Il faudrait déjà savoir s'il y a bien une nature humaine et si elle échappe à la socialisation. Rousseau critique par exemple Hobbes en disant que l'homme à l'état de nature vu par ce dernier, c'est-à-dire un homme en concurrence perpétuelle avec les autres, ne trahit, au fond, que les propres préjugés du philosophe anglais qui projette sur cet homme hypothétique les traits propres à l'homme civilisé de son temps. La conception que l'on se fait de la nature humaine peut donc elle-même n'être qu'une construction imaginaire ou idéalisée par le biais de la culture. Et quand on observe les différentes sociétés, on voit des hommes qui se définissent selon des significations différentes et qui sont également différents dans leur manière de vivre ou de se conduire, par exemple, selon leurs valeurs, leur société, leur culture, etc. Les rapports à la nature eux-mêmes changent. Personnellement, je rejoindrais une position "rousseauiste", selon laquelle l'homme est un être historique, conditionné par les formes sociales, et qui néanmoins est "libre" au sens où il possède une indétermination fondamentale et une capacité de création de soi et de son milieu. C'est un être libre et perfectible, qui revêt toutefois des formes différentes suivant les relations qu'il crée. Le problème serait plutôt : peut-on devenir autre que ce que la société a fait de nous et semble nous permettre ? Peut-on s'émanciper d'un monde qui nous est préexistant et nous auquel on se rapporte ? Peut-on aller au-delà de certaines limites, de ce qui existe ? Le premier pas, peut-être, commence par la critique réflexive, l'examen de nos propres préjugés, ou plus précisément des préjugés liés à notre être social et qui sont les plus difficiles à voir puisqu'ils constituent nos habitudes et que nous sommes, malgré tout ou malgré nous, aussi des produits de notre époque et comme tels dépendants d'elle, de même que nous ne pouvons sortir de notre époque. Il faudrait faire l'effort de rompre avec certains modèles dominants et pouvoir se réinventer.