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descriptionHistoire et culture, répétition du même ou constance du différent et du nouveau ? EmptyHistoire et culture, répétition du même ou constance du différent et du nouveau ?

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L'histoire est-elle une éternelle répétition du même ou chaque instant qui passe est-il une consécration du nouveau et du différent ?
Nos connaissances sur le sujet étant limitées, nous nous contenterons de faire quelques remarques et de poser quelques questions :


  • Si l'on affirme que l'histoire est une éternelle répétition du même, cela ne risque-t-il pas de mener à un déterminisme exclusif qui aurait pour conséquence l'effacement de toute nouveauté, de toute possibilité pour les sociétés et les individus d’évoluer différemment de ce qui a pu se faire jusque là ? En effet puisque dans ce cas, notre approche du monde implique un regard tourné exclusivement vers un passé que l'on érige au rang de source suprême et unique du devenir, ne risque-t-on pas de vider l'avenir de toute substance en tendant à l'assimiler au passé ? Cela ne pourrait-il pas avoir pour conséquence, dans l’extrême, des philosophies conformistes (puisque de tout façon ce qui est passé ne fera que revenir sous une forme nouvelle) ou réactionnaires (ne suffit-il pas qu'il y ait différence radicale une seule fois pour que l'affirmation soit remise en question ? en ce sens l'individu refusant la remise en question ne devra-t-il pas nier la différence) ? Si par exemple, nous affirmons que l'histoire des révolutions arabes peut se lire et se comprendre à l'aune de l'histoire de la Révolution Française ne réside-t-il pas dans cette démarche, si elle est menée de manière peu prudente, un risque de réduction et d'appauvrissement d'un fait qui peut-être est radicalement nouveau dans certains de ses aspects ?
  • Est-ce tenable d'affirmer la radicale différence du présent et de l'avenir par rapport au passé ? n'est-ce pas là inversement vider le passé de sa substance ?
  • nous lisons souvent que Paradoxalement, Nietzsche, Marx et Freud qui prônaient une émancipation radicale vis-à-vis des traditions et de la morale chrétienne étaient pourtant de grands représentants de la doctrine du même, est-ce faux, et si non en quoi le sont-ils ? (il nous semble que l'une des principales critiques adressées à Nietzsche par exemple est qu'il réutilisait à son propre compte les notions mêmes du système de pensée qu'il visait à pourfendre ; est-ce le cas pour les autres ?). Foucault, Derrida, Deleuze, Sartre, Camus, etc. seraient les grands représentants de la différence. De la grammatologie, de Jacques Derrida est un ouvrage difficile à saisir, et il nous faut avouer avoir buté sur certaines des notions principales. Les notions de trace, de différance, etc., nous semblent être d'une complexité un peu décourageante. La différance serait une conjonction de l'action de différer et de différencier, mais il reste difficile pour nous de saisir le lien avec l'histoire et la culture. Il nous semble tout de même avoir compris qu'il y aurait comme une rétroactivité de la trace ce qui créerait la différance entendue à la fois comme décalage entre origine et capacité humaine à l’appréhender, mais aussi comme émergence de la capacité de différenciation, cette lecture est-elle erronée ?
  • Peut-être que notre sujet aurait pu aussi bien concerner la culture, mais il nous semblait que l'histoire reste le fond du problème de la culture, en effet une culture n'est-elle pas la conséquence d'une certaine histoire ?

Nous nous excusons si le message est quelque peu confus, tout éclaircissement est le bienvenu.

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Bonjour lcz,

Un auteur qui n'est pas évoqué dans votre message, mais qui permettra certainement de clarifier et d'enrichir votre réflexion, est Cornélius Castoriadis. Voici un extrait où il pose le problème qui vous occupe, si je ne me trompe pas :
L’histoire et les schèmes de la succession.

L’histoire se donne immédiatement comme succession. De quoi dispose la pensée héritée pour penser la succession ? Des schèmes de la causalité, de la finalité ou de la conséquence logique. Ces schèmes présupposent que ce qui doit être saisi ou pensé par leur moyen se laisse réduire, pour l’essentiel, à un ensemble. Il faut pouvoir séparer des éléments ou des entités discrets, bien distincts et bien définis, pour pouvoir dire que a est la cause de b, que x est le moyen de y, ou que q est une conséquence logique de p.

La pensée héritée ne pourrait donc saisir une succession dans le social qu’à condition d’avoir ensemblisé celui-ci ou en l’ensemblisant ; on vient de voir, et l’on verra encore longuement, que cela est impossible. Il revient au même de dire qu’elle ne peut penser la succession que sous le point de vue de l’identité. Causalité, finalité, implication ne sont que des formes amplifiées et déployées d’une identité enrichie : elles visent à poser les différences comme simplement apparentes et à retrouver, à un autre niveau, le même auquel celles-ci appartiennent. Que ce même soit entendu comme entité ou comme loi n’importe pas dans le présent contexte. Bien entendu, la question de savoir comment et pourquoi ce même se donne comme ou apparaît dans et par la différence reste l’aporie centrale de la pensée héritée sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de l’ontologie la plus ancienne ou de la science positive la plus moderne. Aporie qui découle de ce que l’on a décidé que le même est, et, encore plus, qu’en un sens ultime seul le même est. Il est facile de voir que cette proposition va de pair avec une autre, que ce qui est est pleinement déterminé depuis toujours et dans le toujours, toujours qui ne peut alors être rigoureusement pensé que comme un aei intemporel, se moyennant ou non dans un toujours omnitemporel.

