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descriptionDonner du sens : entre le singulier et l'universel. EmptyDonner du sens : entre le singulier et l'universel.

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J'ai vu qu"il y avait déjà un post quasi-semblable sur les difficultés du langage, assez généraliste dans sa problématique, mais je me permets toutefois de poster un sujet similaire, du moins qui le rejoint, car peut-être un tantinet plus ciblé.

Il y a quelque chose que je n'arrive pas à saisir, c'est le sens. C'est le mot qui, peut-être, du moins je l'espère, pourra au mieux exprimer mon idée : qu'est-ce que le sens ? Comment et pourquoi donne-t-on un sens à quelque chose ? Qu'est-ce qui, en tant qu'individus singuliers, nous permet de donner une tonalité-type à un objet alors que notre voisin de gauche ne le perçoit pas ou ne le fait pas signifier  de la même façon ? Aussi, comment un sens peut-il se voir devenir universel pour un même objet ?

Cela fait beaucoup de questions, peut-être est-ce le fait que le sens ne peut se définir dans son essence même, car c'est la nature de l'objet en question qui détermine le sens. Mais justement, peut-on aborder le sens d'une manière générale en se détachant, voire en oubliant l'objet ?

Je m'explique. Voici mon opinion si je puis me le permettre : la pensée n'est pas uniforme et ne relève pas d'une unité. Nous sommes identiques d'un point de vue biologique et génétique mais le « contenu même de nos pensées » (c'est maladroit, je le conçois) n'est pas le même pour tous. Alors, qu'est-ce qui fait que, dans une communication plus particulièrement et par exemple, nous pouvons arriver à des quiproquos et même voir se former des amalgames ? A quoi peut être due une mauvaise interprétation d'une parole ou d'un geste, hormis une mauvaise expression ou la maladresse d'un individu ? Les notions du jugement et des apparences entrent en vigueur à mon sens ; mais, je précise que je me penche sur ces problématiques en écartant toutes celles qui relèveraient du goût, de l'affinité... A moins que celles-ci soient également impliquées ?

J'espère ne pas avoir été trop maladroite dans mon expression, j'ai du mal à modeler mon idée. N'hésitez pas à me reprendre par rapport aux termes que j'emploie, ma syntaxe, etc.
Egalement, si vous avez des auteurs et ouvrages à référencer, je prends.

descriptionDonner du sens : entre le singulier et l'universel. EmptyRe: Donner du sens : entre le singulier et l'universel.

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Vous semblez penser que les mots délivrent un sens, or ce qui est prodigieux avec le langage, c'est précisément que les mots, bien plus que délivrer un sens, en produisent un.
Vous évoquez le problème de l'interprétation et du quiproquo, qui sont des vrais problèmes, mais ce qu'il s'agit de voir, c'est que même si les mots que nous prononçons cristallisent une certaine interprétation du monde (cf. Nietzsche et son célèbre Vérité au sens extra-moral), ils peuvent être d'une certaine manière réinvestis et peuvent en retour réinvestir le monde. On observe ici de nouveau ce qu'il y a de magnifique et de troublant dans le langage : celui-ci est fini (un nombre fini de mots), mais produit une infinité de sens, précisément parce que le sens n'est pas rivé au signe, mais dépend d'un contexte et peut avoir différents sens (sans parler de la dimension corporelle du langage qui est un champ gigantesque). C'est ce que Merleau-Ponty appelle "le langage conquérant". Le quiproquo, vécu comme quelque chose de négatif, est alors en réalité une bénédiction : un monde dans lequel mot = chose = pensée (un monde où le langage serait sans écart en somme), est un monde vide et impensable. La faiblesse du langage fait sa puissance...


Cette question est d'une extrême complexité, dans le sens où nous sommes tellement englués dans le langage que le penser n'est pas une sinécure !
Concernant les lectures, il y a le choix. Mais je vous conseillerais Platon (fondamental, comme presque toujours) avec le Cratyle ; Merleau-Ponty, La prose du monde ; Nietzsche, Hegel, Wittgenstein, Rousseau, Bergson, Heidegger... Non vraiment, il y a le choix...

descriptionDonner du sens : entre le singulier et l'universel. EmptyRe: Donner du sens : entre le singulier et l'universel.

