, la seule place, et fait justement signe vers ce modèle qui la définit, qui est sa raison d'être ?). L'image, la copie, serait un simulacre qui ferait croire en sa propre réalité, en sa vérité, ou dans la perfection de son imitation, au détriment de la chose même et/ou de l'Idée (ou plutôt de l'objet sensible et plus encore de l'Idée en tant que la chose même).
Si l'on en croit Platon, le peintre, par l'imitation d'un modèle, copie ce dernier et produit une copie qui en tant que telle est imparfaite. Bien sûr, cela vaut s'il prend pour modèle une idée abstraite et générale. S'il représente directement ce qu'il a en face de lui, l'objet, je suppose que c'est lui qu'il prend pour modèle. Mais alors il fait une copie dérivée d'une copie (objet sensible) d'un modèle (Idée), là où dans le premier cas il n'aurait fait qu'une copie du modèle. A moins qu'il soit nécessaire d'en passer par l'Idée intelligible pour se représenter tout ce qui se donne directement à soi par lui-même dans le phénomène (ce qui apparaît) : il me faut au minimum le penser, me le représenter, pour l'imiter. Il y a néanmoins un oubli de l'Idée, c'est-à-dire de la réalité, au profit du simulacre. Il y a erreur parce qu'il y a croyance dans la force symbolique de l'image. Mais elle n'est qu'apparence ou apparence d'une apparence. Elle signifie donc le réel mais nous en éloigne également, et plus fortement encore avec la photographie.
En effet, elle se veut plus réaliste et c'est une technique qui est censée capter le réel et l'emprisonner sur la pellicule. Mais est-elle si objective, n'est-elle pas dépendante d'une perspective, captant seulement, selon un certain angle (position du photographe) un morceau de monde sélectionné, ce à quoi s'ajouterait la dépendance à l'égard de l'événement (du sensible instable, en devenir, éphémère), le tout par le biais de l'objet technique (appareil photo) qui induit une médiation dans la relation entre observateur et observé ? Contrairement à la peinture, la photographie serait donc plus dangereuse parce qu'elle fait prendre l'image pour la chose alors même que son rapport au réel est encore plus faussé ou qu'il y a encore plus d'étapes ou d'obstacles entre elle et la chose. Et techniquement, il suffit d'appuyer sur un bouton pour faire apparaître sur pellicule la chose, ou son "spectre" sur l'image, là où le peintre est confronté au problème de capter la silhouette de la chose et de la refaire avec pourtant une incapacité technique à la faire comme elle apparaît. Or la photographie, dans sa prétendue immédiateté, fait perdre le rapport à l'image et transforme l'apparaître capté en être. La ressemblance est plus que frappante entre la photographie et ce qui est vu, même si l'on peut jouer avec de nombreux paramètres pour créer des effets.
Mais il me semble que la distance est abolie, là où en réalité c'est l'Idée, le réel, qui est perdu. Prendre en photo ce n'est pas s'inspirer d'un modèle, c'est vouloir prendre la chose elle-même en s'ouvrant à elle dans sa phénoménalité. Mais le tirage est reproduction, imitation du sensible, copie conforme ou non (là est la difficulté : l'appareil photo est-il dans la stricte reproduction du réel ou non ?) d'une copie d'un modèle antérieur.
Ainsi, la photographie donne-t-elle à penser le réel selon une nouvelle approche ou se prête-t-elle au platonisme ? Est-elle une simple technique de prolifération des images et copies ou peut-elle, contrairement à la peinture, approcher la chose elle-même ? La photographie est-elle fidèle au réel ou cette pseudo-fidélité n'est-elle pas trompeuse ? La photographie nous montre-t-elle le réel ou, à sa manière, en dit-elle quelque chose et quoi ? Quelle perturbation entraînerait-elle dans le platonisme ? Platon condamnerait-il la photographie ? Comment pourrait-elle aider à contempler les Idées (peut-être nous aide-t-elle à capter les Formes dans leur manifestation en tant que la prise d'instants fixés révèle quelque chose de l'éternité en leur sein et de l'architecture de l'être ? Mais cela n'engage-t-il pas à passer du platonisme à une phénoménologie ou à quelque chose comme une philosophie intuitiviste à la Bergson) ?
