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La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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PhiPhilo
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descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 96 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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Au cinquième été de ce fil qui compte près de cinq cents messages, un point s’impose. D’autant plus que la publication intempestive et fragmentée d’une sorte d’essai répondant à une autre problématique l’obscurcit passablement.

Rappeler donc d’abord la problématique de départ s’impose pour la clarté. Dehaene nous a-t-il donné le code de la conscience ? Voilà la question brute originelle. L’existence de la conscience animale comme humaine est-elle due à la seule intégration d’algorithmes d’informations ? Voilà la vraie question qu’on pose ici.

La conscience « informatique » de Dehaene, cette conscience qu’il croit possible de fabriquer simplement en étendant et en assouplissant les processus d’intégration d’une machine fait l’impasse totale sur la dimension affective sans laquelle la conscience ne saurait avoir d’existence réelle. C’est ce que j’ai souligné dans mon message liminaire. En même temps, j’ai introduit et proposé à la discussion l’idée d’une énergie psychique qui serait propre à la conscience.

Dans mon message du 30 juin : « Cinq pirouettes et deux émois », je reviens sur cette notion d’énergie psychique d’une façon qui se veut un peu plus précise mais qui a encore besoin d’être éclairée.

L’idée est qu’on peut trouver chez l’homme éveillé comme chez un des premiers animalcules candidats à la conscience, le nématode C. elegans un comportement témoignant d’un phénomène psychique identique. Ce comportement est la « pirouette », la volte-face du nématode nageant dans une direction donnée et y détectant la présence d’un répulsif chimique et celle du coureur de fond rencontrant une odeur infecte. Le phénomène psychique concomitant immédiatement postérieur à la détection et immédiatement antérieur à la volte-face est un émoi que j’appelle « l’émoi de la pirouette ». Cet émoi a trois composantes : une composante qualitative particulière qui le constitue en tant que quale, une composante affective qui lui donne sa nature de mal être entraînant un désir de fuite, une composante quantitative enfin qui correspond au degré du mal être et qui entraîne précisément l’effet de la pirouette et donc correspond au degré d’effort nécessaire pour pirouetter. La première caractéristique peut être considérée comme tout à fait variable. La sensation associée au mal être peut avoir des origines très différentes et recevoir en fonction de cela une nature tout à fait particulière. Mais le mal être en soi et son degré qui engendre la pirouette sont pour moi identiques chez le nématode et chez l’homme. Si le degré était plus faible, la pirouette n’aurait pas lieu. Je considère en effet que le coût de l’effort pour accomplir la pirouette nécessite un degré minimum de désagrément qui, toutes choses égales par ailleurs, est en quelque sorte invariable, quel que soit le pirouetteur.

Et je considère en même temps que ce degré-là mesure une quantité d’énergie psychique. Cette quantité d’énergie psychique est alors associée à la quantité d’énergie physique dépensée dans l’effort. Elle n’existe qu’autant qu’il y a une quantité d’énergie physique dépensée. Mais (et c’est là ce que j’ai souligné dans mon article) cette quantité d’énergie physique dépensée, qui est entrée en quelque sorte dans le circuit de production du mal être, donc de l’énergie psychique, ne se confond pas avec elle. Il n’y a pas transmutation de l’énergie physique en énergie psychique sinon le mal être du nématode qui se retourne serait des milliards de fois plus faible que celui du coureur de fond faisant volte-face et il n’y aurait plus cette identité de degré indépendant de la masse de l’animal mobile. C’est ce que j’ai reprécisé dans ma réponse à Phiphilo du 8 juillet :

« J’envisage un objet de masse m1, le nématode et un autre de masse m2, le coureur. L’énergie de l’émoi ressenti avant d’effectuer la pirouette aurait une grandeur égale à celle de l’effort fourni représentant une dépense d’énergie e1 pour le nématode et e2 pour le coureur. e1 serait une portion donnée de l’énergie de masse totale de m1 : E1, soit a. Et on aurait aE1=e1. Pour le mobile de masse m2 (le coureur) on aurait e2=bE2, b étant la portion donnée de l’énergie totale de masse m2 : E2.
Je suppose que e1/E1 = e2/E2 => aE1/E1 = bE2/E2 => a=b = r, une constante donnée par un nombre réel compris entre 0 et 1. »


Alors l’énergie psychique aurait bien comme l’énergie physique une grandeur mesurable. Mais sa mesure ne saurait être faite qu’en relation avec la masse de l’être supposé conscient, sa grandeur augmentant quand augmenterait la proportion d’énergie physique entrant dans le circuit de production par rapport à cette masse et diminuant à l’inverse.