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Oui je vois et comprends bien. Mais comme la question est extrêmement vaste, et c'est ce qui fait sa complexité d'ailleurs, il faudrait que je cible davantage... Qu'en est-il par exemple de la mauvaise interprétation d'un sens (= l'incompréhension) ? Je propose quelques exemples pour illustrer mon propos :

1. Manet est un exemple parfait selon moi de l'incompris, de l'incompréhension.
Durant toute sa carrière, il n'a été reçu qu'une seule fois au Salon des admis de Paris car, à chaque fois sa peinture ne répondait en aucun cas aux tendances de son époque (à savoir la peinture historique et académique - Cabanel, Ingres, Delacroix). Avec "Le Déjeuner sur l'herbe" (1863), Manet a déclenché un réel cataclysme : le Jury du Salon et les critiques ont jugé ce tableau "immoral", "choquant" et relevant presque d'une "parodie" (par rapport au tableau de Giorgione/Titien "Le Concert Champêtre" dont Manet précise qu'il s'en est fortement imprégné), alors que ce dernier disait : "Je pains ce que je vois." [Petite anecdote pour "Le Déjeuner sur l'herbe" : un jour Manet est dans une sorte de parc avec un ami - Baudelaire si je ne me trompe - et il regarde se baigner des jeunes femmes. C'est alors qu'il décide qu'il peindrait une toile s'imprégnant de ce type  d'atmosphère "champêtre", grosso-modo.] Outre le fait qu'à travers "Le Déjeuner sur l'herbe" l'artiste expose un sujet tabou, la prostitution (la jeune femme représentée étant une prostituée), hormis ce détail-là, en quoi a-t-il pu y avoir une mauvaise interprétation de la part du Jury et des critiques de ce tableau, alors que Manet précisait déjà auparavant sa démarche artistique (soutenue qui plus est par des écrits de Baudelaire et Zola - "Manet n'a jamais fait la sottise de mettre des idées dans sa peinture"), et qu'il précisait déjà auparavant qu'il ne faisait pas de la peinture académique ni historique, mais moderne ?

2. Dans un entretien avec Jacques Prévert d'André Pozner, qui aboutira à un roman tellement l'échange fut grandiloquent ("Hebdromadaires"), un passage m'a interpellé :

"La mémoire oublie l'oubli, la langue oublie la langue. Mais l'enfant, l'enfant sauvage, tire toujours la langue à l'adulte qui lui tire les oreilles parce qu'il a maltraité ou modifié, à son gré, la langue sacrée. Et sa langue à lui restera bien pendue, même si ses oreilles sont décollées.
"Aussi, lorsque à propos des mathématiques et de leurs dictionnaires parfaits, le professeur dit [un peu plus haut Prévert lit une interview d'un mathématicien-prêtre qui explique en quoi sa croyance religieuse n'est pas si différente de sa fonction professionnelle] qu'elles portent un langage contraignant et cohérent mais qu'elles mettent entre parenthèses ce qu'on pourrait appeler l'être, avoue-t-il malgré lui, dans son langage chiffré, que démagifier [mot inventé par ce mathématicien] la magie de l'enfance ou la force et la jeunesse des rêves, est une expérience difficile pour ne pas dire plus.
"Autant tenter de démagifier, de démaginer Hamlet (...) Démaginer ! C'est-à-dire remplacer une image par une autre image. Subtiliser. Par exemple, remplacer l'image de Jeanne d'Arc qui a été brûlée pour sorcellerie, pour magie, par une image de Jeanne d'Arc canonisée."

A travers ce "démaginer", je m'y retrouve quelque part car, j'ai moi-même tendance, comme cette "enfant sauvage qui tire la langue" à percevoir et à utiliser des expressions d'une façon singulière alors que leur sens relève d'une tonalité spécifique et imposée par les règles et lois de la langue. C'est pour ainsi dire, prendre ces expressions au pied de la lettre, les assimiler dans leurs sens propre et non figuré. Je pense et trouve qu'il est possible de contourner certaines règles de la langue, notamment ces notions de sens propre, figuré ou littéral sans qu'il en résulte forcément un quiproquo, une mauvaise expression ou interprétation. Bien sûr, j'ai conscience que ce comportement adopté peut mettre en péril d'une certaine façon la communication elle-même. Qu'en pensez-vous ? Ne pouvons-nous pas, du moins un tout petit peu, trouver une réponse au sens ?

"CONDUITE D'O"

Enfant, j'avais souvent O de conduite
mais si, en souriant, je leur disais
"Ah, j'ai O de conduite!"
ils devenaient furieux et criaient
"Ce n'est pas O, c'est zéro!"
Pourtant ce qui était écrit était écrit
et l'on peut très bien se permettre
de tout prendre à la lettre

Exemple : si on prend tout à O, il reste toujours O.
Alors!"
J.Prévert

descriptionDonner du sens : entre le singulier et l'universel. EmptyRe: Donner du sens : entre le singulier et l'universel.

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Latilo a écrit:
Je m'explique. Voici mon opinion si je puis me le permettre : la pensée n'est pas uniforme et ne relève pas d'une unité. Nous sommes identiques d'un point de vue biologique et génétique mais le « contenu même de nos pensées » (c'est maladroit, je le conçois) n'est pas le même pour tous.

