Portail philosophiqueConnexion

Bibliothèque | Sitographie | Forum

Philpapers (comprehensive index and bibliography of philosophy)
Chercher un fichier : PDF Search Engine | Maxi PDF | FreeFullPDF
Offres d'emploi : PhilJobs (Jobs for Philosophers) | Jobs in Philosophy
Index des auteurs de la bibliothèque du Portail : A | B | C | D | E | F | G | H | I | J | K | L | M | N | O | P | Q | R | S | T | U | V | W | X | Y | Z

Lettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev

power_settings_newSe connecter pour répondre

descriptionLettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev  EmptyLettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev

more_horiz
Après avoir proposé principalement des textes antiques, je vous propose de discuter cette lettre du pape Jean-Paul II.

Jean-Paul II a écrit:
"A son excellence, M Leonid Brejnev Président du Soviet suprême de l'Union des Républiques socialistes soviétiques (1)

Je me fais l'expression de l'inquiétude de l'Europe et de l'ensemble du monde à propos de la tension engendrée par les événements intérieurs survenus en Pologne au cours de ces derniers mois. La Pologne est un des pays signataires des accords d'Helsinki. Cette nation fut, en septembre 1939, la première victime d'une agression à l'origine de la terrible période de l'Occupation, qui durerait jusqu'en 1945. Pendant toute la seconde Guerre mondiale, les Polonais restèrent aux côtés des Alliés, se battant sur chacun des fronts de la bataille, et la rage destructrice de ce conflit coûta à la Pologne la perte de près de six millions de ses fils, soit un cinquième de sa population.

Ayant donc à l'esprit les divers motifs graves de préoccupation engendrés par la tension concernant la situation actuelle en Pologne, je vous demande de faire tout ce qui est en votre pouvoir afin que disparaisse ce qui constitue, selon l'opinion générale, les causes de cette préoccupation. Cela est indispensable à la détente en Europe et dans le monde. Un tel résultat ne peut être obtenu me semble-t-il qu'en demeurant fidèle aux principes solennels des accords de Helsinki, qui définissent les critères régulant les relations entre les États. Et notamment en respectant les droits relatifs à la souveraineté, ainsi que le principe de non-intervention dans les affaires intérieures de chacun des États participants. Les événements qui se sont déroulés en Pologne ces derniers mois ont été provoqués par la nécessité inéluctable d'une reconstruction économique du pays, qui exige, en même temps, une reconstruction morale fondée sur l'engagement conscient, dans la solidarité, de toutes les forces de la société.

Je suis sûr que vous ferez tout votre possible pour dissiper la tension actuelle, afin que l'opinion publique soit rassurée au sujet d'un problème aussi délicat et urgent.

J'espère vivement que vous serez assez aimable pour accueillir et examiner avec attention ce que j'ai cru de mon devoir de vous exposer, en considérant que je ne suis inspiré que par les intérêts de la paix et de la compréhension entre les peuples.

JOHANNES PAULUS PP.II
Le Vatican
16 décembre 1980"


Cette lettre officielle du pape de l’Église catholique est datée du 16 décembre 1980.
Jean-Paul II, élu deux ans auparavant fut le premier pape non italien depuis 450 ans. Il étudia la théologie et fut successivement prêtre, archevêque puis cardinal de Cracovie en 1967. Sa nomination dans une période d’agitation pour la Pologne fut perçue comme une provocation par les autorités soviétiques.  
Cette lettre s’adresse au dirigeant soviétique Leonid Brejnev. D’abord général sur le front ukrainien durant la 2nde Guerre mondiale, il fut aussi dirigeant du Kazakhstan, avant d’être membre permanent du Comité central, qu’il dirigea à partir de 1964 après l’éviction de Nikita Khrouchtchev, à laquelle il participa activement. Son nom est aussi associé à la doctrine de « la souveraineté limitée » qui veut que l’URSS puisse intervenir dans les affaires d’un État-frère si l’intérêt du socialisme le commande. Ainsi, Brejnev affirme en 1968 :
Léonid Brejnev a écrit:
la souveraineté de chaque pays socialiste ne peut s’opposer aux intérêts du monde socialiste ou du mouvement révolutionnaire mondial

