Portail philosophiqueConnexion

Bibliothèque | Sitographie | Forum

Philpapers (comprehensive index and bibliography of philosophy)
Chercher un fichier : PDF Search Engine | Maxi PDF | FreeFullPDF
Offres d'emploi : PhilJobs (Jobs for Philosophers) | Jobs in Philosophy
Index des auteurs de la bibliothèque du Portail : A | B | C | D | E | F | G | H | I | J | K | L | M | N | O | P | Q | R | S | T | U | V | W | X | Y | Z

La société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ?

power_settings_newSe connecter pour répondre
+2
cassio
Collegienmv
6 participants

descriptionLa société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ? EmptyLa société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ?

more_horiz
La société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ? Mais pouvons-nous vivre autrement qu'en société ?

descriptionLa société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ? EmptyRe: La société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ?

more_horiz
Bonsoir, nouveau sur ce forum, je m'intéresse à la philosophie que j'ai à peine survolée au lycée, et justement votre fil correspond à ma dernière lecture, le Discours sur l'origine de l'inégalité de Rousseau. J'avoue que j'ai beaucoup de mal !

Pour commencer la vision idyllique qu'a Rousseau de l'homme à l'état de nature me laisse particulièrement perplexe. Déjà, il n'est pas évident que cet état de nature ait existé chez l'homme (difficile de dire à quel moment l'homme quitte l'état de nature), et par ailleurs j'ai beaucoup de difficultés à admettre que l'homme à l'état sauvage soit forcément bon. Rousseau nous le décrit vivant paisiblement de la chasse et de la cueillette, ne connaissant pas la propriété, et parfaitement pacifique : qu'est-ce qui nous prouve que les premiers hommes ne convoitaient pas le bien et les femmes d'autrui, ne volaient pas le gibier capturé par le voisin plus faible qu'eux, ne violaient pas les femmes du voisin ou de la tribu voisine ? que les plus forts physiquement ou les mieux organisés ne s'arrogeaient pas le droit de chasser sur une aire donnée, en empêchant les autres de le faire ?

Vient ensuite le fameux passage où Rousseau dénonce la propriété :
Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux, ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : "Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne."

Je ne savais pas que Rousseau avait inventé le communisme, et là encore on pourrait discuter le fait de savoir si la propriété est l'abomination qu'il dénonce... Outre le fait que le sentiment de propriété sur le fruit de son travail est peut-être inné chez l'homme (si j'ai capturé un lièvre, cueilli un kg de pommes, ou pêché un poisson, je ne serai pas très content si on vient me les prendre), il y a des arguments très valables en faveur de la propriété privée (voir la théorie des biens communs). De même lorsqu'il dit :
Les choses en cet état eussent pu demeurer égales, si les talents eussent été égaux, et que, par exemple, l'emploi du fer et la consommation des denrées eussent toujours fait une balance exacte ; mais la proportion que rien ne maintenait fut bientôt rompue ; le plus fort faisait plus d'ouvrage ; le plus adroit tirait meilleur parti du sien ; le plus ingénieux trouvait des moyens d'abréger le travail ; le laboureur avait plus besoin de fer, ou le forgeron plus besoin de blé, et en travaillant également, l'un gagnait beaucoup tandis que l'autre avait peine à vivre

il semble avoir un problème avec le fait que le kg de fer vaille plus que le kg de blé, ou le travail du mineur ou du forgeron plus ou moins que celui du cultivateur, or toutes les compétences ne sont pas également rares ni recherchées, de même que s'il se trouve un inventeur ingénieux pour fabriquer le même objet avec moins d'efforts, il rend service à la collectivité (il est vrai que pour Rousseau, avoir plus de biens est une source de perversion.

Bref je voudrais confronter mon impression à d'autres, pour savoir si c'est moi qui ne comprends rien ou si cet essai est du grand n'importe quoi... Quelle est la postérité de l'ouvrage ? Y a-t-il des critiques (positives ou négatives) de philosophes qui me donneraient des pistes pour mieux appréhender les théories de Rousseau ? Dans l'édition que j'ai, on mentionne la critique de Voltaire qui dit que "M. Rousseau veut nous faire remarcher à quatre pattes",  bon je pense qu'il a tapé un peu à côté.

Voilà, au plaisir de vous lire.

descriptionLa société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ? EmptyRe: La société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ?

more_horiz
Cassio, je pense que pour comprendre Rousseau, il est important de comprendre le rapport qu'il avait à la société et à son temps. En effet, Rousseau ne s'est jamais senti chez lui dans son siècle (c'est un préromantique), et de voir le bonheur dans lequel était son siècle (voyez Voltaire, qui est en parfaite harmonie avec son siècle) le contrarie au plus haut point. Et pour Rousseau, dès qu'on rentre dans la société, nous perdons quelque chose d'essentiel. Il y a toujours chez Rousseau l'idée d'une transparence perdue qu'il s'agit de retrouver (voyez le préambule des Confessions, "je veux vous montrer un homme dans toute la vérité de sa nature").

