Je dois dire que je suis plutôt abasourdi par votre réaction, qui me paraît disproportionnée. Qu'est-ce qui pouvait motiver une telle réponse ?
Puisque vous avez proposé un historique de notre échange, je commencerai par un contre-historique, pour que les quelques rectifications qui s'imposent soient faites, dussiez-vous juger qu'il en va de votre réputation, dont j'ai bien du mal à comprendre, telle que vous l'énoncez, comment vous pouvez la concilier avec ce que vous appelez, du reste légitimement, une activité philosophique.
Philippe Jovi a écrit: au lieu de montrer, notamment au moyen d'exemples analysés dans des "formes d'activités cognitives" que vous ne spécifiez pas plus avant, en quoi cette "errance", serait imputable, soit aux seuls processus neurologiques (mais vous semblez vous-même avoir abandonné cette piste), soit à un processus quoad se qui ne soit ni neurologique ni linguistique
D'abord, quand vous portez votre attention sur l'
errance dont parle benfifi, je porte la mienne sur cette remarque :
benfifi a écrit: Mon idée originale est-elle toujours présente à mon esprit ? Toujours est-il que, finalement, je ressors de cette pêche avec la solution que je mettrai en œuvre, et qui ne correspond souvent plus avec l'idée de départ.
C'est pourquoi l'hypothèse que je propose à benfifi implique d'interpréter autrement que comme une "errance" l'expérience dont il témoigne, et qu'il fait régulièrement. Il parle certes de "mise en œuvre", il dit même être conscient que cette mise en œuvre est une pensée discursive. Dès lors, il serait absurde de prétendre qu'il se trompe : il sait mieux que moi comment il pense ce qu'il pense au moment où il le pense. Mais c'est en constatant une deuxième chose, qu'il pose la question, essentielle, de savoir s'il existe une pensée non discursive. Il soumet l'exemple d'une activité qui,
ne mobilisant pas le langage, est pourtant discursive, comme si cela lui paraissait suffisamment
étonnant pour poser la question. Étonnant parce qu'il se demande probablement comment il a pu passer d'une activité non discursive à une activité discursive, même s'il précise que la partie discursive de son activité consiste à mettre en œuvre son idée de départ. Comme si la discursivité de sa pensée, comme si la mise en œuvre n'était pas complètement convaincante, au contraire, puisque ça lui inspire la question. Il a choisi le mot "errance"
faute de mieux. C'est d'autant plus remarquable qu'à aucun moment, dans sa recherche, il n'a l'air perdu, à aucun moment il ne semble livré au hasard : il a une idée originale, une idée de départ.
Ainsi, je ne cherche pas à imputer son errance à quoi que ce soit ; je suppose, à partir de son propos, qu'il tient lui-même son activité de recherche comme une possible pensée non discursive, d'où ma première réponse, qui se veut une réponse
générale. A la suite de quoi vous proposez vous-même de considérer que la pensée serait exclusivement discursive, en rappelant les limites de la physiologie et les potentialités du langage, lequel n'est pas réductible à la seule expression, notamment orale, de la pensée. Je vous ai répondu. Qu'en retenez-vous ? Ce qui suit :
Philippe Jovi a écrit: vous commencez par prétendre que réduire la pensée au langage serait catastrophique au motif que les langues, notamment les langues "occidentales", seraient intrinsèquement "analytiques" et donc ne feraient pas droit au caractère inéluctablement "synthétique" de la pensée.
Je ne parle pas
notamment des langues occidentales, je parle
exclusivement des langues occidentales, et, parmi ces langues occidentales, notamment des langues philosophiques et scientifiques par excellence. Je restitue l'exactitude de mes propos :
Euterpe a écrit: D'abord, les langues occidentales et plus particulièrement les langues traditionnelles de la science et de la philosophie forment un cas à part. Elles sont éminemment analytiques et leur degré d'élaboration est proprement stupéfiant.
