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Peut-on juger absolument le beau ?

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2 participants

descriptionPeut-on juger absolument le beau ? EmptyRe: Peut-on juger absolument le beau ?

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Esthète a écrit:
le fait qu'un vol d'hirondelles est beau et qu'il ne peut en rien être amélioré sans qu'il ne devienne aussitôt autre chose. Ajouter ou retrancher des volatiles ne le rend pas moins ou plus beau ; il le change en un autre vol d'hirondelles, qui sera lui aussi beau. Alors qu'une frise de papier par exemple, ou un animal peut être "amélioré" d'un point de vue esthétique.

Mis à part le sublime, qui est toujours beau du fait même qu'il nous dépasse ("toute grandeur est belle", disait Napoléon), il y a dans la nature des choses plus belles que d'autres, des choses qui nous semblent arrangées par la main d'un artiste à l'imagination fantasque, je pense à des sites comme la Chaussée des Géants en Irlande ou les formes rocheuses de certains endroits d'Amérique du Nord. Peut-être aussi que la beauté d'un vol d'hirondelles tient à la souplesse et à la grâce de leurs évolutions (dont nous serions bien incapables). Une patrouille aérienne nous donnera le même sentiment de plaisir, sauf que nous y ajoutons celui de l'ordre, que nous pouvons observer tout aussi bien dans un vol d'oies sauvages. Ici la beauté tiendra beaucoup à l'entente parfaite que nous voyons entre les membres du vol en formation, que ce soit chez l'homme ou chez l'animal, plus encore du reste chez celui-ci, parce qu'il nous semble plus rare. Je trouve donc les mêmes causes du sentiment du beau à l'œuvre dans l'art et dans la nature. Il me semble que nous nous inspirons d'elle, que ce que nous trouvons beau dans la nature est déjà un arrangement fortuit qui nous émeut et que nous améliorons (en effet, une fois goûté au plaisir, nous y revenons volontiers et essayons de l'augmenter). La nature, par l'exceptionnelle variété de ses formes, nous guide ainsi fortuitement vers le beau sans que nous nous en rendions compte.

descriptionPeut-on juger absolument le beau ? EmptyRe: Peut-on juger absolument le beau ?

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En vous lisant, je me rappelle ceci : "Que désirer ? Beauté et vérité sont deux lumières vers lesquelles je veux guider ma vie. Entre l'une et l'autre, point n'est besoin de choisir."
Pouvons-nous définir la beauté à partir de la vérité ?
Si la vérité est une correspondance entre une représentation intérieure et une "réalité", on conçoit qu'il faille, pour établir une vérité, un arbitre qui atteste la correspondance : toute proposition vraie doit avoir un "réalisateur de vérité", qui ne saurait être ni le sujet, ni la réalité elle-même. Le réalisateur de vérité est "l'autre".
La beauté est une forme de vérité où l'arbitrage de l'autre est déjà compris dans l'objet. Ainsi, je peux me retrouver tout seul devant l'œuvre et la déclarer belle (absolument belle ?).
N'y a-t-il de beau que créé ?

descriptionPeut-on juger absolument le beau ? EmptyRe: Peut-on juger absolument le beau ?

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NOU-JE a écrit:
Non le beau est subjectif ; un style, une technique est objectif. Le style cubiste est objectif parce qu'il s'agit d'une répétition de technique, de gestes, de couleurs, de formes ... Là on pourrait établir disons "une vérité".

Je suis d'accord pour dire que le beau, fondamentalement, est subjectif, bien que le mot "beauté" réponde à certaines caractéristiques aimées par tous, comme par exemple la variété, des formes ou des couleurs ; tout le monde est séduit par cela, que l'artiste soit la nature ou l'homme. En revanche, je ne vois pas pourquoi vous liez l'objectivité à la répétition, puisque si l'évaluation d'un style est subjective, répéter cette évaluation ne la rendra pas plus objective. Que j'observe un ou dix tableaux cubistes ne me donnera pas un regard plus objectif sur ce style.

descriptionPeut-on juger absolument le beau ? EmptyRe: Peut-on juger absolument le beau ?

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NOU-JE a écrit:
Pouvons-nous définir la beauté à partir de la vérité ?

Lorsque vous dites : "c'est un beau film" ; vous ne dites pas:  "ce film est vrai". On dirait plutôt : "ce film sonne juste" ou "sonne vrai".
Donc je ne vois pas où vous voulez en venir.

L'idée est d'établir un parallélisme entre vérité et beauté à partir des deux "prémisses" suivantes :
- prétention à un absolu,
- correspondance ou "convenance" entre une représentation intérieure, celle du sujet (vous et moi, lorsque nous contemplons une œuvre d'art, un paysage qui nous séduit...) et la réalité.

le beau est subjectif ; un style, une technique sont objectifs. Le style cubiste est objectif parce qu'il s'agit d'une répétition de techniques, de gestes, de couleurs, de formes... Là on pourrait établir disons "une vérité". Et c'est ici le but de la théorie artistique. Trouver les invariants dans un courant artistique par exemple. Mais on ne parle pas du goût à proprement parler. On ne parle que de la technique, des répétitions dans la forme artistique, dans l'œuvre elle-même.

Ce débat a largement animé les XVIIe et XVIIIe... et amené Kant a décrire le jugement esthétique comme  jugement réfléchissant (dont le prédicat n'est pas formulé), subjectif (qui plaît sans concept) et désintéressé (absence de but identifiable dans la convenance). Sans doute n'allons-nous pas refaire le débat mais relire l'histoire est toujours un enseignement.