Que l’implication logique soit une identité développée, que la conclusion ne soit qu’une désimplication de ce qui est déjà dans les prémisses (analycité), cela est évident et connu. Mais il en va de même des schèmes de la causalité et de la finalité. Cause et effet appartiennent au même ; si l’on peut séparer et déterminer un ensemble de causes, il va avec l’ensemble de ses effets, aucun de ses deux ensembles ne peut être sans l’autre, ils font donc partie du même, ce sont des parties d’un même ensemble. Ainsi aussi, pour ce qui est des moyens et des fins. Ainsi enfin, si l’on considère non pas les entités mais les lois, causales ou finales : la loi n’est que dans et par le même, identité essentielle et interne à laquelle renvoie la différence externe des phénomènes et sans laquelle celle-ci ne pourrait pas être. Ou : cette extériorité différente des phénomènes comme tels doit être idéalement ramenée à l’intériorité identique d’une loi.

Les causes vont avec les effets, les moyens vont avec les fins. Cet aller avec est là explicitement au moins depuis la définition aristotélicienne du syllogisme : « discours dans lequel, quelques choses étant posées, une autre chose … va nécessairement avec elles (ex anankès sumbainei), du fait que celles-là sont ». Sumbainein, marcher ensemble, aller avec, comitari (cum-eo) ; sumbebèkos, traduit par les Latins comme accidens, veut dire en réalité ce qui va avec, que l’on peut et doit traduire par comitant. Sumbainein, sumbebèkos désignent le plus souvent pour Aristote ce qui s’est trouvé aller avec, ce qui a extérieurement coïncidé – l’accident ; mais ils désignent aussi, à l’opposé, ce qui essentiellement et nécessairement va avec quelque chose d’autre [Ce qui a torturé les interprètes, obligés de parler d’ « accidents essentiels » ; en fait, il y a pour Aristote des comitants essentiels et des comitants accidentels.] Dans la définition du syllogisme, Aristote ne peut évidemment laisser place à aucune ambiguïté : conclusion et prémisses ex anankès sumbainei, vont nécessairement avec, marchent inéluctablement ensemble.

Mais ce qui va toujours nécessairement avec quelque chose d’autre, qu’est-il sinon partie de cette autre chose, ou bien partie, comme elle, d’une même autre chose ? (…)

Si ce qui succède va nécessairement avec ce à quoi il succède, la succession n’est au mieux qu’un arrangement subjectif d’inspection de la chose totale, dont la contrepartie effective dans la chose est, et n’est que, un ordre de coexistence. En vérité, la conclusion est donnée dans les prémisses ; la Philosophie de l’esprit avec la Science de la logique ; et l’expansion de l’univers avec l’état initial hyperdense et les lois régissant l’existant physique. Si la succession est déterminée, ou nécessaire, elle est donnée avec sa loi et son premier terme, elle n’est elle-même qu’un ordre de l’être ensemble. Le temps n’est alors que relation d’ordre, que rien ne permet de distinguer de intrinsèquement d’autres relations d’ordre, par exemple d’un arrangement spatial ou de la relation « plus grand » ; et, pour autant que les termes sont nécessairement pris dans cet ordre, ils ne sont plus que « parties » de l’Un-Tout et co-existent en tant que « parties » d’Un-Même. Dans le toujours intemporel il peut y avoir au plus ordre des coexistences, non pas ordre des successions ; et, dans le toujours omnitemporel de la détermination, l’ordre des successions n’est qu’une variante de l’ordre des coexistences, la succession peut et doit être réduite à un type particulier de coexistence.

Mais, pas plus que la société ne peut être pensée sous aucun des schèmes traditionnels de la coexistence, l’histoire ne peut être pensée sous aucun des schèmes traditionnels de la succession. Car ce qui se donne dans et par l’histoire n’est pas séquence déterminée du déterminé, mais émergence de l’altérité radicale, création immanente, nouveauté non triviale. C’est cela que manifestent aussi bien l’existence d’une histoire in toto que l’apparition de nouvelles sociétés (de nouveaux types de sociétés) et l’autotransformation incessante de chaque société. Et ce n’est qu’à partir de cette altérité radicale ou création que nous pouvons penser vraiment la temporalité et le temps, dont nous trouvons dans l’histoire l’effectivité excellente et éminente. Car ou bien le temps n’est rien, étrange illusion psychologique qui masque l’intemporalité essentielle d’une relation d’ordre ; ou bien le temps est cela même, la manifestation de ce que autre chose que ce qui est se fait être, et se fait être comme nouveau ou autre et non simplement comme conséquence ou exemplaire différent du même.

Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Seuil 1975, pp. 273-276


Le sous-chapitre suivant s'intitule : "L'institution philosophique du temps". Nous pourrons en discuter si en effet cela vous semble pertinent. Mais il y a sans doute déjà des choses à dire.

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Castoriadis a écrit:
Causalité, finalité, implication ne sont que des formes amplifiées et déployées d’une identité enrichie : elles visent à poser les différences comme simplement apparentes et à retrouver, à un autre niveau, le même auquel celles-ci appartiennent. Que ce même soit entendu comme entité ou comme loi n’importe pas dans le présent contexte. Bien entendu, la question de savoir comment et pourquoi ce même se donne comme ou apparaît dans et par la différence reste l’aporie centrale de la pensée héritée sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de l’ontologie la plus ancienne ou de la science positive la plus moderne. Aporie qui découle de ce que l’on a décidé que le même est, et, encore plus, qu’en un sens ultime seul le même est. Il est facile de voir que cette proposition va de pair avec une autre, que ce qui est est pleinement déterminé depuis toujours et dans le toujours, toujours qui ne peut alors être rigoureusement pensé que comme un intemporel, se moyennant ou non dans un toujours omnitemporel. 


Cela veut-il dire que la pensée de l’identité (ou du même) ne peut non seulement pas établir de lien entre la constance du différent et la présupposition d'une répétition du même, mais qu'en plus elle serait en quelque sorte dans une appréhension du monde "hors du temps" ? 
N'est-ce pas finalement le propre de l’opération d'abstraction et d'analyse ?

castoriadis a écrit:
Que l’implication logique soit une identité développée, que la conclusion ne soit qu’une désimplication de ce qui est déjà dans les prémisses (analycité), cela est évident et connu. Mais il en va de même des schèmes de la causalité et de la finalité. Cause et effet appartiennent au même ; si l’on peut séparer et déterminer un ensemble de causes, il va avec l’ensemble de ses effets, aucun de ses deux ensembles ne peut être sans l’autre, ils font donc partie du même, ce sont des parties d’un même ensemble. Ainsi aussi, pour ce qui est des moyens et des fins. Ainsi enfin, si l’on considère non pas les entités mais les lois, causales ou finales : la loi n’est que dans et par le même, identité essentielle et interne à laquelle renvoie la différence externe des phénomènes et sans laquelle celle-ci ne pourrait pas être. Ou : cette extériorité différente des phénomènes comme tels doit être idéalement ramenée à l’intériorité identique d’une loi.


Faut-il comprendre que les relations de cause à effet, de moyen à fin, relevant de l’analycité, sont des constructions intellectuelles, reposant sur l’identité ?

Castoriadis a écrit:
Si la succession est déterminée, ou nécessaire, elle est donnée avec sa loi et son premier terme, elle n’est elle-même qu’un ordre de l’être ensemble. Le temps n’est alors que relation d’ordre, que rien ne permet de distinguer intrinsèquement d’autres relations d’ordre, par exemple d’un arrangement spatial ou de la relation « plus grand » ; et, pour autant que les termes sont nécessairement pris dans cet ordre, ils ne sont plus que « parties » de l’Un-Tout et co-existent en tant que « parties » d’Un-Même. Dans le toujours intemporel il peut y avoir au plus ordre des coexistences, non pas ordre des successions ; et, dans le toujours omnitemporel de la détermination, l’ordre des successions n’est qu’une variante de l’ordre des coexistences, la succession peut et doit être réduite à un type particulier de coexistence. 


Que faut-il comprendre dans la première phrase ? La relation d'ordre caractéristique de l’analycité mène-t-elle, lorsqu'elle est utilisée pour saisir le temps, à une réduction de celui-ci ?
Dans la seconde phrase, les notions de "toujours intemporel" et "toujours omnitemporel" font-ils référence à la position "hors du temps" caractéristique de l'approche analytique ? 

Castoriadis a écrit:
Mais, pas plus que la société ne peut être pensée sous aucun des schèmes traditionnels de la coexistence, l’histoire ne peut être pensée sous aucun des schèmes traditionnels de la succession. Car ce qui se donne dans et par l’histoire n’est pas séquence déterminée du déterminé, mais émergence de l’altérité radicale, création immanente, nouveauté non triviale. C’est cela que manifestent aussi bien l’existence d’une histoire in toto que l’apparition de nouvelles sociétés (de nouveaux types de sociétés) et l’autotransformation incessante de chaque société. Et ce n’est qu’à partir de cette altérité radicale ou création que nous pouvons penser vraiment la temporalité et le temps, dont nous trouvons dans l’histoire l’effectivité excellente et éminente. Car ou bien le temps n’est rien, étrange illusion psychologique qui masque l’intemporalité essentielle d’une relation d’ordre ; ou bien le temps est cela même, la manifestation de ce que autre chose que ce qui est se fait être, et se fait être comme nouveau ou autre et non simplement comme conséquence ou exemplaire différent du même


Pour pouvoir appréhender cette "altérité radicale" caractéristique du temps, il faudrait donc laisser de côté l'approche analytique (relations de cause à effet, de moyen à fin etc..) qui peut mener au piège de la répétition du même ? Dans quelle mesure peut-on rapprocher cette thèse de celle de Henri Bergson qui dénonçait lui aussi les pièges de l'approche analytique ?