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J'aime beaucoup ce que vous faites ...

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PhiPhilo a écrit:
J'aime beaucoup ce que vous faites ...


Je ne saurais aligner quatre notes sur un piano sans faire fuir les auditeurs. Je ne suis pas ce Doucet-là. J'ai deux s à la place du c, Monsieur P. N.

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(suite de ...)

Ce qui incline à penser que, même en l'absence de frontière de chacun des "mondes propres", il existe une limite, celle-ci fût-elle asymptotique, à la variabilité de chacun de ceux-ci. Rappelons d'abord qu'une entité "fractale" (et nous avons vu en quoi une organisation vivante est une telle entité) est, théoriquement, un objet mathématique doté d'une aire finie mais d'un périmètre infini (on dit aussi d'un nombre non-entier de dimensions). On pourrait donc dire que la surface d'un tel objet est la limite finie de son contour infini. Mais une célèbre expérience de pensée proposée par Quine illustre humainement l'oscillation du "monde propre" entre absence de frontière et présence d'une limite. Supposons un linguiste qui s'aventure dans une tribu indigène complètement inconnue de lui et dont il entreprend d'établir un lexique de traduction. Ce linguiste remarque que, à de certains moments de la journée, les indigènes s'écrient "gavagaï !" tandis qu'un lapin apparaît dans le champ visuel de l'explorateur. La question que se pose le linguiste est : ai-je le droit de traduire gavagaï par "lapin" ? Le linguiste, qui est humien, sait que corrélation n'est pas causalité et donc que la perception de l'événement que, lui, nomme "lapin" n'est pas nécessairement la perturbation qui, chez les indigènes, justifie l'énonciation "gavagaï !". Après tout, même s'il est fort probable que l'objet que le linguiste nomme "lapin" est corrélé à cette énonciation, il se pourrait tout aussi bien que l'événement pertinent soit, pour les indigènes, une partie du lapin, ou alors le lapin plus autre chose que le linguiste n'a pas encore remarqué, ou, pourquoi pas, tout autre chose que ce lapin qu'ils pourraient, in situ, ne pas percevoir du tout. Une seule certitude pourtant : le linguiste doit admettre comme un postulat que la variation de leur "monde" par rapport au sien propre admet une limite. En l'occurrence, que, même si le "lapin" n'est pas perçu par les indigènes dans le contexte d'énonciation de gavagaï, ceux-ci ont néanmoins la même capacité physiologique que lui de percevoir ce qu'il nomme "lapin" et que, inversement, même si le linguiste n'a pas encore perçu ce qui, dans le "monde" des indigènes, s'accompagne de "gavagaï !", il a néanmoins la capacité physiologique de le percevoir. Il est clair que, sans ces deux assomptions au sujet de la limite de variabilité des "mondes" respectifs du linguiste et des indigènes, aucune hypothèse de traduction ne serait possible et il faudrait alors conclure qu'on est en présence de deux "mondes" sans commune mesure, donc non inter-compréhensibles, tant il semble vrai que "comprendre" (cum prehendere, "prendre avec soi") consiste à être co-affecté d'une perturbation commune. Dans le cas particulier des "mondes" humains, il faut bien admettre que la compréhension est très largement favorisée par l'existence d'un langage, c'est-à-dire par un mode de communication d'in-formations exemptes de toute urgence vitale immédiate. En fait, "nous