D'abord nous ne sommes pas tous identiques génétiquement, mais nous avons une base commune. Sinon, à quoi serviraient les tests d'ADN ?
Ensuite vous parlez de similarité biologique, mais vous omettez le fait que la production de la pensée, pour ce que l'on sait aujourd'hui, ne provient pas d'un organe qui serait le même pour tous. Car nous parlons bien du cerveau, et si tout le monde en possède un il faut savoir qu'il est à peu près vierge à la naissance. C'est par l'expérience que le complexe neuronal va faire ses connexions. Dès lors, on comprend que chacun de nous vit une expérience singulière et que ce complexe sera différent pour tous. De plus il faut savoir que c'est l'émotion qui renforce telle connexion, c'est-à-dire qu'elle va rester en place. Pour des expériences sans intérêt et dépourvue d'émotion, ces connexions ne resteront pas. Donc c'est par l'émotion qu'une expérience nous dit quelque chose ou par son manque qu'elle ne nous dit rien.

Concernant les quiproquos, ils sont de deux sortes. Soit la charge émotionnelle est différente pour une même expérience, comme par exemple le fait d'écouter du Mozart qui dira quelque chose à quelqu'un et quelque chose de différent à un autre à cause d'expériences différentes ; soit c'est un problème de mémoire. Mais là il faut que je développe.
Il n'y a pas dans le cerveau d'endroit où seraient entreposées nos expériences. Cela peut paraître ahurissant, mais c'est cette théorie qui prédomine aujourd'hui. Alors comment fonctionne la mémoire ? Pour faire simple (on ne parlera pas du rôle de l'hippocampe, etc.), chaque expérience va connecter un réseau de neurones. Suivant la charge émotionnelle ce réseau restera actif ou disparaîtra, entièrement ou en partie. Ce qui reste est appelé trace mnésique (lire également ici - Euterpe). Et quand on veut se remémorer quelque chose, on réactive la trace, donc la série de connexions. Le problème de cet exercice est qu'il va y avoir des erreurs. Soit des traces qui n'ont rien à voir avec le fait à se remémorer vont être réactivées en même temps, soit des parties ne seront pas réactivées. Le processus de remémoration est toujours un processus de recréation, et donc source d'erreurs plus ou moins importantes. Et s'il on y ajoute l'émotion qui est différente pour chacun, vous aurez tous les ingrédients pour provoquer des conflits au sujet d'un souvenir pourtant commun.

Pour bien comprendre ce processus il suffit de faire un petit exercice, à condition d'avoir déjà croqué dans un citron. Si vous l'avez déjà fait, le citron fait saliver abondamment en plus de donner cette impression d'acidité fort gênante pour certains. Maintenant souvenez-vous de ce moment où vous avez croqué dans le citron. Ce faisant vous réactivez les connexions qui se sont faites lors de votre première "rencontre" avec le citron, et votre cerveau vous replace à peu près dans les mêmes conditions. Vous allez saliver et avoir l'impression de l'acidité, alors que vous faite juste un effort de mémoire.

Maintenant, qu'est-ce que l'émotion et comment agit-elle au niveau de l'expérience ? Si elle renforce la trace mnésique, pourquoi s'applique-t-elle à cette expérience plutôt qu'à une autre ? Qui ou quoi en décide ? Je ne le sais pas. Toujours est-il que ces précisions sur l'implication de la charge émotionnelle et sur le processus de remémoration peuvent donner quelques indices sur la notion du sens. Mais il ne suffira pas de l'expliquer d'un point de vue biologique, ce qui est impossible aujourd'hui, il faudra encore l'articuler philosophiquement comme l'interprétation d'une expérience qui nous fait quelque chose.

Dernière édition par Euterpe le Sam 30 Juil 2016 - 18:40, édité 2 fois (Raison : Association de l'expression "trace mnésique" à 2 articles)

descriptionDonner du sens : entre le singulier et l'universel. EmptyRe: Donner du sens : entre le singulier et l'universel.

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Édition du topic (orthographe et syntaxe). Modification du titre initial, trop vague.

Latilo a écrit:
j'ai moi-même tendance, comme cette "enfant sauvage qui tire la langue" à percevoir et à utiliser des expressions d'une façon singulière
Trois ans plus tard, qui sait... Le théâtre de Jean Tardieu devrait vous intéresser (et vous amuser).
Du point de vue de l'expérience vécue (si vous ne les avez pas déjà lus), je vous recommande Elias Canetti, son roman Auto-da-fé (1935) et son recueil d'essais La conscience des mots (1975). D'un point de vue sémiotique, d'Umberto Eco, L'œuvre ouverte (1965) et, dans une moindre mesure, Lector in fabula (1979). D'un point de vue linguistique (et structuraliste), Jean Cohen, Structure du langage poétique (le début peut amplement suffire).

Vangelis, dans votre excellent exposé, je me suis permis d'associer la notion de trace mnésique à deux pages internet.
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