De surcroît, l’appel au retour de la Détente, et le caractère officiel de la lettre donnent une vocation universelle à celle-ci. L'auditoire du Pape s'en trouve élargi à l’ensemble de la communauté internationale.
La guerre du Kippour et le premier choc pétrolier, en 1973, marquent le début de la dégradation de la détente initiée à la suite de la crise des missiles de Cuba de 1962. Cette dynamique coïncide avec la fin du condominium des deux grands, au profit de nouveaux centres de décision : C.E.E, Japon, Chine, pays de l’O.P.E.P. La fin de la décennie 70 sonne le glas de la Détente au profit d’une paix dite tiède. Cette période est caractérisée pour l’URSS par un essor croissant des difficultés à maintenir la cohésion du camp communiste. La situation économique dramatique de la Pologne, doublée d’une inflation du prix des denrées alimentaires, va conduire élite et masses populaires à s’unir dans leur opposition à la tutelle de Moscou. Cette situation conduit à une recrudescence de l’agitation ouvrière, déjà manifestée en 1970 et 1976, qui prend cette fois la forme d’un mouvement syndical libre, « Solidarité ». Le mouvement est dirigé par Lech Walesa et soutenu par l’Église catholique. Il faut à ce titre citer le cardinal Wyszynski qui n’eut de cesse de soutenir les opposants.

« (…) je ne suis inspiré que par les intérêts de la paix et de la compréhension entre les peuples ». Cette phrase qui clôture la lettre du pape de l’Église catholique Jean-Paul II au dirigeant soviétique Léonid Brejnev résume à elle seule la vocation universelle de la lettre mais plus encore la volonté de neutralité du Pape.
Jean-Paul II se fait l’écho d’une inquiétude européenne grandissante vis-à-vis d’une situation anxiogène. Il rappelle que la Pologne est sortie exsangue de la 2nde Guerre mondiale, sans jamais faillir dans son opposition au nazisme. S’ensuit un passage sur la nécessité de résoudre cette crise, dans l’espoir de revenir à une période de détente. Pour ce faire, il est indispensable d’appliquer, et de respecter les accords d’Helsinki, signés en 1975. Le pape rappelle que cette situation résulte d’une crise économique. La fin de la lettre reprend l’ambition papale, entendons une réaction pacifique des soviétiques, et un retour à la détente.

A la lumière de ces éléments d’introduction, pensez-vous que le Pape parle comme polonais ? Ou davantage comme Pape ? Plus généralement, que pensez-vous de son rôle dans la chute du communisme ?

Dernière édition par Eunomia le Mer 9 Avr 2014 - 17:03, édité 1 fois

descriptionLettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev  EmptyRe: Lettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev

more_horiz
Eunomia a écrit:
A la lumière de ces éléments d’introduction, pensez-vous que le Pape parle comme polonais ? Ou davantage comme Pape ?  Plus généralement, que pensez-vous de son rôle dans la chute du communisme ?

On pourra toujours dire, comme le pensait Brejnev certainement lui-même, que l'Esprit-Saint n'y est pour rien, que l'élection de Karol Wojtyla est le fait d'une stratégie toute humaine... mais il sera cependant toujours permis de penser que l'Esprit-Saint une fois de plus s'est bien joué des hommes !

Car oui, il me semble bien qu'on puisse dire que Jean-Paul II a pris sa part dans la chute de l'Union soviétique.

Il faut se souvenir que pour l'Église, le communisme est une hérésie très inquiétante, et c'est peu dire.
Il est d'ailleurs surprenant de voir que pendant la Seconde Guerre, le Vatican ne s'inquiétait pas plus du nazisme que du bolchevisme. Cela s'explique certainement par l'âge du communisme : les premières thèses socialistes dataient beaucoup, et le marxisme avait déjà presque un siècle ; on l'avait donc vu venir de loin, on savait de quoi il en retournait.

D'un point de vue théologique catholique, le marxisme est une hérésie absolue : il nie la vérité de l'Ancien Testament et le remplace par une théorie matérialiste absolutiste de l'histoire ; l'homme remplace Dieu, lequel homme se donne pour objectif, qui plus est, de faire descendre le Paradis sur Terre... Les catholiques avaient toutes les raisons de détester le marxisme.

De surcroît, évidemment, un catholique polonais.