Je parle de langues analytiques
et de leur degré d'
élaboration. Prenons un exemple : il est impossible de traduite Leibniz dans une quelconque des langues bantoues. Alors, puisque vous invoquez les exigences argumentatives inhérentes au dialogue philosophique, me reprochant de ne pas tenir compte de vos arguments (ce que nous allons vérifier ensemble un peu plus bas...) quand il est patent que vous n'avez tenu aucun compte de la plupart des miens, sauf un (!) - j'y reviens ci-dessous -, reprenons la question "analytique". Je vous l'ai précisé : je prends le terme en son sens le plus trivial. Il n'y a aucun "mystère", comme vous dites, dans l'emploi que j'en fais : résolution d'un tout en ses parties, décomposition d'une chose en ses divers éléments. Plus une langue est élaborée, plus elle permet de se saisir d'aspects du réel qui échappent à d'autres langues. C'est éminemment et évidemment le cas des langues par excellence de la philosophie. Je ne me situais donc pas dans le champ du positivisme logique. Ce qui explique également pourquoi vous n'apercevez pas le point de vue que j'occupe lorsque je parle du
discours, notamment.
Pour achever de rectifier votre remarque, corrigeons ce que vous me faites dire à tort, puisque je ne le dis nulle part : les langues occidentales ne feraient pas droit au caractère inéluctablement "synthétique" de la pensée. Où diable avez-vous trouvé ça ? Vous aurez beau cherché, vous ne trouverez pas. J'ai on ne peut plus clairement et simplement dit que l'
activité de l'hémisphère droit est synthétique, et qu'
il y a de la pensée non discursive, de la pensée qui ne passe absolument pas par le langage. Je n'emploie pas le terme "inéluctable"... J'admets donc deux formes de pensée, dont je ne dis nulle part, autant le préciser, qu'elles sont isolées ou qu'elles ne pourraient collaborer.
Autre rectification. Comparons, là encore. Vous :
Philippe Jovi a écrit: Piaget, Changeux, Lhermitte, Sperry, ... auraient produit la preuve irréfutable d'une "pensée consciente non-verbale"
Moi :
Euterpe a écrit: le cas des aphasiques [...] dont l'étude est justement ce qui a permis à des gens comme Lhermitte, Sperry, etc., de faire des découvertes dont la philosophie doit se saisir, parce que la question est ouverte, et on ne pourra plus la refermer, celle d'une pensée consciente non verbale
Comment dois-je qualifier la différence (euphémisme) entre ce que vous prétendez que je dis, et ce que je dis réellement ?
Autre rectification. Vous :
Philippe Jovi a écrit: Vous excipez des "acquis définitifs" de Nietzsche
Moi :
Euterpe a écrit: Cela me fait penser à Nietzsche, évidemment, dont il est curieux que certaines de ses découvertes ou intuitions ne constituent pas des acquis, pour nous
Faut-il expliciter ce qui, en l'occurrence, va au-delà de la seule nuance ?
Autre rectification. Vous :
Philippe Jovi a écrit: vous vous prévalez des travaux de Merleau-Ponty, "le plus lumineux sur ce point", dites-vous
Moi :
Euterpe a écrit: Merleau-Ponty me paraît avoir été un des plus lumineux sur ce point
Comme vous le voyez, j'aime l'exactitude.
Pourquoi vous ai-je proposé Merleau-Ponty ? Parce que, ayant eu la politesse de lire votre cours ("Dans quelle mesure le langage est-il l'expression de la pensée ?" -> http://phiphilo.blogspot.com/2009/09/dans-quelle-mesure-le-langage-est-il.html), je ne pouvais pas ne pas supposer que cet auteur, d'accord avec Hegel et Wittgenstein (comme eux, il pense que considérer le langage seulement comme expression de la pensée, c'est réducteur), conviendrait tout particulièrement, dans la mesure où il se situe dans un autre champ de recherches, ce qui est propice à l'ouverture de notre débat... Pour la même raison, je vous proposais, parmi trois pistes dont vous n'avez tenu aucun compte, une piste liée à l'activité artistique. En effet, vous en venez à des considérations sur l'art à la fin de la 2e partie de votre cours. Or vous l'abandonnez en passant à la 3e partie. Je vous cite :
Philippe Jovi a écrit: En tout cas, pour Hegel, la pensée reste indissociable de son expression, que ce soit par le moyen de l’art ou bien par celui du langage.
