Bonne idée d'avoir remonté ce fil à la surface !
Mes hypothèses initiales (c'est-à-dire que le concept serait sujet à caution du point de vue scientifique et qu'il pourrait servir de fondement à une loi pénale) se trouvent confirmées à la faveur d'un ouvrage publié récemment,
De la violence de genre à la négation du droit de Drieu Godefridi.
Voici le cas clinique sur lequel se baserait le concept de "pervers narcissique", selon sa principale théoricienne en France, Marie-France Hirigoyen :
Dans son ouvrage Femmes sous emprise, M.-F. Hirigoyen décrit le cas de Pierre, qui vient la trouver après que son épouse, lectrice d'un précédent ouvrage de sa main, l'a qualifié de "pervers narcissique". Pierre, explique la psychanalyse, a surinvensti la réussite professionnelle. Ses deux premières épouse l'ayant quitté, il souhaite faire des efforts pour garder la troisième. "Par exemple, ll a décidé, afin de se rapprocher d'elle, qu'ils prendront des leçons de golf ensemble. Il a tout de suite prévenu sa femme : "Quand je fais une activité, je suis toujours le meilleur". Il s'est étonné ensuite qu'elle ne soit pas très douée. Quand je lui fais remarquer que c'est le fait qu'il ait déclaré d'emblée être le meilleur qui a découragé sa femme, il se met en colère : "Évidemment, vous prenez la défense d'une femme ! Puisque je vous dis qu'elle est nulle !". De ce dialogue, M.-F. Hirigoyen conclut : "Pierre a tellement peu confiance en lui qu'il doit se confronter en permanence aux autres pour montrer qu'il est le meilleur." Tombe le diagnostic : Pierre est un pervers narcissique.
p. 57
Il faut aussi savoir qu'elle emprunte ce terme à Paul-Claude Racamier (psychiatre et psychanalyste) l'inventant dans les années 1980. Il désigne par "noyau pervers narcissique" un groupe d'individus pervers cherchant à détenir le pouvoir au sein d'une organisation. Le cas clinique sur lequel il se base est une tentative de putsch à l'intérieur de l'institut qu'il a dirigé.
Pour ce qui est du droit, la pénalisation d'un délit "mental", à savoir la "violence psychologique" est inscrite dans la loi française de 2010 et la convention européenne de 2011 (signée à Istanbul). Pour ce qui est de la loi française : le seul expert à avoir été auditionné lors des travaux parlementaires n'est autre qu'Hirigoyen. Le "pervers narcissique" dont la principale arme serait la "violence psychologique" a donc permis, en partie, de fonder cette loi (inutile de dire que ce sont les hommes qui sont visés). Les conséquences de cette dernière sont énoncées par l'auteur :
Ayant renoncé à définir le concept de la violence psychologique de façon cohérente (premier arbitraire), le législateur se défausse sur le juge pénal (deuxième arbitraire), qui ne pourra que se défausser, à son tour, sur l'expert-psychiatre (troisième arbitraire).
Quel qu'en soit le contenu, tout délit psychique s'accommode d'une géométrie variable - car le dommage psychologique dépend de l'état psychologique préalable de la victime -, et suppose la réinvention de la causalité juridique - car il faudra démêler, dans les tréfonds de son âme, les dfférentes causes du mal-être subjectif (quatrième arbitraire).
Enfin, vu l'extension de la notion de violence psychologique, ce dispositif n'appréhendera qu'une infime partie de son objet : c'est la loterie pénale, caractéristique - et, parfois, raison d'être - de toutes les incriminations arbitraires.
p. 116
Dalva a écrit: Par contre, pour revenir au premier message de ce fil, personne ne dit qu'il n'y a que les hommes qui pourraient être des pervers narcissiques.
Il ne faut pas être naïf. Certes, dans la théorie, la perversion narcissique n'est pas l'exclusivité d'un sexe. Dans la pratique, pour s'en convaincre, il suffit de voir à quel public ce terme s'adresse et de lire l'imposante littérature de femmes qui se plaignent, sur internet, d'être la cible d'un "pervers narcissique" au sein d'un rapport de couple.
Il est vrai que, si la perversion narcissique existe, on a tendance à la mettre à toutes les sauces. Si quelqu'un vous fait du mal, dans le milieu privé ou professionnel, on a tendance à le mettre dans la petite case "PN".
La tendance à pathologiser le comportement d'autrui n'est nuisible (non lorsqu'il est réservé à un usage privé) qu'à partir du moment où cette pratique est institutionnalisée (dans le cadre de la loi) avec la perte de responsabilité qui s'ensuit (en se contentant, somme toute, d'un discours recouvert d'un léger vernis scientifique).
Dernière édition par Kthun le Mer 15 Mai 2013 - 0:55, édité 3 fois