Hannah Arendt a cherché à fonder la distinction entre la vie, où se déroulent les processus biologiques et sociaux, et le monde, ouvert à la création des œuvres qui donnent aux hommes leur histoire. Si « la culture n’a aucun intérêt », c’est-à-dire qu’elle se déploie pour elle-même, sans autre intérêt qu’elle-même, c’est précisément parce qu’elle "a un monde". J.F. Mattei a essayé de manière intéressante d'opposer ce monde à ce qu'il appelle la "tyrannie du sujet" et qui n'est rien d'autre qu'une tyrannie de la subjectivité.

La piste que je propose à la réflexion est d'essayer précisément de sortir de cette dualité entre subjectivité et objectivité. Il s'agit d'envisager, dans ce parallélisme avec la vérité, la perception du créateur de l'œuvre, au moment de la création, comme l'arbitrage de l'autre, toujours déjà inclus par lui dans son œuvre et qui permet de fonder le lien entre le sujet qui ressent le sentiment esthétique et le réel représenté dans l'œuvre, de la même manière que dans un jugement de vérité, le "réalisateur de vérité" (pour reprendre ce concept de la philosophie des sciences) fonde la correspondance entre le penser et l'être.

Nous nous rejoignons alors seulement sur le rôle central de l'acte créateur dans la définition du beau :
Si nous pouvions avoir une "connaissance objective" de l'œuvre d'art, c'est-à-dire connaissance de tout son processus de création, d'élaboration, opéré par l'artiste, si nous pouvions faire cela, je dis bien SI, alors l'œuvre d'art finalisée nous apparaîtrait d'une manière éclatée, où nous pourrions reconstruire l'unité de l'objet tout en ayant conscience de sa multiplicité, de l'ensemble de son processus de création. C'est tout simplement quelque chose d'impossible.

En effet, il faut ici porter le regard vers l’œuvre elle-même en ce qui lui est le plus propre. Le plus propre, le plus intime d’une œuvre d’art est l’instant de sa création ; nous pourrions peut-être gager que c’est aussi ce qui lui est le plus indéfectible. Dans la préface de l’édition bilingue de 1943 des Élégies de Duino, J.F. Anfelloz rapporte : « Il se promenait sur la falaise, à deux cents pieds au-dessus de l’eau, quand soudain il s’arrêta ; il lui sembla que, dans le fracas du vent, une voix lui dictait ces paroles : "Qui donc si je criais m’entendrais parmi les hiérarchies des anges ?". "Qu’est-ce là ?" chuchota-t-il à demi-voix. "Qu’est-ce qui vient ?" Pressentant que Dieu enfin le visitait, il nota ce vers, ainsi que quelques autres qui se formèrent pareillement sans aucune intervention de sa part, puis il redescendit. »

La beauté n'est pas créée en tant que telle. Elle est ce qui qualifie une création aux yeux d'un sujet spectateur, dès lors qu'il perçoit dans l'œuvre une correspondance entre sa propre représentation et l'intention (cf. étymologie de ce mot) que l'artiste ou le créateur a exprimé. Le jugement esthétique prétend à l'universalité dans la mesure où l'entendement y prétend aussi... mais cette prétention s'exerce dans le cadre d'une relation toujours singulière.
Bref, ce qui me semble faire la chose belle et d'une certaine manière universellement belle, qu'il s'agisse d'un artefact ou d'une chose de la nature, c'est l'intention de l'autre que nous y percevons.

descriptionPeut-on juger absolument le beau ? EmptyRe: Peut-on juger absolument le beau ?

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Excusez-moi, NOU-JE, je suis trop peu assidu sur ce forum ; je reviens tardivement à cet échange. Votre pensée a l'exubérance de la jeunesse et c'est sympathique. D'un écheveau où nous courons le risque de perdre le fil de notre pensée, permettez-moi, pour l'heure, de n'en tirer qu'un (de fil !) ;) :

NOU-JE a écrit:
Mais en ce qui concerne uniquement le Spectateur, dans votre conception, n'êtes-vous pas en train de limiter la connaissance qu'il peut avoir, subjectivement, d'une œuvre d'art, à l'intention de son créateur ? Tout simplement, n'êtes-vous pas en train de subordonner encore dans votre conception le Spectateur à l'Oeuvre d'Art supposant qu'il se représentera d'elle toujours moins que ce qu'elle est vraiment selon l'intention de l'auteur ? Je reformule : ne supposez-vous pas encore que l'intention est plus riche que la réception ?

Il ne me semble pas que la question se pose en ces termes : qu'il s'agisse d'évaluer ce que nous percevons dans une œuvre d'art à l'aune de ce que l'artiste a voulu ou cru y mettre. L'œuvre d'art, comme la pensée, est langage et il y a dans ce langage, toujours une réserve de sens, un non-dit, un mystère. Ce que l'on découvre dans l'œuvre, c'est la structure même de l'être : ce qui ne se livre jamais entièrement. L'œuvre est toujours porteuse de davantage de signification que celle qu'elle exprime. C'est à ce titre, qu'elle "fonde un monde". Vous aurez reconnu dans ce qui précède, pour autant que je l'ai rapportée assez fidèlement, la pensée de Heidegger (après 1950). Pour en revenir à l'esthétique, mon interrogation reste dirigée vers la possible identification du beau à "ce qui fait correspondance" dans le monde ouvert par l'œuvre.
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