Or, si la pensée et son expression par le langage sont effectivement indissociables, qu'est-ce qui nous empêche de dire que la pensée se confond tout simplement avec son moyen d’expression ?
III - On peut même aller jusqu'à dire que la pensée se confond avec le langage dont un jeu de langage particulier pose comme une règle tautologique que le langage est l'expression de la pensée.
"On peut même aller jusqu'à dire..." C'est exactement ce que vous dites. Bien sûr, l'objet de votre cours n'est pas de discuter la question de l'art. Mais vous avez intégré la question artistique dans votre argumentaire, ce qui lui donne du poids, dans la partie concernée, mais qui constitue une faiblesse logique, quand vous passez à la partie suivante, puisque vous ne motivez pas l'extension : "on peut même aller jusqu'à dire..." De sorte que la proposition du titre du III est incompatible avec la conclusion du II, sauf à préciser que toute expression de la pensée est un langage. Pourquoi pas ? Du moins, vous savez maintenant pourquoi je vous soumettais la piste artistique.
Philippe Jovi a écrit: Vous déclarez refuser mon hypothèse de travail consistant à tenir pour synonymes les termes "langue", "langage" et "discours". Fort bien. Quelles distinctions y introduisez-vous donc et à quelles fins ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que tout cela manque un peu de rigueur et de profondeur argumentatives.
Je n'ai pas refusé votre hypothèse de travail. Vous avez répondu ce qui suit :
Philippe Jovi a écrit: Euterpe a écrit: Si nous devions admettre que la pensée est exclusivement discursive, nous devrions renoncer à comprendre plusieurs formes d'activité cognitive. [...] La langue n'est pas le seul moyen d'exercer et d'exprimer sa pensée.
Oui
à condition de réduire la langue, le langage ou le discours (nous tiendrons ces trois termes pour synonymes dans toute notre argumentation)
à son seul aspect actuel, déclaratif et conscient (ce que les anglo-saxons appellent
the statement, "l'énoncé"). Or le langage n'est pas simplement l'ensemble des énoncés.
Qu'ai-je répondu ?
Euterpe a écrit: Outre que pour faire leur place aux exemples ou aux champs d'investigation que je soumets plus haut, il ne faut surtout pas réduire la chose au seul énoncé, pour ma part je ne peux pas tenir les trois termes comme des synonymes, encore moins les tenir pour des énoncés.
Bref, vous me dites que pour que mon hypothèse tienne, il faut opérer une réduction. J'oppose, non un refus, mais un argument
logique, lequel consiste à dire que
c'est cette réduction elle-même qui interdirait l'hypothèse d'une pensée non discursive. Pour ce faire, et contrairement à ce que vous prétendez, j'établis des distinctions. Mais je ne me situe pas dans le positivisme logique. J'ai commis un paragraphe on ne peut plus clair sur le langage, et motivé de bout en bout. J'ai également commis un paragraphe sur le discours, tel qu'on l'enseigne dans
la rhétorique en littérature, et en grande partie encore fondé sur Aristote, quoique "modernisé". Avec ça, vous me dites que ça manque de rigueur et de profondeur argumentatives ?...
Alors, à quelles fins, mes distinctions ? (On en arrivera ainsi à une des questions importantes pour le débat : la définition de la pensée.) Le langage et la pensée supposent une intention : que veut-on dire quand on le dit ? Est-on certain d'avoir dit exactement ce qu'on voulait dire ? Cela pose la question de l'écart entre ce qui est dit et ce qui est pensé, par conséquent, du degré de compréhension possible entre deux interlocuteurs (j'ai parlé de malentendu, d'incompréhension, qui sont des réalités quotidiennes et, pour le débat qui nous occupe,
impérieuses). On ne peut faire abstraction de ce problème au seul motif qu'il représente une difficulté pour qui propose de considérer que langage et pensée seraient la même chose. Cette question peut être subdivisée en deux : échouer à dire ce qu'on voudrait dire, est-ce la preuve d'une pensée défaillante, inachevée, à éclaircir ? Ou bien est-ce la preuve d'un écart irréductible entre le langage et la pensée ? Vous me parlez de congruence entre les deux. Supposons une congruence parfaite, aussitôt apparaissent des problèmes insolubles. J'ai proposé bien d'autres choses. Il suffit de reprendre celles qui peuvent intéresser les uns ou les autres...
