Les musées existent depuis tellement longtemps qu'ils sont devenus LE moyen par excellence d'aller voir des œuvres d'art. L'étymologie renvoie aux muses, mais le conseil international des musées donne cette autre définition à ces lieux :
Le point de départ de ma réflexion est un texte de Heidegger, L'origine de l’œuvre d'art, mis en regard avec l'Esthétique de Hegel. Heidegger expose comment l’œuvre d'art antique, parce qu'elle s'insérait dans l'espace public avait une véritable fonction de manifestation de la vérité et de façonnement du monde. Or aujourd'hui, l’œuvre d'art enfermée dans les musées ne façonne plus véritablement notre monde, mais ne sert plus qu'à provoquer des émotions esthétiques chez les spectateurs des musées, ce qui rejoint d'une certaine façon la pensée de Hegel. En effet, alors que Hegel affirme que l'art est quelque chose de passé (Die Kunst ist ein Vergangenes) - en ce que nous ne lui donnons plus une fonction de configuration de notre monde contrairement à d'autres civilisations passées, et que c'est à la science et aux institutions juridiques que nous donnons pour tâche désormais de configurer notre monde - Heidegger lui, reprenant cette analyse y ajoute l'idée que si l'art est quelque chose de passé, c'est parce qu'il est entré dans l'horizon de l'esthétique (esthétique ayant le sens ici de ce qui provoque un sentiment de plaisir esthétique). Pour nous modernes, le mot "art", serait devenu synonyme d'esthétique.
Il y a un très beau passage de l'Origine de l’œuvre d'art où Heidegger montre comment une œuvre d'art modifie notre perception de l'espace et du temps, et façonne notre perception, il le dit notamment à propos du temple grec, ce qui rejoint une autre analyse de Hegel à propos des pyramides égyptiennes comme art symbolique participant d'une configuration du monde de la civilisation égyptienne.
Je me posais du coup la question de ce que le musée change dans notre manière d'appréhender l'art, n'est-il pas la confirmation par excellence d'un art qui n'aurait plus qu'une fonction esthétique, susciter un sentiment de beau, et qui n'aurait plus aucune prétention à coloniser l'espace public non pas dans un simple but "décoratif", mais dans le but de manifester la manière dont une culture se rapporte au monde, à la manière des pyramides égyptiennes, et également dans le but tout simplement de donner à penser. L'art semble d'une certaine manière avoir déserté notre espace public en étant confiné dans les musées, où ne rester dans l'espace public que sous forme de relique coupée de son sens, puisque n'étant plus regardé que sous l'angle de l'esthétique ou du patrimoine culturel, comme les cathédrales par exemple.
Par ailleurs, le musée change grandement notre perception du temps, en témoigne cette mode du "patrimoine", puisque le musée transforme ce qu'il expose en monument, au sens étymologique du terme, ce qui nous enjoint à nous souvenir du passé, à conserver ce qui mérite de rester, alors que c'était rarement la vocation originelle de ce qui est exposé. Notre rapport aux œuvres d'art du passé ne se vit plus que dans l'horizon du souvenir, ce n'est plus un art qui se vit au présent, précisément parce que ces œuvres témoignent d'une époque où l'art configurait un monde, et qu'elles ne nous parlent plus en termes de configuration de notre monde, mais en termes de plaisir esthétique, et de témoignage culturel d'un passé plus ou moins prestigieux.