Il me semble donc qu'ici, le Pape parle indistinctement comme catholique et comme Polonais :D

Comme le Christ est Fils de Dieu et aussi bien homme incarné.

C'est dire la régularité catholique de la chose !

descriptionLettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev  EmptyRe: Lettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev

more_horiz
Cocho a écrit:
Il faut se souvenir que pour l'Église, le communisme est une hérésie très inquiétante, et c'est peu dire.


Au même titre que le capitalisme incarné par les États-Unis. Il faut bien prendre garde à faire ressortir la position vaticane : la neutralité.  
Cocho a écrit:
Il est d'ailleurs surprenant de voir que pendant la Seconde Guerre, le Vatican ne s'inquiétait pas plus du nazisme que du bolchevisme. Cela s'explique certainement par l'âge du communisme : les premières thèses socialistes dataient beaucoup, et le marxisme avait déjà presque un siècle ; on l'avait donc vu venir de loin, on savait de quoi il en retournait.

Pour ce document, la référence à la seconde guerre mondiale – et au nazisme, se trouve ailleurs. Il faut la voir quand le pape parle de la Pologne exsangue. Il y a une nette référence au pacte germano-soviétique.
Il n'y a guère que le communisme pour être aussi tranché à l’égard de la religion. Le fascisme va s'appuyer sur le catholicisme (cf. les accords de Latran). Sur l’Allemagne, il faut être prudent. D’une part sur la périodisation : il eut une indéniable période d’emballement de l'Église allemande pour le NSDAP (anticommuniste, antilibéral, antiparlementaire), suivi de mises en garde appuyées et nombreuses. L’Église n’a que peu de moyens d’action et se préoccupe surtout de protéger ses fidèles.
Cocho a écrit:
Il me semble donc qu'ici, le Pape parle indistinctement comme catholique et comme Polonais :D

Pourtant, le pape n’use pas d’une rhétorique catholique. Il me semble parler davantage comme chef d'État.  Jean-Paul II parle d’égal à égal avec Brejnev – même s’il s’attribue une autorité morale supérieure. Qu’il parle comme polonais, indéniablement, son parcours de résistant en atteste.

descriptionLettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev  EmptyRe: Lettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev

more_horiz
Eunomia a écrit:
Au même titre que le capitalisme incarné par les Etats-Unis. Il faut bien prendre garde à faire ressortir la position vaticane : la neutralité.

Certes l'Église a toujours sévèrement critiqué le capitalisme, pour des raisons évidentes (soumission des sociétés au dieu Argent, avec tout ce que cela implique). Mais le capitalisme en soi n'est pas une doctrine, contrairement au communisme, qui remplace ou veut remplacer toute la vérité de la théologie chrétienne. On pourrait à la limite dire que l'Église a "au même titre" que le communisme sévèrement critiqué le libéralisme (qui est aussi une doctrine, en l'occurrence celle qui justifie le capitalisme), particulièrement au XIXe (il est listé parmi les "erreurs" du Syllabus). Mais ce serait encore à nuancer : car le libéralisme par définition laisse une place à liberté de conscience religieuse, et même, on pourrait dire, l'utilise. Le libéralisme n'est, quoi qu'il en soit, totalitaire. Il y a donc bien je crois une échelle de valeurs catholique en matière de politique.

Eunomia a écrit:
Pour ce document, la référence à la seconde guerre mondiale – et au nazisme, se trouve ailleurs. Il faut la voir quand le pape parle de la Pologne exsangue. Il y a une nette référence au pacte germano-soviétique.
Il n'y a guère que le communisme pour être aussi tranché à l’égard de la religion. Le fascisme va s’appuyer sur le catholicisme (cf. les accords de Latran). Sur l’Allemagne, il faut être prudent. D’une part sur la périodisation : il eut une indéniable période d’emballement de l'Église allemande pour le NSDAP (anticommuniste, antilibéral, antiparlementaire), suivi de mises en garde appuyées et nombreuses. L'Église n’a que peu de moyens d’action et se préoccupe surtout de protéger ses fidèles.

