Desassossego a écrit: Peut-être est-il "intéressant" (et encore...) pour quelqu'un qui débute vraiment, mais je l'ai trouvé ennuyeux assez rapidement en le lisant, et je pense sérieusement qu'un bon livre ferait bien mieux entrer quelqu'un dans la philosophie que celui-ci !
Ce qui est important c'est que la première impulsion soit donnée, peu importe par quoi. Si cela éveille notre curiosité et notre intérêt pour la pensée alors tant mieux. Mais il ne faut surtout pas se contenter de cela, il serait vraiment dommage d'en rester là. Mais bien heureusement on entre en philosophie par ses à-côtés : ce sont les problèmes de la vie quotidienne qui nous incitent à nous interroger, tout comme des événements et des blessures peuvent nous provoquer et nous changer, nous désorienter et nous confronter aux questions essentielles. Plus encore, la philosophie se nourrit de toutes les activités et choses extra-philosophiques et je ne crois pas qu'elles aient moins de dignité que la philosophie elle-même et ses objets de prédilection. Pour ma part c'est un jeu vidéo qui m'a fait découvrir et lire Nietzsche. Mais ce sont des événements tels que la mort d'autrui qui m'ont fait basculer dans une compréhension plus profonde de la philosophie et qui ont fait ressurgir le souci proprement philosophique sans lequel je n'aurais pas accédé au sérieux requis pour saisir la portée véritable de ce dont la philosophie est le discours.
Nash a écrit: Je pense aussi, malgré ma faible expérience, que se "frotter" d'entrée aux "vrais" textes de philosophes permet mieux de s'y mettre, de rentrer directement dans le mode de réflexion philosophique.
C'est la meilleure manière de savoir de quoi on parle, là où un livre de vulgarisation vous donnera l'illusion de savoir ce qu'en réalité vous ignorez.
Keline a écrit: J'ai déjà lu quelques textes philosophiques comme un chapitre des Essais de Montaigne, De la vanité mais aussi des textes sur l’inconscient de Spinoza, de Freud & de Nietzsche... J'essaie de naviguer un peu, étape par étape, étant novice en la matière.
Faites attention tout de même, l'inconscient est un concept freudien, vous ne le trouverez que par analogie chez Spinoza et Nietzsche, mais s'ils semblent en parler ils le font d'une toute autre manière et il serait contraire à leur pensée de réduire simplement et abusivement leurs idées à la compréhension que l'on peut avoir de l'inconscient freudien. Ce n'est pas parce que des choses se ressemblent qu'elles sont identiques.
Nash a écrit: Pour un début en philosophie, par contre, étant moi-même novice, je trouve Nietzsche franchement plus difficile que des auteurs plus classiques (j'ai essayé Ainsi parlait Zarathoustra, ça m'a passablement refroidi).
Nietzsche est un auteur très difficile, en effet. Il faut apprendre à se méfier de son style littéraire : il est en réalité plus obscur parfois que les grands classiques qui ont certes leur jargon mais sont peut-être plus rigoureux et/ou soucieux de systématicité et de cohérence logique. Le problème du
Zarathoustra, qui est tout de même un livre magnifique et superbement écrit, est qu'il ne ressemble à rien d'autre et on ne sait jamais exactement par où le prendre, tant par exemple l'ironie y est présente. En même temps, ce texte profondément poétique, et donc énigmatique, tant dans son contenu que dans sa forme, a aussi les défauts de ses qualités soutenues par de trop grandes ambitions. Il n'est pas facile à lire parce que Nietzsche est parfois trop grandiloquent : il arrive que cette œuvre sérieuse bascule dans le pompeux et s'englue dans le burlesque et l'absurde. Mais cela est aussi, par bien des côtés et lorsque l'auteur y réussit, une façon d'apprendre au lecteur à accéder à une sagesse d'ordre supérieur et qui consiste dans une légèreté qui s'oppose à la lourdeur de l'esprit de sérieux. Rappelons-nous que la pensée de Nietzsche est éminemment musicale et que la musique, comme la vie, se moque bien, dans sa puissance d'affirmation de soi, de tout ce que nous y projetons et de tout ce que nous nous imposons pour restreindre en nous l'affirmation de notre force vitale. L'adhésion à la vie, jusque dans ses recoins les plus sombres, est quelque chose d'aussi difficile que nous nous compliquons l'existence. Ajoutons également que Nietzsche aimait l'opérette d'Offenbach. Il me semble que l'on peut alors lire cet ouvrage de Nietzsche comme une traversée des contraires entre ce qui relève d'un excès de signification et de sérieux et ce qui relève d'une forme de sagesse supérieure, mais quasiment indicible, qui relèverait du simple jeu (incarnant l'innocence du devenir et reflété dans l'activité créatrice du poète qui travaille à partir du sens et vise moins à établir le sens lui-même, nageant au-dessus d'une absence primordiale de sens, qu'à proposer une expérience littéraire à même de transformer notre rapport au monde).
invité1899 a écrit: Certains romans sont, en substance, très philosophiques. Je pense à ceux de Kafka notamment. Ce peut être une porte d'entrée moins rébarbative.