Bien à vous.

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lcz a écrit:
Castoriadis a écrit:
Si la succession est déterminée, ou nécessaire, elle est donnée avec sa loi et son premier terme, elle n’est elle-même qu’un ordre de l’être ensemble. Le temps n’est alors que relation d’ordre, que rien ne permet de distinguer intrinsèquement d’autres relations d’ordre, par exemple d’un arrangement spatial ou de la relation « plus grand » ; et, pour autant que les termes sont nécessairement pris dans cet ordre, ils ne sont plus que « parties » de l’Un-Tout et co-existent en tant que « parties » d’Un-Même. [b]Dans le toujours intemporel il peut y avoir au plus ordre des coexistences, non pas ordre des successions ; et, dans le toujours omnitemporel de la détermination, l’ordre des successions n’est qu’une variante de l’ordre des coexistences, la succession peut et doit être réduite à un type particulier de coexistence. 

Que faut-il comprendre dans la première phrase surlignée ? Cela veut-il dire qu'avoir une approche analytique du temps peut mener par exemple à confondre celui-ci avec l'espace ?


Il semblerait périlleux en tout cas d'affirmer que Castoriadis ait renoncé à l'analyse du temps (d'ailleurs vous ne le faites pas). Il s'agit, je pense, de montrer qu'une telle analyse ne peut pas dériver de la logique visuelle, dont le domaine de prédilection est l'espace, et qui est à la fois pointilliste et linéaire - ensembliste et identitaire -. Cette logique, appliquée au temps, le pose comme objet, un "jeté-là" devant soi, dont on peut saisir les limites, recomposer le cours. Or le temps pose à cette vision d'irréductibles problèmes, dont les paradoxes de Zénon sont en effet une illustration presque caricaturale. Il n'est pas, c'est son propre, limité, ou du moins n'en saisit-on pas les limites en tant que sujet connaissant lui-même situé "dans" le temps - sujet au temps serait peut-être plus juste -. Si on le prétend, c'est par décret, suivant une décision : "Aporie qui découle de ce que l’on a décidé que le même est, et, encore plus, qu’en un sens ultime seul le même est." Mais il ne s'agit pas non plus d'affirmer que "du différent est et, encore plus, qu'en un sens ultime seul du différent est", car alors nous n'aurions pas avancé d'un pouce : ça reviendrait au "même", à cette différence près qu'on n'aurait plus les moyens de penser ce même. Castoriadis ne nous invite-t-il pas plutôt à ouvrir le problème du temps et, de là, à revenir vers la question des ensembles, vers la logique identitaire ? Ce serait finalement une reconsidération de la hiérarchie des problèmes, voire des méthodes philosophiques. L'histoire deviendrait le problème philosophique par excellence. Une histoire et des avenirs dans l'appréhension desquels la question de l'altérité ne pourrait plus être évacuée, ou "verrouillée", par la présupposition d'une identité.
En outre, concernant "l'analycité", j'ai quelques doutes sur ce qu'il faut comprendre. L'analyse ne nous situe-t-elle pas, contrairement à la représentation, à l'image et à la vision, dans un déroulement permettant que soient articulés des aspects contradictoires de la réalité ?

Si cette lecture est correcte, dans quel mesure peut-on rapprocher la pensée de Cornelius Castoriadis de celle de quelqu'un comme Henri Bergson ?

Je ne connais pas assez la pensée d'Henri Bergson pour avoir un avis. Mais je ne crois pas que Castoriadis parle d'intuition :
Ce dernier paragraphe semble confirmer mon rapprochement avec Bergson, il faudrait donc selon Castoriadis laisser de coté, lors de l’appréhension du temps, la lecture analytique qui ne peut que mener à des problèmes insolubles et cela à cause de la confusion du temps et de l'espace. En ce sens l'analyse serait propre à l’appréhension de l'espace par sa capacité à séquencer, à catégoriser, tandis que le temps pour être saisi dans sa réalité doit être saisi par l'intuition. Ce rapprochement est-il selon vous pertinent ?

Je n'en suis pas certain. Nous devrions peut-être distinguer analyse et représentation, et réfléchir sur leurs rapports.

***

Je pousse encore un peu la lecture de Castoriadis.