Il y a une certaine idéalisation de la Grèce et de l'Egypte antique dans la vision que Hegel ou Heidegger en livrent, cependant, je trouve que leur réflexion a le mérite de questionner l'existence même du musée, comme institution n'allant pas de soi, et il suffit de se tourner vers d'autres cultures, pour constater le caractère spécifiquement occidental du musée. Maintenant il ne s'agit pas de faire une critique manichéenne du musée, mais de voir en quoi il modifie notre rapport à la culture, à l'art et au temps, que ce soit en bien ou en mal. Par exemple, on n'a jamais aussi bien conservé les œuvres d'art que depuis l'invention du musée. Cependant, s'agit-il de conserver simplement des œuvres d'art matérielles, ou l'esprit et la vie de ces œuvres ? Je pense ici au Musée du Quai Branly, où - souvent par le pillage culturel - on a pu conserver des œuvres d'art d'Afrique ou d'Amérique latine, ce qui donne une connotation pseudo morale à ce pillage culturel sous prétexte que sans cela, une grande partie de ces œuvres n'auraient pas pu être conservées. Mais j'ai l'impression ici qu'on a conservé des objets matériels, mais pas l'esprit de l’œuvre, puisque ces objets sont totalement détachés de leur contexte, de leur identité culturelle, de leur fonction sociale, et ce ne sont pas les petits encarts des musées qui peuvent réellement retranscrire tout cela.
Le musée apparaît donc comme un espace profondément traversé par des contradictions :
- d'une part il permet un large accès aux œuvres d'art en les regroupant dans un lieu ; d'autre part, ce faisant, il restreint la fonction de l'art à l'horizon esthétique, l'espace public étant désormais déserté par l'art au sens élevé que lui donne Heidegger et non pas au sens d'art décoratif
- d'autre part il permet de conserver des œuvres qui sans lui étaient vouées à l'usure, mais d'autre part il coupe ces œuvres de tout un environnement culturel qui leur donnait sens du fait même des conditions d'appropriation de ces œuvres (pillage, colonisation...) de sorte que dans les musées, nous rendons finalement hommage à des civilisations que nous avons assassinées, c'est particulièrement frappant aux États-Unis, avec par exemple à New York le Musée national des Indiens d'Amérique...
- d'autre part enfin, le musée vise à une démocratisation de l'art, d'autre part, en tant qu'institution, le musée légitime une certaine histoire officielle de l'art, de sorte que l'ouverture culturelle et artistique est moins ouverture que parcours balisé dans une certaine représentation de l'art
En tant que la culture s'y fige, les musées sont-il les nécropoles de l'art, ou une nouvelle vie des œuvres d'art, une vie différente, y est-elle possible ?
« Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d'études, d'éducation et de délectation. »
Le point de départ de ma réflexion est un texte de Heidegger, L'origine de l’œuvre d'art, mis en regard avec l'Esthétique de Hegel. Heidegger expose comment l’œuvre d'art antique, parce qu'elle s'insérait dans l'espace public avait une véritable fonction de manifestation de la vérité et de façonnement du monde. Or aujourd'hui, l’œuvre d'art enfermée dans les musées ne façonne plus véritablement notre monde, mais ne sert plus qu'à provoquer des émotions esthétiques chez les spectateurs des musées, ce qui rejoint d'une certaine façon la pensée de Hegel. En effet, alors que Hegel affirme que l'art est quelque chose de passé (Die Kunst ist ein Vergangenes) - en ce que nous ne lui donnons plus une fonction de configuration de notre monde contrairement à d'autres civilisations passées, et que c'est à la science et aux institutions juridiques que nous donnons pour tâche désormais de configurer notre monde - Heidegger lui, reprenant cette analyse y ajoute l'idée que si l'art est quelque chose de passé, c'est parce qu'il est entré dans l'horizon de l'esthétique (esthétique ayant le sens ici de ce qui provoque un sentiment de plaisir esthétique). Pour nous modernes, le mot "art", serait devenu synonyme d'esthétique.
Il y a un très beau passage de l'Origine de l’œuvre d'art où Heidegger montre comment une œuvre d'art modifie notre perception de l'espace et du temps, et façonne notre perception, il le dit notamment à propos du temple grec, ce qui rejoint une autre analyse de Hegel à propos des pyramides égyptiennes comme art symbolique participant d'une configuration du monde de la civilisation égyptienne.