Philippe Jovi a écrit: Mais il y a pire. Non content de vous abstenir d'analyser mes arguments, vous en produisez sans cesse de nouveaux, pratiquant ainsi la stratégie dite de la "cible mouvante", bien connue des publicitaires et des communicants de tout poil, y compris, bien entendu des sophistes et des rhéteurs.
Nouvelle rectification. Mes trois premières pistes n'ayant pas eu l'honneur de trouver grâce à vos yeux, sans rien dire, pas même contrarié par le fait, je suis aussitôt passé à d'autres pistes, dont je rappelle qu'elles sont des propositions. Il ne tient qu'à vous d'en tenir compte. Ça commence à faire beaucoup de pistes pour une seule que vous avez daigné reprendre... Aucune commune mesure entre cette forme de politesse silencieuse de ma part, et votre réaction objectivement inappropriée. Si, en plus de multiplier les pistes, il fallait les développer par le menu, vu ce que les trois premières ont donné...
Philippe Jovi a écrit: Euterpe a écrit: Le passage de Wittgenstein que vous citez, dans lequel il ne fait que redécouvrir une banalité, ne doit pas faire illusion. On se souvient de cette phrase célèbre de La Bruyère, que tout le XIXe siècle ressassait comme une obsession triste : "Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent." Si tout est dit, cela signifie que le nouveau n'est jamais qu'une variation du même, que tout n'est que répétition, qu'un "à quoi bon ?", que les "jeux de langage" dont parle Wittgenstein ne sont jamais que des jeux.
Quel est le rapport avec le sujet ? À supposer que "le passage de Wittgenstein que [je] cite [...] ne fait que redécouvrir une banalité" [...], en quoi cela vous exempte-t-il de réfuter sa pertinence quant au problème de savoir si oui ou non il existe une pensée non discursive ?
Sur ce point, je ne parlais pas de la pensée discursive ou non, je répondais à votre propos sur la potentialité du langage. Si tout est dit, tout est dit... Pour ce qu'il reste de potentialité, ce ne sera ni plus ni moins que jouer avec des coquillages... De surcroît, la référence implicite à l'histoire n'est toutefois pas allusive à ce point qu'on puisse la juger incompréhensible ou inaccessible. Je faisais évidemment allusion à la crise du langage, provoquée par la crise ontologique et théologique, au XIXe siècle. Mais, de fait, la piste notamment poétique que je vous proposais plus haut n'a pas l'air de vous intéresser. Du coup, je ne vous proposerai pas George Steiner,
Réelles présences, qui répond en grande partie à la plupart des points essentiels que soulève la question du débat... Vous allez m'accuser de multiplier les arguments pour noyer le poisson... Je n'insisterai pas avec Bonnefoy, pourtant philosophe et mathématicien, dont le premier recueil poétique porte le sous-titre ô combien significatif d'
Anti-Platon, encore moins son recueil d'essais,
L'improbable et autres essais, ni toutes ses œuvres dédiées à Shakespeare, Leopardi, Mallarmé, Baudelaire, Valéry, qui, toutes, reprennent un problème majeur de la modernité, ontologique, avec la dissociation du langage et de l'être, héritant de Saussure, de Heidegger, du surréalisme et de l'écriture automatique, etc. Toutes choses qui concernent directement la question du débat.
Je n'ose pas vous proposer Rudolf Arnheim,
La pensée visuelle ; les travaux d'Alain Renaud non plus ; pas davantage la masse d'ouvrages dédiés à la plasticité et à l'iconicité dans l'art... C'est vrai que la sémiologie, ça ne nourrit pas son philosophe... ; encore moins oserai-je vous soumettre un philosophe et médecin confiant dans les neurosciences, comme Jean-Noël Missa, ou encore Gabriel Racle... Je renonce aux autres.
Philippe Jovi a écrit: Euterpe a écrit: Ensuite, l'affaire est de savoir ce qu'on veut dire. Est-ce la vérité qui nous anime ? Ou bien autre chose ? Combien de fois, dans toute une vie, quelqu'un a-t-il l'occasion de dire quelque chose de vital, d'essentiel ? Combien de fois parlons-nous pour ne rien dire, ou pour énoncer des choses si insignifiantes, autant pour nous que pour ceux à qui nous les disons, qu'elles disparaissent aussitôt sans trace aucune, comme si nous n'avions rien dit ?
