Collegienmv a écrit: Comment être libre sans choix ?
Je pense maintenant que la liberté n'existe plus, ce n'est qu'une sensation indéfinissable mais qui porte un nom : "se sentir libre". Nos choix, des plus futiles aux plus importants, nous permettent de ressentir cette sensation. Vous me demandez de régler le problème suivant : il faudrait exercer sa liberté sans avoir de choix. Je vous laisse le soin de régler cette aporie. La réponse la plus simple qui me vient à l'esprit est que nous faisons constamment des choix. C'est moi qui ai décidé de venir échanger avec vous et vous avez choisi de répondre. Par exemple si je décide de ne rien faire, c'est mon choix ; il est vrai que ce choix a déjà été fait donc c'est l'un des choix qui m'est imposé comme d'autres. Le seul choix qui pourrait me faire sentir libre est un choix que personne n'aurait fait auparavant. Cela serait donc de l'originalité puisque l'originalité a déjà été pensée alors ce serait un choix que l'on m'impose encore.
Vous assimilez liberté et libre arbitre. Vous comprenez la liberté comme libre arbitre : celui qui choisit (libre arbitre) est libre (liberté). Or nous devrions peut-être nous interroger sur cela... La compréhension de la liberté comme libre arbitre ne date pas de l’antiquité, car le rapport des anciens à la liberté était politique, c’est-à-dire en rapport avec la
polis, avec les autres. La liberté entendue comme libre arbitre n’arrive qu’avec les premiers chrétiens, et notamment saint Paul, qui découvre alors un genre de liberté qui n’a rien à voir avec la politique, une liberté ayant un rapport non aux autres, mais à soi. Et c’est ensuite saint Augustin qui introduit dans l’histoire de la philosophie le libre arbitre de saint Paul. Nous voyons donc que la tradition philosophique, depuis Saint Augustin, entend la liberté comme libre arbitre, c’est-à-dire comme liberté de notre volonté.
Mais si cela vient avec Saint Augustin (et aussi Descartes qui s'inscrit dans la continuité de Saint Augustin), que faut-il penser des Grecs ? Que faut-il penser de Spinoza, qui réfute clairement le libre arbitre mais point la liberté (qui est le but ultime de sa philosophie en tant qu'elle est la condition de la béatitude de l'homme) ? Que faut-il penser de ceux qui s'inscrivent ensuite dans la continuité de Spinoza (Schopenhauer, Nietzsche) ?
Déjà, l'on voit que l'absence de choix n'est pas négation de la liberté, mais négation du libre arbitre, qui n'est peut-être pas la même chose, finalement. Mais comment être libre sans libre arbitre ? Comment Spinoza, par exemple, répond à cet immense problème ? Il s’agit chez lui, par la puissance de son entendement, de comprendre les causes qui déterminent le monde et nous-mêmes. Et ainsi, en comprenant de manière adéquate la nécessité extérieure, l’homme n’en est plus le jouet. Il peut alors être actif, agir, et agir selon sa propre nécessité. Nous pourrions dire, pour résumer la pensée de Spinoza, que dans ce monde entièrement déterminé, l’homme, pour être libre, doit acquérir une connaissance des déterminations qui pèsent sur lui afin de ne pas en être l’esclave : l’homme libre ne s’oppose pas de façon absurde à la nécessité de la nature, mais apprend au contraire à se mouvoir au sein de celle-ci. Ainsi même si Spinoza renonce au libre arbitre, il ne renonce certainement pas à la liberté. Seulement c’est une liberté autre : la liberté qu’enseigne Spinoza n’est pas la liberté capricieuse du choix naissant d’une hésitation entre des tomates et des asperges, mais la liberté fondamentale de celui qui épouse la nécessité qui le constitue et qui comprend la détermination qui est la sienne. La liberté est donc libre nécessité, elle consiste à être déterminé par soi plutôt que par autre chose.
Voilà un sens de la liberté qui n'a rien à voir avec le choix. J'espère vous avoir permis ici de vous faire entrevoir que la question de la liberté n'est pas aussi simple qu'on le pense.
P. S. : pour éviter le doublage des messages, sachez que vous pouvez les éditer ;)