Dans l'institution philosophique du temps il fait un commentaire du Timée de Platon, qui le renverra à Kant, où il s'efforce de montrer « l’impossibilité pour la pensée héritée de penser vraiment le temps, un temps essentiellement autre que l’espace. » Avant d'exposer ses remarques, l'idée qui les guide :
Castoriadis a écrit:
Il n’y a temps essentiel, temps irréductible à une « spatialité » quelconque, temps qui ne soit pas simple référentiel de repérage, que si et pour autant qu’il y a émergence de l’altérité radicale, soit création absolue – c’est-à-dire pour autant que ce qui émerge n’est pas dans ce qui est, fût-ce « logiquement » ou comme « virtualité » déjà constituée, qu’il n’est pas actualisation de possibles prédéterminés (la distinction de la puissance et de l’acte n’est que la manière la plus subtile et la plus profonde de supprimer le temps), donc, que le temps n’est pas simplement et seulement in-détermination, mais surgissement de déterminations ou mieux de formes-figures-images-eidè autres. Le temps est auto-altération de ce qui est, qui n’est que pour autant qu’il est à-être. Dans cette mesure, toute séparation du temps et de ce qui est se révèle comme réflexive, analytique, seconde – identitaire. Et c’est comme ce temps, temps de l’altération-altérité, que nous avons à penser l’histoire. (pp.283-284)

La remarque sur la « séparation du temps et de ce qui est » est adressée à la philosophie Kantienne – Crosswind, s’il nous lit, devrait trouver un intérêt particulier au passage suivant - :
Castoriadis a écrit:
(…) il est impossible d’éviter le rapprochement entre la chôra platonicienne (…) et ce que Kant dira des formes pures de l’intuition, espace et temps. Mais Kant croira pouvoir séparer ces formes non seulement de tout contenu particulier, mais d’un contenu quelconque ; il croira pouvoir se donner un espace et un temps ne contenant rien (pas même de pures figures), c’est-à-dire un espace et un temps comme pure possibilité de la différence à soi de l’identique, ou pure production de la différence à partir de rien – ce qui entraîne en fait (…) l’impossibilité d’une véritable distinction de l’espace et du temps.


Castoriadis affirme, pour sa part, « le schème ‘’pur’’ du temps est le schème de l’altération essentielle d’une figure, le schème qui présentifie l’éclatement et la suppression d’une figure par l’émergence d’une (autre) figure. Comme tel, il est indépendant de toute figure particulière, mais non pas d’une figure quelconque ».
Castoriadis a écrit:
Le temps comme « dimension » de l’imaginaire radical (donc, comme dimension aussi bien de l’imagination radicale du sujet en tant que sujet, que l’imaginaire social-historique) est émergence de figures autres (et, notamment, d’ « images » pour le sujet, d’eidè social-historiques, institutions et significations imaginaires sociales, pour la société). Il est altérité-altération des figures et n’est, originairement et nucléairement, que cela. – Ces figures sont autres moyennant non pas ce qu’elles ne sont pas (leur « place » dans le temps), mais moyennant ce qu’elles sont ; elles sont autres pour autant qu’elles brisent la déterminité, qu’elles ne peuvent pas être déterminées, dans la mesure où elles le sont, à partir de déterminations qui leur sont « extérieures » ou leur viennent d’ailleurs. (288)


Par ailleurs, je me demande si la réflexion suivante n’est pas adressée à Henri Bergson, ou si elle pourrait l’être :
Il ne sert à rien de critiquer la « spatialisation » du temps, sa « réduction à l’étendue », si l’on maintient les déterminations traditionnelles de l’être – c’est-à-dire l’être comme déterminité. Car, dès que l’être a été pensé comme déterminité, il a été aussi nécessairement posé comme a-temporalité. Toute temporalité ne peut être, dès lors, que modalité seconde et dérivée ; la seule question qui subsiste (et torture la philosophie tout au long de son histoire) est la possibilité de déterminations différentes n’annihilant pas l’identité, donc du Pluriel ; et pour que celui-ci soit (pensable), il faut et il suffit qu’il y ait chôra ou Espacement originaire, dans et par quoi peut être déterminé ce qui est déterminé (que ce qui est soit eidos, ousia, ou « matière », etc., est strictement indifférent)

En outre, il faut noter que Castoriadis, s’il ne les différenciait pas au début, en vient finalement à opposer les termes « différent » et « autre », la différence renvoyant à un arrangement spatial différent – des mêmes « points » -, l’autre, au temps, à l’émergence de figures « autres », autrement déterminées. On trouve cette distinction explicitée dans le sous chapitre suivant, « Temps et création » :
Castoriadis a écrit:
Certes, le temps – au sens que nous donnons ici au terme, le temps comme altérité-altération – implique l’espace, puisqu’il est émergence de figures autres, et que la figure, le Pluriel ordonné ou minimalement formé, présuppose l’espacement. Mais dire que des figures sont autres (et non pas simplement différentes) n’a de sens que si d’aucune manière la figure B ne peut provenir d’une disposition différente de la figure A – comme cercle, ellipse, hyperbole, parabole proviennent l’un de l’autre et sont donc les mêmes points dans des dispositions différentes ; autrement dit, qu’aucune loi ou groupe de lois identitaires ne suffit pour produire B à partir de A. Si l’on préfère, j’appelle autres des figures dans ce cas, et dans ce cas seulement ; dans le cas contraire, je les appelle différentes. Et je dis que le cercle est différent de l’ellipse ; mais que La Divine Comédie est autre que l’Odyssée, et la société capitaliste autre que la société féodale. (291-292)


Nous pouvons de là revenir vers une de vos questions, avec quelques précisions supplémentaires :

lcz a écrit:
Est-ce tenable d'affirmer la radicale différence du présent et de l'avenir par rapport au passé? n'est-ce pas la inversement vider le passé de sa substance?


