Nietzsche le dit de façon plus ambivalente, plus élaborée, dans un brouillon de 1886 (reproduit dans les notes et variantes, chez Folio) :
Ce livre est composé de textes écrits en même temps que Ainsi parlait Zarathoustra, plus exactement, pendant les entractes de ce travail : soit comme récréation, soit comme auto-interrogatoire ou autojustification, au beau milieu d'une entreprise extrêmement hardie et pleine de risques. — Qu'on se serve de ce livre dans un but semblable : ou encore comme d'un sentier labyrinthique qui attire obstinément le lecteur vers ce terrain dangereux et volcanique d'où ledit "Livre pour tous et pour personne" a justement surgi. Bien que ce "Prélude d'une philosophie de l'avenir" ne soit et ne veuille pas être un commentaire à l'enseignement de Zarathoustra, il faut peut-être y voir une sorte de glossaire où apparaissent toutes, ici ou là, et nommées par leur nom, les innovations conceptuelles les plus importantes de ce livre sans modèle, sans exemple et sans concessions.
De plus, on peut lire, toujours dans les notes et variantes, un extrait d'une lettre à Burckhardt, de 1886 également :
Je vous en prie, lisez ce livre (bien qu'il dise les mêmes choses que mon Zarathoustra, mais différemment, très différemment —)
En somme, si on tient compte de ce que dit Nietzsche, PBM est un livre dont la lecture doit tout à la fois précéder, coïncider avec et suivre la lecture de
Zarathoustra. Comme une planète qui gravite autour de son soleil. PBM nous met en orbite. C'est un peu ce qui est censé nous déménager, nous extraire du masque millénaire de la philosophie dogmatique (cf. préface).
Pour ma part, je vois un prolongement à ce conseil de lecture dans cet autre conseil de lecture, le § 8 de l'Avant-propos de
La généalogie de la morale :
Si l'on trouve cet écrit inintelligible et si l'on a du mal à l'assimiler, la faute me semble-t-il, ne m'en incombe pas nécessairement. Il est assez clair, pour peu qu'on ait lu auparavant mes écrits précédents, et qu'on n'y ait pas épargné sa peine : car ils ne sont pas d'un accès facile. Par exemple en ce qui concerne mon Zarathoustra, je n'admets pas qu'on prétende le connaître, si l'on n'a pas été, à un moment ou à un autre, tantôt profondément blessé, tantôt profondément ravi par chacun de ses mots : c'est seulement alors qu'on participera à l'élément alcyonien d'où cette œuvre est née, qu'on jouira du privilège de vénérer le rayonnement de sa clarté, de sa distance, de son ampleur et de sa certitude. Dans d'autres cas, la forme aphoristique de mes écrits présente une difficulté : de nos jours on n'accorde pas suffisamment de poids à cette forme. Un aphorisme, si bien frappé soit-il, n'est pas "déchiffré" du seul fait qu'on le lit ; c'est alors que doit commencer son interprétation, ce qui demande un art de l'interprétation. Dans la troisième dissertation de ce livre, je propose un modèle de ce que j'appelle, dans un tel cas, "interprétation". Cette dissertation est précédée d'un aphorisme dont elle est elle-même le commentaire. Évidemment, pour pouvoir pratiquer la lecture comme un art, une chose avant toute autre est nécessaire, que l'on a parfaitement oubliée de nos jours — il se passera encore du temps avant que mes écrits soient "lisibles" —, une chose qui nous demanderait presque d'être de la race bovine et certainement pas un "homme moderne", je veux dire : savoir ruminer...
Clairement, il y a une trilogie :
Zarathoustra,
Par delà bien et mal, et
La généalogie de la morale.
Dernière édition par Euterpe le Ven 12 Aoû 2016 - 17:16, édité 1 fois