apprenons la plupart des choses, la plupart des traits caractéristiques du soi-disant monde extérieur par l’intermédiaire du langage"(Quine, le Domaine et le Langage de la Science, ii). Bref, lorsqu'il s'agit de pénétrer dans un "monde" qui, tout en étant humain, ne nous est pas familier, "nous sommes à la recherche des habitudes linguistiques qui lui ont été inculquées socialement, donc de ses réponses à des conditions normalement sujettes à une évaluation par les membres du groupe"(Quine, le Mot et la Chose, §8). Prenons, par exemple, l'apprentissage du langage par le petit d'homme : "on présente simultanément à l’enfant des émissions du mot et des exemples d’objets rouges ; on applaudit aussi à son propre babillage lorsqu’il émet un son qui ressemble à ‘rouge’ en présence du rouge ; au bout du compte, l’enfant acquiert l’art d’utiliser le mot conformément au goût de la société"(Quine, le Domaine et le Langage de la Science, ii). De sorte que "la vérité ou la fausseté de chaque proposition change assurément quelque chose à la constitution générale du monde […]. Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde"(Wittgenstein, Tractatus, 5,5262-5.6). LE monde, au sens d'une concaténation d'objets réputée objective et indépendante de toute aperception par quelque niveau d'organisation vivante que ce soit, est une illusion source de duhkha, de disharmonie. Et ce, exactement au même titre que l'illusion d'un "soi" substantiel. Dès lors, le présupposé objectiviste (rebaptisé "universalisme" par les Lumières) caractéristique du paradigme scientifique occidental et selon lequel il n'y aurait, par définition, pas de connaissance objective sans objet, donc sans observateur d'un objet extérieur qui serait, en droit, sinon en fait, indépendant de celui-ci, pose un grave problème. Y compris dans les sciences. Comme le dit Kuhn à propos de ce qu'il appelle le "paradigme" pour parler de l'Umwelt d'une classe de scientifiques historiquement et géographiquement située, "dans la mesure où ils n’ont accès au monde qu’à travers ce qu’ils voient et font [...] après un changement de paradigme les scientifiques réagissent à un monde différent"(Kuhn, la Structure des Révolutions Scientifiques). Et de citer l'exemple de l'avènement de la chimie daltonienne : dans quelle mesure peut-on dire que ceux qui attribuaient la combustion à la présence d'un fluide "phlogistique" partagent un "monde" commun avec ceux qui ont compris que la combustion est le résultat de la réaction chimique d'un combustible avec un comburant (par exemple O2) ? Ce qui n'implique nullement que le "monde" de ceux-ci soit plus réel ou plus vrai que le "monde" de ceux-là, car "pour autant qu’on peut parler de déterminer comme correctes les versions qui « nous apprennent quelque chose sur le monde » - « le monde » étant, suppose-t-on, celui que toutes les versions correctes décrivent -, tout ce que nous apprenons du monde est contenu dans les versions correctes élaborées à son sujet"(Goodman, Manières de faire des Mondes) : ce n'est pas parce qu'un paradigme est vrai et qu'un autre est faux qu'il y a glissement du faux vers le vrai, mais c'est, au contraire parce qu'il existe un tel glissement, toujours justifié par des avantages pragmatiques significatifs dans un contexte géo-historique donné (concrètement, parce que la néguentropie sociale s'en trouve améliorée) que l'un sera réputé vrai et l'autre faux et qu'il y aura glissement.