Que la société capitaliste soit autre que la société féodale, au sens retenu ici, cela n'implique pas que l'une et l'autre soient vides de déterminations. En outre, une telle appréhension du temps doit au contraire nous inciter à porter une plus grande attention à bien saisir les époques et les sociétés pour "ce qu'elles sont", "en propre". Je n'ai pas mis le passage où Castoriadis commente le Timée mais il y fait un remarquable effort de traduction et de restitution : il s'agit d'identifier, avec les plus grandes précautions, le sens des mots qui sont employés - ce qui est possible, notons-le, dans la mesure où eux-mêmes employaient ces mots dans un sens bien déterminé. Remarquez aussi que, quelque part, la tâche de l'historien devient franchement absurde : chercher à représenter ce qui n'est plus, ce dont il ne reste rien, ce qui, du moins, se donne à soi comme radicalement autre, ne pouvant être déduit à partir du présent, de soi. Mais c'est, "paradoxalement", au sein de cette contradiction que son travail prend son sens. C'est elle qui l'entraîne dans un incessante recherche, toujours plus minutieuse, qui ne peut pas avoir de terme, qui ne peut pas être conclue. Et, si vous lisez un peu Castoriadis, vous remarquerez d'ailleurs que la plupart des livres qu'il a écrit commencent par des considérations historiques. Et, dernière remarque, si vous observez la construction de ce forum, vous pourrez constater l'importance, sinon la préséance, accordée à l'histoire.

descriptionHistoire et culture, répétition du même ou constance du différent et du nouveau ? EmptyRe: Histoire et culture, répétition du même ou constance du différent et du nouveau ?

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Zingaro a écrit:
Mais il ne s'agit pas non plus d'affirmer que "du différent est et, encore plus, qu'en un sens ultime seul du différent est", car alors nous n'aurions pas avancé d'un pouce : ça reviendrait au "même", à cette différence près qu'on n'aurait plus les moyens de penser ce même. Castoriadis ne nous invite-t-il pas plutôt à ouvrir le problème du temps et, de là, à revenir vers la question des ensemble, vers la logique identitaire ? Ce serait finalement une reconsidération de la hiérarchie des problèmes, voire des méthodes philosophiques. L'histoire deviendrait le problème philosophique par excellence. Une histoire et des avenirs dans l'appréhension desquels la question de l'altérité ne pourrait plus être évacuée, ou "verrouillée", par la présupposition d'une identité. 


Il s'agit donc de réexaminer les méthodes traditionnelles d’appréhension du temps. L'ouverture dont vous parlez semble donc être un nouveau positionnement invitant à saisir autrement les dynamiques historiques, et c'est à l'aune de cette position qu'il faudrait réadapter le problème des ensembles. Mais quel est le contenu de cette position d'ouverture ? Cet extrait issu de Wikipedia peut peut-être aider :
Wikipedia a écrit:
Par opposition à une société hétéronome et à son « imaginaire », pour lesquelles les significations et institutions sociales sont posées comme indiscutables, une société autonome correspond pour Castoriadis à une société qui entame une dynamique « d'interrogation illimitée » sur ce que sont la justice et la vérité, à partir de la prise de conscience que toutes deux (justice et vérité) renvoient à des questions non susceptibles d'être résolues de manière définitive. En d'autres termes, une société ne peut devenir autonome que si elle (ses membres) entretient un rapport lucide à ses significations imaginaires sociales et à ses institutions, et donc, selon Castoriadis, si elle se reconnaît elle-même comme à l'origine de celles-ci, plutôt que d'instituer la croyance selon laquelle elles proviendraient d'une source extra-sociale incontestable (divinités, lois économiques ou lois de l'histoire, etc.). C'est en ce sens que Castoriadis parle de la "rupture de la clôture de l'imaginaire institué" (ou "clôture du sens"), celle-ci qui garantissait comme vraies et justes les normes sociales établies. Par là, se comprend aussi l'idée qu'une société autonome est celle qui se confronte lucidement au "Chaos/Abîme/Sans-Fond" qu'elle représente pour elle-même, et que le monde représente en tant qu'il ne nous fournit aucune norme ni aucun critère objectif pour l'institution de la société

N'est-ce pas cette "dynamique d'interrogation illimitée" qui doit justement être le point d'appuie de l'approche de l'histoire prônée par Castoriadis ? La "rupture de la clôture de l'imaginaire institué" est alors la conséquence de l’intégration de l’appréhension dynamique. En ce sens il faut certes poser les ensembles (en usant donc de l'analyse) tout en acceptant à terme leur remise en question. Qu'en pensez-vous ?