Là encore, oui ... et alors ? Ça prouve quoi, au juste ? À quoi voulez-vous en venir ?
Où diable est la difficulté ? Ça coule de source. Parler pour ne rien dire, parler pour parler, en quoi cela témoignerait-il d'une pensée ? En quoi cela pourrait-il être de la pensée ?...
Philippe Jovi a écrit: Euterpe a écrit: Si le langage révèle un déficit, pour des tas de raisons à travers des tas d'expériences que tous nous faisons ou pouvons faire (incapacité ou impossibilité à dire une chose fondamentale à un moment ou à un autre, à quelqu'un qui compte, etc.), c'est qu'il ne constitue pas toujours le meilleur moyen de s'exprimer, de penser, d'agir.
Quel "déficit" ? Quelles sont ces "tas de raisons", "tas d'expériences" qui établissent que nous avons d'autres moyens de nous exprimer ? Et lesquels ? Le geste ? Le regard ? Et s'il existait une grammaire du geste, un code du regard ? Et si tout cela n'était, encore et toujours, que du langage (n'avez-vous jamais pris ou assisté à un cours d'art dramatique ?) Et que devient la pensée, dans tout ça ?
Un code du regard ? Dans un code, par définition, on ne trouve pas de signes, mais des
signaux. Un signal, par définition, est
univoque. Une langue, par définition, est constituée de mots qui, pour la plupart, sont multivoques, équivoques... Une grammaire du geste ? Il n'y a pas de grammaire du geste, sauf à vouloir codifier du dehors quelque chose qui relève la plupart du temps de la spontanéité, de choses qu'on fait "naturellement" sans passer par l'apprentissage d'un "code". Le geste est trop souvent créateur, "sur le vif", etc.
Philippe Jovi a écrit: Et pourquoi réserver le terme "langage" aux seuls hommes, sinon pour établir une corrélation (à défaut d'assimilation) entre langage et pensée
A aucun moment je ne remets en doute la corrélation entre la pensée et le langage. Cette corrélation ne me paraît poser aucune difficulté. C'est leur assimilation pure et simple, qui me pose un problème.
Philippe Jovi a écrit: Et puis il y a carrément des affirmations qui laissent le lecteur perplexe. Juste trois exemples :
Euterpe a écrit: le déclaratif est le degré zéro du discours, lequel mobilise la sémantique, la rhétorique, toute la gamme des phrases dites complexes ; il sollicite la passion autant que la raison, persuade autant qu'il convainc, etc.
Je crains que vous n'ayez tendance à hiérarchiser subrepticement et dans l'absolu les jeux de langage. Subrepticement parce que vous glissez insensiblement, dans votre argumentation, du discours descriptif au discours évaluatif, ce qui est le défaut numéro un des journalistes mais dont les philosophes devraient se garder. Et dans l'absolu parce que vous ne précisez pas la raison de cette évaluation : faut-il recruter un collaborateur, corriger une dissertation de lycéen, analyser un discours politique, ou quoi d'autre encore ? Par ailleurs, dans la terminologie des philosophes dits "du langage ordinaire" (Wittgenstein, Quine, Putnam, Austin, Searle, Ryle, etc.) un énoncé ou une déclaration, c'est simplement une phrase affirmative (par distinction d'avec une phrase interrogative, optative, injonctive, normative, etc.). En particulier, tout discours philosophique est déclaratif. Est-il pour autant "le degré zéro du discours" ?
Aucun rapport avec ma remarque. Sortez donc du seul positivisme logique. Je vous ai précisé ce que j'entendais par discours. Quand on enseigne la grammaire et la langue française, on n'enseigne pas la langue des philosophes du langage ordinaire... On enseigne l'
argumentation, dont la partie la plus centrale est celle dédiée au discours... Rien que de très banal dans ce que j'ai dit. Je m'étonne fort qu'il faille vous le préciser... La documentation idoine est disponible dans tous les lycées de France, de Navarre et de Brabant.