Malgré tout, il est impossible de renoncer à l'intuition d'UN "monde commun" comme limite absolue à la diversité des "mondes". Nous sentons qu'il DOIT, idéalement, exister quelque chose comme un "monde humain moyen" qui est ce qu'il est parce que les individus humains et les sociétés humaines sont des organisations vivantes convergeant vers une limite commune : l'humanité. C'est, en gros, ce que dit le "principe anthropique faible" (le "principe anthropique fort" suppose une création divine et, à ce titre, participe du paradigme mécanique causal que nous dénonçons). Que "l’homme de bien trouve la paix dans la vertu d’humanité [en chinois人 rén, homophone à 仁 rén, "bonté, bienveillance"]"(Confucius, Entretiens, IV, 1-2) est l'un des grands invariants de toutes les sagesses. Mais, si nous sentons aussitôt que ce plus grand dénominateur commun, qui est la limite que nous cherchions à la variabilité des "mondes" humains, est encore bien modeste, combien plus problématique encore doit être la compréhension d'une limite commune à la variabilité de TOUS les "mondes" vivants, autrement dit la compréhension d'un destin inter-spécifique commun. Wittgenstein dit que "si un lion pouvait parler, nous ne pourrions le comprendre"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, II, xi), car, même en supposant qu'il eût un langage articulé semblable au nôtre, nous n'aurions d'in-formations que sur la manière dont lui serait affecté de perturbations vitales qui, pour certaines d'entre elles en tout cas, ne nous affecteraient pas, nous autres humains . Que les "mondes" respectifs des humains et des non-humains ne soient pas intercompréhensibles rend difficilement concevable cette "compassion universelle" (karunâ) à l'égard de tous les vivants que prônent les bouddhistes dans la mesure où le fait de com-patir (cum pati, "souffrir ensemble") suppose encore une commune sensibilité exclue par hypothèse (il ne suffit pas de postuler que "les bêtes sont des être sensibles" pour que je puisse être sensible à what it's like to be a bat, pour reprendre le titre d'un célèbre article de Thomas Nagel). Faut-il alors renoncer à la compréhension, fût-elle seulement abstraite, "intellectuelle" (dénuée d'urgence vitale immédiate), d'un monde commun à tous les vivants qui, à défaut d'être la conjonction (le produit logique) de tous les "mondes" particuliers, ce qui n'a évidemment aucun sens dès lors qu'on part de l'hypothèse que ces "mondes" sont nécessairement disjoints, n'en soit justement que la disjonction (la somme logique) ? Or, si nous pratiquons une telle disjonction, à quoi aboutissons-nous sinon à la conclusion que tous les "mondes" vivants ont ceci de commun qu'ils sont … vivants et qu'ils coexistent sur … la même planète ? Tautologique ? Voire. Et pourtant, nous autres humains, en raison, précisément, de la formidable quantité d'in-formations "intellectuelles" corrélée à la formidable extension topologique possible de n'importe lequel des "mondes" humains ("l’esprit humain est apte à percevoir un très grand nombre de choses, et d’autant plus apte que son corps peut être disposé d’un plus grand nombre de façons" - Spinoza, Éthique, II, 14), sommes sans doute les seuls vivants aptes à percevoir cette limite comme une in-formation pertinente. Et même à supposer que cette pertinence ne soit nullement vitale (ce qui est manifestement de moins en moins vrai), le simple fait que nous soyons 天地之间 tiān dì zhī jiān, "médiateurs entre le Ciel et la Terre", comme le dit Lǎo Zǐ, confère à l'humanité une très lourde et unique responsabilité. Loin que les humains soient fondés à se considérer avec arrogance "comme maîtres et possesseurs de la nature", tout au contraire,  "il faut que les hommes cherchent sous la conduite de la Raison ce qui leur est réellement utile. [Or] les hommes ne peuvent rien souhaiter de supérieur [...] que de conserver leur être et chercher tous en même temps ce qui est utile à tous, composer pour ainsi dire un seul esprit ou un seul corps qu’ils s’efforcent tous de conserver"(Spinoza, Éthique, IV, 18). Il en résulte, comme nous le suggérions supra, que la seule acception recevable d'une soi-disant "conscience" humaine se trouve dans la construction grammaticale non-substantivée "être conscient de …", en l'occurrence de la responsabilité morale/éthique/juridique de chacune des organisations humaines à l'égard de la diversité des "mondes", que ceux-ci soient humains ou non-humains. C'est là le fondement même de la sagesse taoïste : "ne pas agir mais s'imposer à tous, voilà le Dào du Ciel. Agir mais être lié par ses actes, voilà le Dào de l'Homme […]. C'est pourquoi il est dit : ne pas détruire le céleste par l'humain, ne pas détruire l'ordre naturel par l'action humaine"(Zhuāng Zǐ, Zhuāng Zǐ, xi-xvii). Et de la sagesse hindouiste : "sous l'inspiration de la patience [kshama], l'homme se comporte envers toutes les créatures vivantes, que ce soit en pensée, en parole ou en acte, de la même façon qu'il aimerait qu'on se comporte envers lui ; si on y ajoute un mental voué au service de l'humanité au meilleur de ses capacités, on parvient à la bienveillance [maïtrî]"(Jabala Darshana Upanishad). Vaste programme !