Peut-on saisir le réel ou seulement son reflet ? Qu'en est-il pour la photographie (et par rapport aux autres arts visuels) ? Abolit-on le monde intelligible, s'enferme-t-on dans le monde sensible, et de plus dans des apparences trompeuses, ou est-ce la meilleure manière de se saisir de ce réel et de le voir pour le comprendre ? La photographie peut-elle dire la vérité, se trompe-t-elle ? Peut-elle dire sa vérité, montrer le faux, sa propre fausseté ? Peut-être un photographe comme Duane Michals n'est-il pas si anti-platonicien (malgré lui) en montrant justement, par le jeu des apparences, que la photographie et le monde sensible sont justement ce jeu des apparences et que celles-ci, trompeuses, révèlent aussi quelque chose du réel et de la condition humaine (notamment de nos croyances dans l'image et de nos excès, cf. le narcissisme)... La photographie pourrait-elle alors rendre le monde intelligible ? Est-elle une mystification du réel ou ce qui, en jouant avec l'image, peut libérer le réel ?
puisque je suis dans une période platonisante, il m'est venu à l'esprit une difficulté majeure quant au statut de la photographie dans la hiérarchie platonicienne entre monde sensible et monde intelligible et j'aimerais savoir si la photographie est cause d'une difficulté majeure qui remet en question le platonisme ou si elle n'en serait qu'une complication, mais non pas une réfutation.
Je ne connais pas grand chose, théoriquement, à la photographie (il faudra aussi me corriger sur Platon si cela est nécessaire). Je parle ici naïvement après m'être étonné de ce que la photographie, plus réaliste que la peinture (du moins en apparence !), ou plus aboutie techniquement et se voulant fidèle à la réalité capturée, est pourtant productrice d'images, donc d'une représentation qui est imitation, au sens platonicien, et de ce fait productrice d'une distance avec l'objet, d'une différence : l'image de quelque chose ne serait pas la chose elle-même (il y a en effet deux choses, chacune singulière, et non la même, sinon l'image posséderait la singularité de la chose, serait celle-ci et ne serait donc pas une image : une copie parfaite se nierait elle-même ou nierait la chose copiée). Mais elle prétendrait être la même chose et tirerait de la chose elle-même certains attributs pour se définir elle-même et approcher la chose imitée. Elle pourrait donc la trahir et s'y substituer illégitimement à cause de similitudes (il y aurait une rivalité entre copie et modèle, la première imparfaite, manquant d'être, devant "tuer", pour s'imposer, ce dont elle procède ; mais peut-elle vraiment tuer le modèle puisqu'elle en dépend pour exister, même si elle veut prendre la première place, la seule place, et fait justement signe vers ce modèle qui la définit, qui est sa raison d'être ?). L'image, la copie, serait un simulacre qui ferait croire en sa propre réalité, en sa vérité, ou dans la perfection de son imitation, au détriment de la chose même et/ou de l'Idée (ou plutôt de l'objet sensible et plus encore de l'Idée en tant que la chose même).
Si l'on en croit Platon, le peintre, par l'imitation d'un modèle, copie ce dernier et produit une copie qui en tant que telle est imparfaite. Bien sûr, cela vaut s'il prend pour modèle une idée abstraite et générale. S'il représente directement ce qu'il a en face de lui, l'objet, je suppose que c'est lui qu'il prend pour modèle. Mais alors il fait une copie dérivée d'une copie (objet sensible) d'un modèle (Idée), là où dans le premier cas il n'aurait fait qu'une copie du modèle. A moins qu'il soit nécessaire d'en passer par l'Idée intelligible pour se représenter tout ce qui se donne directement à soi par lui-même dans le phénomène (ce qui apparaît) : il me faut au minimum le penser, me le représenter, pour l'imiter. Il y a néanmoins un oubli de l'Idée, c'est-à-dire de la réalité, au profit du simulacre. Il y a erreur parce qu'il y a croyance dans la force symbolique de l'image. Mais elle n'est qu'apparence ou apparence d'une apparence. Elle signifie donc le réel mais nous en éloigne également, et plus fortement encore avec la photographie.