Zingaro a écrit:
En outre, concernant "l'analycité", j'ai quelques doutes sur ce qu'il faut comprendre. L'analyse ne nous situe-t-elle pas, contrairement à la représentation, à l'image et à la vision, dans un déroulement permettant que soient articulés des aspects contradictoires de la réalité ? 

Cela semble fort juste.

Zingaro a écrit:
Nous devrions peut-être distinguer analyse et représentation, et réfléchir sur leurs rapports.

En effet. 

L'analyse :
Larousse a écrit:
Opération par laquelle l'esprit décompose un ensemble constitué, pour en déceler l'autonomie des parties, pour en apprécier mieux la congruence ou la finalité, ou simplement pour rendre accessible chacun de ses éléments

La représentation :
Larousse a écrit:
Action de rendre sensible quelque chose au moyen d'une figure, d'un symbole, d'un signe

En ce qui concerne leur rapports, ne peut-on pas penser que d'un coté l'analyse dépend nécessairement de la représentation puisqu'elle ne peut traiter que ce qui a été "rendu sensible" par cette dernière, mais que de l'autre, la représentation ne peut se passer de l'analyse puisque celle-ci permet en retour, par son opération de clarification, un renforcement et un affinement de la représentation ? Pour revenir à votre idée selon laquelle l'analyse permet que soient articulés des aspects contradictoires de la réalité , il me semble finalement que pour ce faire elle doit nécessairement la fixer par le moyen des ensembles, et ainsi clarifier, tout en ayant accepter d'abord la nécessaire mise en mouvement, donc à terme une transformation et une réadaptation. Qu'en dites-vous ?

Zingaro a écrit:
Par ailleurs, je me demande si la réflexion suivante n’est pas adressée à Henri Bergson, ou si elle pourrait l’être : 
Il ne sert à rien de critiquer la « spatialisation » du temps, sa « réduction à l’étendue », si l’on maintient les déterminations traditionnelles de l’être – c’est-à-dire l’être comme déterminité. Car, dès que l’être a été pensé comme déterminité, il a été aussi nécessairement posé comme a-temporalité. Toute temporalité ne peut être, dès lors, que modalité seconde et dérivée ; la seule question qui subsiste (et torture la philosophie tout au long de son histoire) est la possibilité de déterminations différentes n’annihilant pas l’identité, donc du Pluriel ; et pour que celui-ci soit (pensable), il faut et il suffit qu’il y ait chôra ou Espacement originaire, dans et par quoi peut être déterminé ce qui est déterminé (que ce qui est soit eidosousia, ou « matière », etc., est strictement indifférent)



Réflexion intéressante, il nous semble saisir l’idée que l'approche identitaire a pour conséquence nécessaire le déterminisme, or ce dernier ne peut mener qu'à l’a-temporalité (et donc à une tentative de saisir le temps "hors du temps"). Faut-il en fait comprendre qu'il n'y a pas Un Déterminisme, mais une multiplicité de déterminités ? Le problème résiderait donc dans la façon d’appréhender analytiquement (donc par traitement identitaire et ensembliste) cette multiplicité ? Est-ce cela le fond du problème de l'un et du multiple dans La métaphysique d'Aristote par exemple ?
La phrase soulignée en rouge nous pose problème, pouvez vous expliciter ?

Castoriadis a écrit:
Certes, le temps – au sens que nous donnons ici au terme, le temps comme altérité-altération – implique l’espace, puisqu’il est émergence de figures autres, et que la figure, le Pluriel ordonné ou minimalement formé, présuppose l’espacement. Mais dire que des figures sont autres (et non pas simplement différentes) n’a de sens que si d’aucune manière la figure B ne peut provenir d’une disposition différente de la figure A – comme cercle, ellipse, hyperbole, parabole proviennent l’un de l’autre et sont donc les mêmes points dans des dispositions différentes ; autrement dit, qu’aucune loi ou groupe de lois identitaires ne suffit pour produire B à partir de A. Si l’on préfère, j’appelle autres des figures dans ce cas, et dans ce cas seulement ; dans le cas contraire, je les appelle différentes. Et je dis que le cercle est différent de l’ellipse ; mais que La Divine Comédie est autre que l’Odyssée, et la société capitaliste autre que la société féodale. (291-292)