Philippe Jovi a écrit: Ensuite que veut dire "l'apparition du langage est extrêmement tardive" ? Enfin, comment "une accumulation absolument incommensurable d'expériences acquises et transmises inlassablement, reprises et perfectionnées" est-elle possible sans le langage, selon vous ?
J'entendais ici les
langues. Pour le reste, homo faber ne parlait aucune langue, comment a-t-il accumulé ses expériences techniques, par exemple ? Pas par l'Opération du Saint Esprit.
Philippe Jovi a écrit: Navré d'avoir été un peu long. Mais c'est que j'ai une réputation à défendre, moi.
Si quelqu'un exprime un désaccord, je ne crois pas que ce soit de nature à mettre en péril ce que vous appelez votre "réputation", qui ne concerne personne ici, et à laquelle vous n'avez pas à nous lier, encore moins nous obliger, ni moi ni aucun des membres du forum. En ce genre d'affaires, il est hors de question d'accepter une initiative unilatérale et arbitraire. Misez simplement sur la confiance qu'on vous porte, et l'honnêteté intellectuelle de ceux qui vous lisent, et sur laquelle veille l'administration, du mieux qu'elle peut. Pour le reste, je ne vois absolument pas ce que votre réputation vient faire dans un forum de philosophie. Nous ne sommes pas dans un concours de réputation, mais dans un lieu qui, c'est le vœu de ce forum, donne l'occasion à des personnes que la philosophie passionne, pour des motifs qui leur sont personnels et privés, de constater qu'on peut se soumettre sans crainte à certaines exigences lâchement abandonnées ailleurs. Le dialogue philosophique, nous sommes tombés d'accord sur ce point dans un autre fil de discussion, n'est pas possible sur internet. Seule importe l'autorité, qui ne se gagne pas avec un nom, mais avec la parole qu'on porte, dont on est l'auteur.
Quant à l'administration, croyez bien qu'elle se réjouit de compter un membre comme vous. Mais, de votre côté, ayez le bon sens de ne pas oublier les compétences de ceux à qui vous avez affaire. Pour ma part, je suis viscéralement
janséniste, intraitable et plus que combattif sur la question de la vie privée. Je refuse que quiconque ici en vienne à des considérations liées à des motifs aussi vaniteux que la réputation. Les philosophes ne sont que les gardiens de la philosophie, pas des propriétaires. Je ne me soumettrai donc qu'à titre exceptionnel, et pour que les choses soient bien claires, à des considérations "personnelles". Je n'ai plus aucun diplôme à obtenir en philosophie. Je n'ai pas non plus de réputation à défendre. Et j'ai quelques titres de gloire, comme disent les gueux, aussi nombreux dans l'intelligentsia, quelle qu'elle soit, de Paris ou de province, qui m'offrent la reconnaissance de pairs et d'amis dont la réputation en ferait pâlir plus d'un. Mais, à dieu ne plaise que je succombe à ce genre d'amusements vulgaires et indignes de certains principes. Quand on a le privilège de penser, on devrait avoir le courage d'être la tombe de sa petite personne, et murer, comme disait avec retentissement un de mes jansénistes favoris, sa vie privée. Vous voudrez bien, par conséquent, admettre qu'en termes d'argumentation, de dialogue philosophique, ou de tout ce que vous jugerez être un titre à la philosophie, je n'ai rien à apprendre de vous. Ce forum est et restera ce que je veux qu'il soit. La probité même. Invoquer si tôt, si vite, une réputation à défendre, quand par ailleurs on ne vous connaît pas, c'est demander la probité sans se soucier de la faculté des autres à en juger par eux-mêmes. Ici, c'est l'administration qui juge.
Vous parlez de responsabilité intellectuelle, ailleurs, et votre argument n'est pas sans force. George Steiner en a un plus fort encore, qu'il énonce justement dans les premières pages de
Réelles présences. La responsabilité n'est pas toujours là où on croit qu'elle est. Elle est surtout dans ce qu'on dit, qu'on s'appelle Pierre, Paul ou Jacques. L'iconoclasme janséniste est implacable.
Dernière édition par Euterpe le Sam 30 Juil 2016 - 23:33, édité 2 fois