Encore faut-il définir ce qu'est la philosophie. Tout ce que je sais c'est que la philosophie peut s'emparer de certains textes puisqu'ils sont une forme d'expérience singulière du monde soulevant de nouveaux problèmes. Mais encore faut-il sortir de la
doxa. Beaucoup de romans n'ont rien à dire, rien à montrer. Ils n'ont aucune portée critique, aucune originalité.
invité1899 a écrit: Pour Nietzsche, l'ordre de lecture me semble fondamental. La Généalogie de la morale ne se comprend qu'après la lecture de Par delà le Bien et le Mal.
On comprend évidemment mieux la pensée en la resituant dans son histoire globale, toutefois la
Généalogie de la morale est une œuvre claire qui se comprend très bien par elle-même. Au contraire, Nietzsche soulignait l'importance de PBM au regard du
Zarathoustra puisqu'il en était à la fois le commentaire et la redite, quoique sous une forme toute autre et plus claire pour nous. N'oublions pas non plus que le
Gai savoir précède chronologiquement et thématiquement le
Zarathoustra puisque l'on y trouve pour la première fois les pensées de la mort de Dieu et de l'éternel retour.
invité1899 a écrit: L'ordre importe peu, après coup. Quand l'approche de Nietzsche est maîtrisée (ou presque familière). De l’aveu même de Nietzsche les ouvrages se répondent. La GM éclaire PBM. Autant suivre la construction comme Nietzsche l'a faite.
Je trouve votre propos contradictoire. Je pense qu'une bonne compréhension de sa pensée ne peut se faire qu'en gardant à l'esprit que l'auteur n'est pas indépendant de son histoire personnelle et que l'on ne peut lire la
Naissance de la tragédie comme on lit ce qui vient après. La pensée de Nietzsche est évolutive, elle connaît ses ruptures, ses retournements, ses transformations.
Desassossego a écrit: Comprenez-moi bien : ce que je critique ici, c'est simplement le fait qu'on introduise de la philosophie là où il n'y en a pas et où il n'y a pas à en avoir, dans le sens où tout n'a pas besoin d'être philosophique pour avoir de la valeur. Sinon, à ce compte, la bible aussi, ça à une portée très philosophique...
La Bible présente une autre forme de sagesse que celle préconisée par la philosophie, mais elle a une portée philosophique dans ce que les philosophes en ont fait.
Invité1899 a écrit: Je souligne la portée philosophique de certains romans ; j’entends la capacité d'étonnement produite, la nature des sujets abordés. Le terme de portée à toute son importance, il n’en fait pas de fait quelque chose de philosophique mais lui en donne la coloration. La substance, les réflexions que nous sommes susceptibles d'en retirer sont similaires. Le terreau est proche. Encore une fois, je n’ai pas érigé les romanciers en philosophes, mais soulevais le fait que certains sujets sont plus attrayants par ce chemin-là.
Bref, l'art offre une expérience particulière de l'existence et du monde, il permet la connaissance sur la base d'une matière. Mais la philosophie est l'activité qui s'en saisit pour la mettre en forme, lui donner une forme particulière - qui peut d'ailleurs redoubler la forme artistique elle-même ou la réduire en esclavage et la nier puisque le discours de l'art n'est pas le même que celui de la philosophie. L'un semble plutôt servir à montrer, l'autre à démontrer. D'ailleurs, une œuvre n'a pas toujours un message à transmettre, il lui suffit d'être et cela peut être le rôle du philosophe de lui donner un sens en donnant une cohérence à un ensemble d'éléments significatifs que l'on peut en extraire. Mais l'art peut très bien tenir un discours sur lui-même. La philosophie joue cependant sur un autre tableau : elle est normative. Elle cherche à caractériser ce qui est. Mais alors elle se heurte à l'hétérogénéité de l'œuvre et procède par l'élaboration d'idéaux-types pour catégoriser, rendre homogène et cohérent ce qui en soi excède le discours.
JimmyB a écrit: La philosophie ne serait alors qu'une façon de formuler ?
Non, c'est une façon spécifique de formuler des problèmes spécifiques - mais surtout c'est une activité d'élucidation des problèmes. Parfois il s'agit simplement de poser correctement un problème pour le voir disparaître, et laisser surgir un nouveau problème. L'art a justement ce pouvoir de mettre les choses en perspective. La philosophie les explore parce que le philosophe veut savoir ce que sont les choses, ce que ça fait pour une chose d'être, ce qui fait qu'une chose est une chose, voire il veut également savoir ce qui doit être. Le problème est qu'en général nous avons des préjugés : on impose à ce qui est un devoir-être préfabriqué. L'œuvre d'art peut alors nous en éloigner parce qu'elle est paradoxale dans sa singularité, elle n'est pas rapportable à un discours. Et pourtant, elle dit peut-être mieux qu'une théorie ce qui est, et peut faire surgir de nouveaux problèmes tout en réfutant notre ancienne approche des choses.