Bien sûr, pour ce qui est de la référence au document, vous avez raison.
Pour le reste, il est vrai que ce sont des questions compliquées ! Je voulais simplement souligner la radicale et fondamentale divergence entre communisme et catholicisme.
Il est vrai que le fascisme (à condition d'entendre par ce terme strictement le régime de Mussolini) va s'appuyer sur la religion catholique, et sur le Vatican. Mais vous savez bien qu'il faut largement relativiser cette convergence : c'était, des deux points de vue, avant tout un moyen stratégique.
C'est vrai que pour ce qui est de l'Allemagne hitlérienne, l'Église va avant tout chercher à protéger ses fidèles. Sur ce sujet un livre passionnant et sérieux lu récemment : Le Pape et le Diable de Hubert Wolfe. Il est indéniable que le Vatican ne s'est pas opposé frontalement à Hitler, pour mille raisons (dont, entre autres, comme je voulais le dire, le "péril bolchévique") ; il n'en reste pas moins que le nazisme était considéré par le Vatican comme une abomination inacceptable.

Eunomia a écrit:
Pourtant, le pape n'use pas d’une rhétorique catholique. Il me semble parler davantage comme chef d'État. Jean-Paul II parle d’égal à égal avec Brejnev – même s'il s'attribue une autorité morale supérieure. Qu’il parle comme polonais, indéniablement, son parcours de résistant en atteste.

Oui, c'est évident, il parle comme chef d'État et son vocabulaire est pleinement temporel
Mais le Roi de Monaco (de taille comparable au Vatican, si on peut dire) aurait-il écrit une telle lettre ?
Il semble évident que non. Sa manière de s'adresser à Brejnev est le fruit d'une lucidité tactique : on n'aurait pas parlé Bon Dieu à cet homme. Mais pour le coup il lui a tout de même transmis Son message !

descriptionLettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev  EmptyRe: Lettre de Jean-Paul II à Léonid Brejnev

more_horiz
Cocho a écrit:
Certes l'Église a toujours sévèrement critiqué le capitalisme, pour des raisons évidentes (soumission des sociétés au dieu Argent, avec tout ce que cela implique).

Oui, on ne peut servir deux maîtres, n’est-ce pas.

Cocho a écrit:
 Mais le capitalisme en soit n'est pas une doctrine, contrairement au communisme ; qui lui remplace ou veut remplacer toute la vérité de la théologie chrétienne.

Parce qu’il ne s’agit pas d’une opposition idéologique, tout l’enjeu de la Guerre froide est d'imposer son modèle social et sociétal.

Cocho a écrit:
(…) Mais ce serait encore à nuancer : car le libéralisme par définition laisse une place à liberté de conscience religieuse, et même, on pourrait dire, l'utilise. Le libéralisme n'est pas, quoi qu'il en soit, totalitaire. Il y a donc bien je crois une échelle de valeurs catholique en matière de politique.

Vous pouvez justifier cette analyse différemment, et par le texte. Le libéralisme se fonde sur le respect du droit, pourquoi ne pas évoquer les références aux accords d'Helsinki et aux droits de l'Homme ?
Justement, le jugement du pape ne transparaît pas dans ce texte. Sa position n’est pas anticommuniste, mais pacifiste. Il prend grand soin de ne pas évoquer la liberté de conscience qui pourrait le placer, du point de vue communiste, dans le bloc opposé.

Cocho a écrit:
Bien sûr, pour ce qui est de la référence au document, vous avez raison.

Déformation estudiantine !  :lol: 


Cocho a écrit:
Mais le Roi de Monaco (de taille comparable au Vatican, si on peut dire) aurait-il écrit une telle lettre ?
Il semble évident que non. Sa manière de s'adresser à Brejnev est le fruit d'une lucidité tactique : on n'aurait pas parlé Bon Dieu à cet homme. Mais pour le coup il lui a tout de même transmis Son message !

La Roi monégasque n’a pas l’aura morale du Pape, il ne serait pas légitime dans sa dénonciation. Oui, mais un message de neutralité, de paix, sur un plan méthodologique c’est tout l’enjeu de l’analyse de cette lettre, faire ressortir la position du Pape et la justifie au maximum.
Vous parlez de « lucidité tactique », j’ai employé l’expression de « realpolitik vaticane ». Il faut bien voir qu’au-delà du simple appel à la paix, Jean-Paul II veut éviter que l’URSS intervienne comme à Budapest et à Prague.
privacy_tip Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
power_settings_newSe connecter pour répondre