Le point de départ du Second discours est un constat : les sociétés humaines sont faites d'inégalités et de servitude. Le discours se demande comment rendre compte de cet état de fait. Et Rousseau y répond par une conjecture rationnelle : voilà comment les choses se sont passées. Le but du Second discours me semble être moins de faire l'apologie de l'homme naturel ou le récit de sa déchéance que de comprendre comment l'homme est devenu ce qu'il est.

descriptionLa société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ? EmptyRe: La société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ?

more_horiz
cassio a écrit:
la vision idyllique qu'a Rousseau de l'homme à l'état de nature me laisse particulièrement perplexe. Déjà, il n'est pas évident que cet état de nature ait existé chez l'homme (difficile de dire à quel moment l'homme quitte l'état de nature)

Rousseau n'invente aucune idylle en parlant de l'état de nature. Il faut dissocier le Rousseau pré-romantique des Rêveries, aimant la nature, du Rousseau politique forgeant une hypothèse de travail, l'état de nature - hypothèse qui a quelque ressemblance avec une manière ancestrale de concevoir l'histoire comme une chute (qui n'est pas une invention chrétienne, je le précise).

Outre la préface, il vous suffit de reprendre la fin du discours qui précède la première partie de l'œuvre :
Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes a écrit:
Il n'est pas même venu dans l'esprit de la plupart des nôtres de douter que l'État de Nature eût existé, tandis qu'il est évident [...] que le premier Homme [...] n'était point lui-même dans cet état, et [...] il faut nier que [...] les Hommes se soient jamais trouvés dans le pur État de Nature, à moins qu'ils n'y soient retombés par quelque Événement extraordinaire : Paradoxe fort embarrassant à défendre, et tout à fait impossible à prouver.

Commençons donc par écarter tous les faits, car ils ne touchent point à la question. Il ne faut pas prendre les Recherches dans lesquelles on peut entrer sur ce Sujet, pour des vérités historiques, mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et conditionnels ; plus propres à éclaircir la Nature des choses, qu'à en montrer la véritable origine, et semblables à ceux que font tous les jours nos Physiciens sur la formation du Monde.

Ne jamais oublier que Rousseau reprend la méthode des physiciens d'alors, la méthode hypothético-déductive.

cassio a écrit:
par ailleurs j'ai beaucoup de difficultés à admettre que l'homme à l'état sauvage soit forcément bon.

Attention avec la question de la bonté chez Rousseau. Reprenez le 9e des 12 § de la préface du livre :
Laissant donc tous les livres scientifiques qui ne nous apprennent qu'à voir les hommes tels qu'ils se sont faits, et méditant sur les premières et plus simples opérations de l'Âme humaine, j'y crois apercevoir deux principes antérieurs à la raison, dont l'un nous intéresse ardemment à notre bien-être et à la conservation de nous-mêmes, et l'autre nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables.

Plus que de la bonté, c'est de la pitié, quelque chose qui précède la réflexion, qui est spontané, naturel. C'est inné, pas acquis.

cassio a écrit:
le sentiment de propriété sur le fruit de son travail est peut-être inné chez l'homme (si j'ai capturé un lièvre, cueilli un kg de pommes, ou pêché un poisson, je ne serai pas très content si on vient me les prendre)

C'est surtout de l'appropriation, comme chez les enfants en bas âge qui affirment avec autorité : "c'est à moi !". Le "sentiment de propriété" vient après. L'appropriation, affirmée avec tant d'insistance dès le plus jeune âge témoigne surtout de rivalités. Preuve que la propriété n'est pas une évidence qu'on devrait se dispenser d'interroger. Reprenons le discours qui précède le premier chapitre :
Rousseau a écrit:
D'autres ont parlé du Droit Naturel que chacun a de conserver ce qui lui appartient, sans expliquer ce qu'ils entendaient par appartenir


cassio a écrit:
il semble avoir un problème avec le fait que le kg de fer vaille plus que le kg de blé, ou le travail du mineur ou du forgeron plus ou moins que celui du cultivateur, or toutes les compétences ne sont pas également rares ni recherchées, de même que s'il se trouve un inventeur ingénieux pour fabriquer le même objet avec moins d'efforts, il rend service à la collectivité (il est vrai que pour Rousseau, avoir plus de biens est une source de perversion.

Prenez le temps de mieux considérer ce que Rousseau dit du travail.

cassio a écrit:
Quelle est la postérité de l'ouvrage ?

Classique incontournable.

cassio a écrit:
Y a-t-il des critiques (positives ou négatives) de philosophes qui me donneraient des pistes pour mieux appréhender les théories de Rousseau ?

Ernst Cassirer et Jean Starobinski. Mais les critiques, favorables ou non, sont innombrables.

Dernière édition par Euterpe le Jeu 28 Juil 2016 - 18:09, édité 1 fois

descriptionLa société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ? EmptyRe: La société corrompt-elle les hommes (cf. Rousseau) ?

more_horiz
Il y a aussi un ouvrage collectif qui s'appelle Pensée de Rousseau et qui comprend notamment un article de Cassirer et un autre de Leo Strauss. Vous avez aussi une très bonne somme de Blaise Bachofen, La Condition de la liberté.
privacy_tip Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
power_settings_newSe connecter pour répondre