Wintman a écrit: J'ai pu en apprendre plus sur cette opposition de courants, et je me demande pourquoi personne ne l'a jamais mentionnée dans les médias ou les documentaires en général.
On en est encore à l'heure des célébrations. Et puis la
French theory a un certain succès d'estime auprès des journalistes. De sorte que les critiques, notamment émises par une philosophie plus austère, ont moins de visibilité.
Wintman a écrit: Elle est peut-être floue et pas omniprésente dans l'esprit de la plupart des philosophes ?
La querelle entre philosophie continentale et philosophie analytique (anglo-saxonne) est très vive entre les universitaires, chacun défendant sa chapelle. Mais c'est aussi une querelle artificielle, parce qu'il me semble que les deux courants prennent position par rapport au
linguistic turn emprunté par la philosophie en général. En revanche, ils y apportent des réponses divergentes, par exemple sur la méthode, le style et la norme du discours (cf. la question de la vérité). On peut se demander si la philosophie peut conserver son indépendance au regard des paradigmes scientifique et littéraire, s'il faut choisir entre eux. (On pourra se reporter à la querelle entre Bergson et Russell.)
Wintman a écrit: je ne comprends toujours pas pourquoi Deleuze va jusqu'à parler de mort de la philosophie.
Je ne sais plus exactement ce que Deleuze entend par là. Mais on peut avancer quelques explications. Comme je l'ai dit, Deleuze considère que la philosophie est une activité consistant dans la création de concepts. Les concepts ne sont pas découverts, il n'y a pas de vérité éternelle en sommeil, attendant que nous la retrouvions. Par contre, penser se fait toujours en affrontant le non-philosophique, l'en-dehors de la raison. La vie est changeante, sans sens, et nous y faisons des rencontres qui nous forcent à penser. Penser, c'est faire quelque chose à partir du nouveau. C'est créer, positionner de nouveaux problèmes. Or pour Wittgenstein, la philosophie n'est pas création (même s'il a créé un certain nombre de concepts). La philosophie est une activité thérapeutique, elle consiste à critiquer l'usage que nous faisons du langage pour ensuite dégonfler toute une série de faux problèmes. L'ennemie intérieure, la plupart du temps, c'est donc la philosophie elle-même. En tout cas, la philosophie héritée et qui équivaut à la métaphysique. D'un côté, on a donc Deleuze qui encense la philosophie (un vitalisme et une métaphysique du mouvement réel, pourrait-on dire), de l'autre une attitude antiphilosophique (pour reprendre le terme d'Alain Badiou) qui s'accorde aussi bien avec le pragmatisme qu'avec le positivisme logique. Ce dernier postule des invariants langagiers mais aussi la pertinence du concept de vérité, c'est-à-dire que sont réintroduits ce qui fait horreur à Deleuze : la transcendance, la représentation, etc. Tout ce qui nous empêche de penser en nous détournant de ce que la réalité a de chaque fois nouveau. Ainsi, la philosophie serait figée, voire menacée de destruction.