Je vous rejoins dans toutes vos critiques, et elles mettent en exergue à quel point je m’y suis mal pris. Il aurait été plus judicieux de présenter dès le début l’ensemble de mon commentaire. Je rectifierai également sur le texte de Polybe.
Je vais reprendre les points qui m’apparaissent essentiels dans ce texte, en essayant autant que faire se peut de m’appuyer sur lui pour étayer mon propos et l’éclairer.
Dès la première phrase, on reconnaît un langage néo-platonicien, et cette idée d’un monde des idées. Ensuite bon nombre de sous-entendus émaillent le texte. « Les faits le confirment » est une référence claire aux victoires obtenues par Constantin, en 312 face à son rival Maxence et en 324. Il est aussi question d’un monothéisme, sans plus de précisions. Les rivages de l’Océan sont un indice biographique, qui rappelle que Constantin fut acclamé par ses troupes – comme il est de tradition de le faire – à York, en Gaule. Ce Dieu est aussi présenté comme un allié de l’empereur, qui a de facto un statut particulier.
Le chapitre 15. D’emblée Constantin prend une autre mesure, celle de l’ambassadeur. Il est, avec son armée, l’instrument de la justice divine. Leurs guerres sont justes, car légitimées par ce Dieu. La référence au signe rappelle le chrisme dont Constantin aurait, selon Eusèbe, rêvé avant la bataille du pont Milvius en 312 – début présumé de la conversion de Constantin. Les trophées sont un autre rappel des nombreuses victoires de l’empereur.
Le paragraphe 16 est plus subtil. On y repère deux allusions. Il y a une référence claire au paganisme et aux sacrifices sanglants. Alors, attention, ce n’est en rien une preuve de la conversion de Constantin – je gâche le suspens. Les élites païennes de l’époque, elles aussi, s’opposent aux sacrifices sanglants, et c’est fondamental. Ensuite, il est question de la responsabilité de l’empereur qui se doit de guider son peuple, de ne pas le « jeter dans l’abîme ». L’allusion est subtile là encore, mais elle dénote la façon dont Constantin envisage sa fonction d‘empereur.
Je m’épargne le chapitre suivant qui n’est qu’un long prêche, pouvant convenir à la quasi-totalité des religions. Constantin se présente comme un empereur pieux, ce qui n’est en rien une preuve de sa conversion. Je le rappelle, la pietas – « quand faire c’est croire » nous dit J. Scheid – n’est pas uniquement chrétienne.
Sur le dernier paragraphe, du grand art. En apparence, rien de bien méchant – les avis divergeant déjà sur ce point -, du langage diplomatique, presque « mielleux ».
D’une part, c’est la première fois que Constantin parle clairement des chrétiens. Il conviendra aussi que l’historien vérifie l’affirmation de Constantin – qui se révèle exacte – sur le nombre important de chrétiens en Perse. Il faudrait aussi rappeler que la Perse cesse depuis une vingtaine d’années les persécutions. De ce contexte, tout le reste découle. Constantin va s’imposer comme le supérieur de Sapor, c’est l’empereur qui octroie au Roi des rois des droits sur des habitants de son propre royaume. Constantin est donc le protecteur des chrétiens, la religion lui confère un pouvoir qui outrepasse les simples limites de l’empire romain. Sapor est sommé de poursuivre sa politique de tolérance, sous peine de déplaire au souverain de l’univers et de voir son ambassadeur, bras armé, lui tomber dessus. Les fréquentes allusions aux victoires de Constantin prennent subitement une ampleur nouvelle.
Sur le reste, je ne reprends pas ce que j’ai dit précédemment quant aux hypothèses possibles sur la position de Constantin. Il faut tout de même souligner que, dans la mesure où j’opte pour la seconde hypothèse, la publicité de ce texte est rassurante pour la plupart des habitants de l’empire.
Je me permets une digression relative à la remarque d’Euterpe sur l’arianisme. La querelle éclate en 325, peu avant le grand concile de Nicée, entre un prêtre, Arius, et son évêque Alexandre. La querelle concerne la nature du Christ : divin ou humain ? Consubstantiel au père ou descendant de lui ? Même si le texte n’en parle pas, Constantin va devoir affronter ce problème, et il opte pour une voie médiane somme toute originale. Il nie complètement l’intérêt, la portée de la question – pourtant fondamentale dans la construction du dogme - toujours en expliquant combien cela est périlleux pour l’unité de l’empire. Il vient tout juste de réprimer le schisme donatiste en Afrique du nord, aussi l’actualité de la sauvegarde de l’unité chrétienne est brûlante. Il se gardera bien de prendre position, il se pose en médiateur, au-dessus de cette querelle qui dépasse de toute manière les hommes. On retrouve ici deux idées déjà énoncées : le rôle de l’empereur qui gouverne dans une optique d’unité, et le peu de conviction dogmatique dont il fait preuve. D’autant que tout porte à croire que Constantin aurait été favorable à l’arianisme qui reprenait une certaine idée de la royauté qui n’était pas pour déplaire à l’empereur. Je tâcherai de remettre la main sur cette lettre.
Sur Eusèbe, j’avoue que ce texte me pose problème dans la mesure où c’est seulement le choix – une fois la véracité de la lettre établie – qui peut être une source d’information sur les visées d’Eusèbe. Il tend à présenter l’image d’un empereur pieux, ce qui se retrouve dans la lettre. Au-delà… Sur le texte à disposition, il est tiré de P. Maraval, « Constantin le Grand, Lettres et Discours » (lettre 40).