Je me posais du coup la question de ce que le musée change dans notre manière d'appréhender l'art, n'est-il pas la confirmation par excellence d'un art qui n'aurait plus qu'une fonction esthétique, susciter un sentiment de beau, et qui n'aurait plus aucune prétention à coloniser l'espace public non pas dans un simple but "décoratif", mais dans le but de manifester la manière dont une culture se rapporte au monde, à la manière des pyramides égyptiennes, et également dans le but tout simplement de donner à penser. L'art semble d'une certaine manière avoir déserté notre espace public en étant confiné dans les musées, où ne rester dans l'espace public que sous forme de relique coupée de son sens, puisque n'étant plus regardé que sous l'angle de l'esthétique ou du patrimoine culturel, comme les cathédrales par exemple.
Par ailleurs, le musée change grandement notre perception du temps, en témoigne cette mode du "patrimoine", puisque le musée transforme ce qu'il expose en monument, au sens étymologique du terme, ce qui nous enjoint à nous souvenir du passé, à conserver ce qui mérite de rester, alors que c'était rarement la vocation originelle de ce qui est exposé. Notre rapport aux œuvres d'art du passé ne se vit plus que dans l'horizon du souvenir, ce n'est plus un art qui se vit au présent, précisément parce que ces œuvres témoignent d'une époque où l'art configurait un monde, et qu'elles ne nous parlent plus en termes de configuration de notre monde, mais en termes de plaisir esthétique, et de témoignage culturel d'un passé plus ou moins prestigieux.
Il y a une certaine idéalisation de la Grèce et de l'Egypte antique dans la vision que Hegel ou Heidegger en livrent, cependant, je trouve que leur réflexion a le mérite de questionner l'existence même du musée, comme institution n'allant pas de soi, et il suffit de se tourner vers d'autres cultures, pour constater le caractère spécifiquement occidental du musée. Maintenant il ne s'agit pas de faire une critique manichéenne du musée, mais de voir en quoi il modifie notre rapport à la culture, à l'art et au temps, que ce soit en bien ou en mal. Par exemple, on n'a jamais aussi bien conservé les œuvres d'art que depuis l'invention du musée. Cependant, s'agit-il de conserver simplement des œuvres d'art matérielles, ou l'esprit et la vie de ces œuvres ? Je pense ici au Musée du Quai Branly, où - souvent par le pillage culturel - on a pu conserver des œuvres d'art d'Afrique ou d'Amérique latine, ce qui donne une connotation pseudo morale à ce pillage culturel sous prétexte que sans cela, une grande partie de ces œuvres n'auraient pas pu être conservées. Mais j'ai l'impression ici qu'on a conservé des objets matériels, mais pas l'esprit de l’œuvre, puisque ces objets sont totalement détachés de leur contexte, de leur identité culturelle, de leur fonction sociale, et ce ne sont pas les petits encarts des musées qui peuvent réellement retranscrire tout cela.
Le musée apparaît donc comme un espace profondément traversé par des contradictions :
- d'une part il permet un large accès aux œuvres d'art en les regroupant dans un lieu ; d'autre part, ce faisant, il restreint la fonction de l'art à l'horizon esthétique, l'espace public étant désormais déserté par l'art au sens élevé que lui donne Heidegger et non pas au sens d'art décoratif
- d'autre part il permet de conserver des œuvres qui sans lui étaient vouées à l'usure, mais d'autre part il coupe ces œuvres de tout un environnement culturel qui leur donnait sens du fait même des conditions d'appropriation de ces œuvres (pillage, colonisation...) de sorte que dans les musées, nous rendons finalement hommage à des civilisations que nous avons assassinées, c'est particulièrement frappant aux États-Unis, avec par exemple à New York le Musée national des Indiens d'Amérique...
- d'autre part enfin, le musée vise à une démocratisation de l'art, d'autre part, en tant qu'institution, le musée légitime une certaine histoire officielle de l'art, de sorte que l'ouverture culturelle et artistique est moins ouverture que parcours balisé dans une certaine représentation de l'art
En tant que la culture s'y fige, les musées sont-il les nécropoles de l'art, ou une nouvelle vie des œuvres d'art, une vie différente, y est-elle possible ?