(à suivre ...)

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Conclusion

Il ne suffit pas de sauter comme un cabri en  répétant "Dehaene ! Dehaene ! Dehaene !" pendant des années et des années pour s'opposer efficacement à la conception scientiste du sus-nommé en matière de conscience humaine et, surtout, pour proposer une approche alternative crédible du phénomène conscient. Car ladite conception est profondément ancrée dans un paradigme historiquement et géographiquement situés de la vie et, en particulier, de la perception. En effet, le paradigme occidental du vivant n'a pas varié depuis Hippocrate et Celse : c'est celui d'un étrange et embarrassant intermédiaire dans un processus mécanique dont les rouages sont tous mus par une chaîne causale commençant dans un événement extérieur au vivant (stimulus) et se terminant dans un événement extérieur au vivant (réaction). Comment s'étonner alors que, dans les conceptions occidentales du vivant, le mythique le dispute au sophistique et le mysticisme au scientisme ?

Ignorantes du dogme occidental du mécanisme causal, les pensées traditionnelles indienne et chinoise s'accordent avec la physique moderne pour considérer toute entité comme un champ énergétique instable en interaction stochastique et probabiliste (non-causale) avec d'autres champs énergétiques, les uns comme les autres étant sujets à l'entropie, c'est-à-dire à la perte tendancielle mais aléatoire d'énergie. À cet égard, les entités vivantes ne sont nullement des exceptions mystérieuses dans le cours naturel des choses mais des systèmes physiques qui doivent leur existence à l'auto-régulation des flux d'énergie dont ils sont le théâtre. Plus précisément, les entités vivantes sont un cas particulier d'organisations auto-catalytiques dotées de structures capables de retenir et d'optimiser la circulation de l'in-formation néguentropique. Il existe cependant une rupture de symétrie entre les entités inertes et les entités vivantes. Comme le suggère Francisco Varela, seules celles-ci en effet sont pourvues d'une double clôture topologique et fonctionnelle leur garantissant, d'une part une auto-poïèse par intégration fractale dans des structures de plus en plus complexes allant des acides aminés au grand Tout de la vie, d'autre part, pour chaque niveau d'intégration, une invariance organisationnelle globale sous une muabilité permanente des structures en fonction des variations énergétiques aléatoires générées par le chaos du réel. Est vivante, en conséquence, toute organisation auto-poïétique se décomposant en organisations auto-poïétiques de niveau inférieur et faisant partie intégrante d’une organisation auto-poïétique de niveau supérieur. La clôture fonctionnelle de chaque niveau d’organisation consiste en une parfaite circularité entre d'une part l'accommodation sensorielle afférente qui "apprend" en temps réel ce qui est susceptible de dé-former l'organisation et, d'autre part, l'assimilation motrice efférente de la dé-formation entropique sous la forme d'un mouvement qui affecte l'organisation totale en la maintenant opérationnellement invariante. 

Du coup, il ne pré-existe pas de "soi" vivant,  a fortiori de "soi" conscient, au sens d’un sujet centralisateur émetteur/récepteur exclusif de l'in-formation vitale, mais seulement des organisations cognitives tout à la fois indépendantes et coopérantes, inter-connectées par leur intégration fonctionnelle dans des organisations de niveau supérieur, lesquelles construisent, instruisent puis détruisent du "soi" au gré des variations aléatoires des quantités d’énergie disponible. Ou, si l'on préfère, le "soi" vivant n'est rien d'autre que le monde propre (l'Umwelt) de l'organisation vivante considérée, c'est-à-dire son propre champ d'interaction énergétique fonctionnellement et topologiquement clos. Toutefois, la créativité, la variabilité de cette Umwelt, tout en se heurtant à des limites (d'ailleurs évolutives) imposées par sa configuration physique, n'a cependant pas de bornes. Ce qui pose évidemment, et à tous les niveaux d'organisation, le problème de leur cohabitation mutuelle. À cet égard, s'il doit exister quelque chose comme une "conscience" humaine, celle-ci ne réside nullement en une mystérieuse faculté cognitive aux pouvoirs transcendants et universalisants, mais plutôt, en raison de l'étendue spatio-temporelle supérieure des Umwelten humaines par rapport à tous les autres "mondes", plutôt en une responsabilité fondamentale de la limite de celles-ci (l'"humanité") dans la régulation et la préservation de la multiplicité des "mondes". "Conscience" et "responsabilité" que la marchandisation des mondes par l'Umwelt capitaliste rend probablement impossibles.

Merci à toutes et à tous d'avoir fidèlement suivi ce "feuilleton de l'été" que vous pourrez bientôt retrouver sur mon blog dans une version légèrement modifiée.
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