En effet, elle se veut plus réaliste et c'est une technique qui est censée capter le réel et l'emprisonner sur la pellicule. Mais est-elle si objective, n'est-elle pas dépendante d'une perspective, captant seulement, selon un certain angle (position du photographe) un morceau de monde sélectionné, ce à quoi s'ajouterait la dépendance à l'égard de l'événement (du sensible instable, en devenir, éphémère), le tout par le biais de l'objet technique (appareil photo) qui induit une médiation dans la relation entre observateur et observé ? Contrairement à la peinture, la photographie serait donc plus dangereuse parce qu'elle fait prendre l'image pour la chose alors même que son rapport au réel est encore plus faussé ou qu'il y a encore plus d'étapes ou d'obstacles entre elle et la chose. Et techniquement, il suffit d'appuyer sur un bouton pour faire apparaître sur pellicule la chose, ou son "spectre" sur l'image, là où le peintre est confronté au problème de capter la silhouette de la chose et de la refaire avec pourtant une incapacité technique à la faire comme elle apparaît. Or la photographie, dans sa prétendue immédiateté, fait perdre le rapport à l'image et transforme l'apparaître capté en être. La ressemblance est plus que frappante entre la photographie et ce qui est vu, même si l'on peut jouer avec de nombreux paramètres pour créer des effets.
Mais il me semble que la distance est abolie, là où en réalité c'est l'Idée, le réel, qui est perdu. Prendre en photo ce n'est pas s'inspirer d'un modèle, c'est vouloir prendre la chose elle-même en s'ouvrant à elle dans sa phénoménalité. Mais le tirage est reproduction, imitation du sensible, copie conforme ou non (là est la difficulté : l'appareil photo est-il dans la stricte reproduction du réel ou non ?) d'une copie d'un modèle antérieur.
Ainsi, la photographie donne-t-elle à penser le réel selon une nouvelle approche ou se prête-t-elle au platonisme ? Est-elle une simple technique de prolifération des images et copies ou peut-elle, contrairement à la peinture, approcher la chose elle-même ? La photographie est-elle fidèle au réel ou cette pseudo-fidélité n'est-elle pas trompeuse ? La photographie nous montre-t-elle le réel ou, à sa manière, en dit-elle quelque chose et quoi ? Quelle perturbation entraînerait-elle dans le platonisme ? Platon condamnerait-il la photographie ? Comment pourrait-elle aider à contempler les Idées (peut-être nous aide-t-elle à capter les Formes dans leur manifestation en tant que la prise d'instants fixés révèle quelque chose de l'éternité en leur sein et de l'architecture de l'être ? Mais cela n'engage-t-il pas à passer du platonisme à une phénoménologie ou à quelque chose comme une philosophie intuitiviste à la Bergson) ?
Peut-on saisir le réel ou seulement son reflet ? Qu'en est-il pour la photographie (et par rapport aux autres arts visuels) ? Abolit-on le monde intelligible, s'enferme-t-on dans le monde sensible, et de plus dans des apparences trompeuses, ou est-ce la meilleure manière de se saisir de ce réel et de le voir pour le comprendre ? La photographie peut-elle dire la vérité, se trompe-t-elle ? Peut-elle dire sa vérité, montrer le faux, sa propre fausseté ? Peut-être un photographe comme Duane Michals n'est-il pas si anti-platonicien (malgré lui) en montrant justement, par le jeu des apparences, que la photographie et le monde sensible sont justement ce jeu des apparences et que celles-ci, trompeuses, révèlent aussi quelque chose du réel et de la condition humaine (notamment de nos croyances dans l'image et de nos excès, cf. le narcissisme)... La photographie pourrait-elle alors rendre le monde intelligible ? Est-elle une mystification du réel ou ce qui, en jouant avec l'image, peut libérer le réel ?