Euterpe a écrit: Peut-être a-t-il été frappé, pendant ces soirées où il jouait aux cartes, buvant et jouissant, de la satisfaction inauthentique des libertins, qui devaient donner l'impression, recourant à la raison, que la ratiocination trahissait une posture fragile, défensive, pas si assurée d'elle-même. Il devait trouver le libertinage naturel, mais pas les libertins, pas leurs discours.
C'est aussi ce qui me frappe dans mes soirées. Il m'apparaît important de ne pas être l'objet d'une morale, de satisfaire des besoins ou des désirs, de pouvoir se divertir et s'oublier, de prendre du plaisir, de faire la fête, de partager des moments de joie avec des amis, etc., mais ce divertissement et cet oubli nous font oublier jusqu'à notre propre condition et nous ne voyons plus ou ne voulons plus voir ce que nous faisons. On boit, on s'abrutit, on est content. Mais moi ça ne me contente jamais tout à fait, surtout lorsque je vais à un concert, par exemple, pour apprécier la musique ou danser et que j'entends tous ces discours niais du
peace & love et de fumeuse révolte subversive, ainsi que toute cette mascarade prenant pour prétexte les bons sentiments pour pousser à l'abêtissement, à la consommation de drogues, à justifier des comportements de débauche comme si c'était ça qui était véritablement raisonnable, etc. Quand je reprends mes esprits il m'arrive de me demander ce que je fais là.
Euterpe a écrit: C'est pourquoi la conversion de Pascal est si forte, si définitive : il se convertit aussi par devoir.
Par devoir vis-à-vis du père ? Ou par devoir de ce qu'il s'est lui-même fixé comme tel ?
Euterpe a écrit: Que faites-vous à Port-Royal ? A quoi vous convertissez-vous ? Vous nous parlez d'un bordel en même temps que d'un lieu de pénitence !? Tout ça n'est pas très catholique !
Moment biographique : je suis né à Versailles et j'ai toujours vécu à proximité de Port-Royal des Champs qui est à 2 ou 3 kilomètres de chez mes parents. En Terminale madame le professeur de philosophie nous avait incité à y faire un tour. Mais si j'avais été sensible à Pascal je ne m'y rendis que l'été dernier avant de partir aux États-Unis. C'est une très bonne période pour visiter les lieux (ouverts gratuitement à tous les premiers dimanches du mois), le soleil donne un très bel aspect aux jardins qui brillent de mille feux. Vous pouvez y voir le puits de Pascal, son masque mortuaire, ses notes manuscrites, de même pour Racine, les fameux portraits de Pascal ou de M. de Sacy, tout ce qui concerne Arnauld, etc. Mais la visite de l'intérieur n'est pas une partie de plaisir, l'ambiance est comme l'environnement : dépouillée.
Liber a écrit: Nietzsche n'était lié qu'à son entourage le plus proche, sa mère et sa sœur, et éventuellement une ou deux femmes. Pascal semble avoir davantage subi le poids de son époque.
Pas sûr, il faut voir la façon dont Nietzsche s'est débattu avec une carrière universitaire qui ne lui plaisait pas, avec Wagner et Bayreuth, la façon dont il a rompu de nombreuses amitiés, etc. Certains parlent aussi du poids du père, Nietzsche redoutant de mourir au même âge et de devenir fou comme lui. Après il y a tous les écrits et leurs polémiques adressés à pas mal de travers de la société allemande de l'époque.
Liber a écrit: J'ai des doutes sur sa capacité à s'être abstrait du monde extérieur, malgré son mysticisme.
Euterpe a écrit: On peut même avancer qu'il n'a jamais eu besoin de s'abstraire du monde extérieur : y est-il seulement entré à demi ?
Il a tenté de renoncer à lui-même, à son orgueil, pour faire preuve au quotidien de charité. Après la période politique de la polémique contre les Jésuites, et donc indirectement de Port-Royal contre l'absolutisme royal, Pascal s'est mis à l'éthique sur le terrain. Et auparavant il y eut la jeunesse du génie scientifique participant avec d'autres à des débats et puis cette période libertine ou mondaine. Pascal créa aussi une société de carrosses. Je ne pense pas qu'il ait été hors du monde, simplement inadapté à la vie sociale, incarnant parfois une grande figure faisant autorité mais incomprise et finalement toujours à la bordure du monde, toujours préoccupé intérieurement par ce monde si vaste et dangereux. La conversion religieuse pourrait être vue comme l'impossibilité de s'incarner dans le monde et comme la seule action possible pour Pascal soit de se soustraire au monde soit de modifier le monde en se changeant lui-même. Si Pascal a tant besoin de la grâce et qu'il ne l'a point, à lui de se l'apporter à lui-même et de la faire pénétrer dans le monde.