Cette distinction semble hautement pertinente. La différence reste donc en un sens une déclinaison du même (donc de l’identité donc de la logique ensembliste), puisque pour qu'il y ait différence, il faut qu'il y ait coexistence, donc présence simultanée d’éléments qui diffèrent (en ce sens A peut produire B parce que ce dernier est potentiellement là, en puissance d’être selon les termes d'Aristote. Or il nous semble comprendre que pour Castoriadis l'affirmation de cette potentialité d’être implique toujours déjà l'affirmation d'une coexistence (nécessairement dans l'espace) de A et de B). Nous entendons bien l’idée d'une radicale nouveauté de ce qui est selon sa définition autre. Néanmoins qu'en est-il de ceux qui opposent à une telle affirmation l’idée d'une "transition" entre société féodale et société capitaliste ? Poser une telle question revient-il à être encore une fois piégé dans la logique ensembliste traditionnelle ?
Zingaro a écrit:
Que la société capitaliste soit autre que la société féodale, au sens retenu ici, cela n'implique pas que l'une et l'autre soient vides de déterminations. En outre, une telle appréhension du temps doit au contraire nous inciter à porter une plus grande attention à bien saisir les époques et les sociétés pour "ce qu'elles sont", "en propre". Je n'ai pas mis le passage où Castoriadis commente leTimée mais il y fait un remarquable effort de traduction et de restitution : il s'agit d'identifier, avec les plus grandes précautions, le sens des mots qui sont employés - ce qui est possible, notons-le, dans la mesure où eux-mêmes employaient ces mots dans un sens bien déterminé. Remarquez aussi que, quelque part, la tâche de l'historien devient franchement absurde : chercher à représenter ce qui n'est plus, ce dont il ne reste rien, ce qui, du moins, se donne à soi comme radicalement autre, ne pouvant être déduit à partir du présent, de soi. Mais c'est, "paradoxalement", au sein de cette contradiction que son travail prend son sens. C'est elle qui l'entraîne dans un incessante recherche, toujours plus minutieuse, qui ne peut pas avoir de terme, qui ne peut pas être conclue. Et, si vous lisez un peu Castoriadis, vous remarquerez d'ailleurs que la plupart des livres qu'il a écrits commencent par des considérations historiques. Et, dernière remarque, si vous observez la construction de ce forum, vous pourrez constater l'importance, sinon la préséance, accordée à l'histoire.


Wikipedia a écrit:

  • approche synchronique : on étudie une « coupe instantanée » de diverses institutions voisines au même moment. Par exemple, je peux envisager d'étudier les lois, le système scolaire et les banlieues en France en septembre 2005. C'est déjà une vaste tâche qui me mènerait certainement à élargir mon instantané à d'autres institutions voisines, l'apprentissage, l'entreprise, la prison, l'hôpital, les médias ; et je serai peut-être poussé à comparer les mêmes institutions à la même date dans les pays voisins: Allemagne, Angleterre, Italie… En fait Castoriadis a tendance à penser que quand on tire un fil de l'écheveau, tous les autres fils finiront par se manifester car tout se tient dans le résultat instantané d'une construction sociale-historique.

  • approche diachronique : ici on étudie une seule institution, mais dans son déroulement au cours du temps. Par exemple je peux envisager l'étude des transports en commun en France de 1805 à 2005. Je rencontrerai probablement la nécessité de déborder de mon sujet et il serait étonnant que je n'aborde pas les transports en banlieue.

  • les deux approches se recouvrent l'une l'autre : en effet, note Castoriadis, en matière sociale-historique tout interagit avec tout et réciproquement, la simplification synchronique multi-sujet ainsi que la simplification diachronique mono-sujet, pour utiles qu'elles soient en première approche, ne sont pas tenables très longtemps. Les fils de mon écheveau s'entremêlent dans le temps et dans les institutions, surtout le temps qui a un relief privilégié chez Castoriadis. Non seulement les institutions se construisent dans le temps (entre autres facteurs), mais encore ce serait un non-sens de parler d'institutions sociales-« historiques hors-temps ».



D'après ce que nous dit Wikipedia (ces informations sont bien évidemment à prendre avec des pincettes) il semble qu'il y ait selon Castoriadis une sorte d’enchevêtrement des événements dans le cours du temps. Or le besoin de saisir l'objet d’étude en "propre" pousse à un découpage qui peut être synchronique ou diachronique tel que décrit dans l'extrait Wikipedia ci-dessus. On peut voir qu'il y a tension entre cette volonté d'une saisie de l'objet d’étude en propre, et le fait que "quand on tire un fil de l’écheveau, tous les autres fils finissent par se manifester". En outre, comment concilier cette idée d’enchevêtrement avec l'affirmation suivante :
Castoriadis a écrit:
« La non-détermination de ce qui est n’est pas simple « indétermination » au sens privatif et finalement trivial. Elle est création, à savoir émergence de déterminations autres, de nouvelles lois, de nouveaux domaines de légalité… »


Il y aurait donc à la fois enchevêtrement, donc liaison (transition ?), mais aussi "émergence de déterminations autres ", comme vous l'avez explicité ? N'est-ce pas contradictoire ? Ou est-ce un préjugé que de croire que pour qu'il y ait enchevêtrement, il faut nécessairement que ce qui précède détermine ce qui suit (puisque sans cela, on se dit qu'il faudrait alors postuler un surgissement ex nihilo de ce qui suit comme si B surgissait alors du néant) ? En ce sens il y aurait création dans le processus de transition menant de l’état A à l’état B, tandis que la logique ensembliste traditionnelle nierait la création, au profit de la détermination par A. En somme B s'auto-détermine sans toutefois surgir du néant, c'est-à-dire que l’état B reste paradoxalement lié à A. Qu'en pensez-vous ?

Bien à vous.
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