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L'individu contre l'État.

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Impero
zhbw
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descriptionL'individu contre l'État. - Page 2 EmptyRe: L'individu contre l'État.

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Une institution qui limite la liberté, même si cela rend service au plus grand nombre (comme la police) peut être considérée comme illégitime.

Je vois que votre problème essentiel vis-à-vis de l'État tourne autour du fait qu'il serait potentiellement une entrave au principe de Liberté, que vous semblez élever au rang de principe premier. Mais il me semble tout de même que vous omettez de circonscrire de plus près ce que vous entendez par le terme de Liberté, puisqu'en effet, et c'est bien connu, sa définition a des conséquences lourdes sur l'application du principe dans la vie de tout un chacun. Or il existe bien sûr la définition vulgaire qui est de "faire tout ce que l'on veut", mais qui a pour problème majeur que la volonté peut être soumise à des passions (je pense bien évidemment à l’émotion qui peut parfois nous tyranniser), à des intentions néfastes à l'encontre de ceux qui nous entourent, à des errements de la perception et à bien d'autres choses qui finalement pourraient se résumer à la condition humaine qui implique toujours, à des niveaux variés, l’incohérence et la contradiction ; et si en effet on vivait dans une société où l'on peut faire tout ce que l'on veut, il faudrait craindre la guerre de tous contre tous telle que l'a décrite Thomas Hobbes (cf. Le leviathan) et comme l'a bien rappelé Silentio. Or il me semble que si nous voulons avoir une définition de la Liberté plus construite, il nous manque deux termes qui sont incontestablement liés, mais qui ne doivent pas être totalement assimilés, que sont l'ordre et la justice.

Si on admet que la volonté humaine peut être aliénée par les passions et par toutes les autres tares qui constituent la réalité humaine, et que de ce fait elle peut être non seulement contre-productive pour les personnes qui subissent les libertés (ou libéralités) que s'octroie cette volonté mais aussi pour cette volonté elle-même, il nous faut admettre que ce principe, aussi précieux soit-il, comporte en lui les moyens de sa propre négation s'il ne trouve pas de limites internes (un sentiment moral, une certaine éthique) ou externes (autrui, la société, les institutions donc l'État), en d'autres termes l'individu qui fait tout ce qu'il veut n'est que dans une course folle vers sa propre destruction. C'est là qu'interviennent les notions d'ordre et de justice, qui équilibrent notre rapport à la Liberté. La notion d'ordre implique une certaine organisation individuelle ou sociale. Le principe de justice fait référence à une certaine conception des relations entre les hommes qui doivent, pour être justes, prendre en compte la nécessité d'une certaine égalité et/ou équité dans ces relations, c'est la bonne vieille distinction aristotélicienne entre justice distributive et justice commutative.

- La liberté doit ainsi être jugulée par un certain ordre qui implique une certaine société ; finalement le seul individu qui peut être absolument libre, ne peut l’être qu'en dehors de toute société, sinon son comportement viendra forcément heurter la volonté des autres membres de la société (d'où l'adage : "ma liberté s’arrête là ou commence celle d'autrui"), et même dans ce cas d'isolement absolu, l'individu devra, en réalité, se trouver une certaine organisation donc un certain ordre pour faire en sorte de continuer à exercer sa liberté (si par exemple il veut se nourrir, se vêtir, etc.), et même s'il décidait de n'avoir aucune organisation, cela serait encore paradoxalement une forme d'organisation (je paraphrase volontairement Nietzsche qui parlait de la cohérence, en affirmant que même celui qui décidait d’être incohérent devait encore se référer à l’idée de cohérence pour savoir s'il restait cohérent avec son idéal d’incohérence). Arrivés ici, nous voyons que la notion de liberté ne peut en réalité s'envisager sans celle d'ordre ou d'organisation, ainsi l'exercice de la liberté nécessite toujours déjà une certaine règle. Encore une fois cette règle peut être interne (morale/éthique ou religieuse) ou externe (société et/ou État), mais puisque nous parlons de l'État je me concentrerai sur ce second aspect.

- Un ordre ou un mode d’organisation n'est pas forcément juste, car il peut bénéficier à une partie des individus qui composent le groupe et être fortement défavorable à une autre partie (anciennes sociétés esclavagistes, inégalités sociales dans les sociétés contemporaines, inégalité de la répartition des richesses entre pays dits du "Nord" et pays dits du "Sud"), ainsi dans ce genre d'organisation les inégalités sont structurelles, c'est-à-dire qu'elles sont inhérentes à la structure même de l'organisation concernée et que les individus qui naissent dans l'un ou l'autre groupe verront leur liberté fortement prédéterminée par leur appartenance sociale et culturelle. Cela a pour conséquence le fait que ceux qui sont défavorisés par l'ordre établi voient en même temps leur échapper tous les avantages dont bénéficient ceux qui sont favorisés par l'ordre en question, de sorte que l'appartenance sociale prédétermine toujours plus ou moins la liberté des individus (cf. les problèmes liés à la reproduction sociale et aux fractures sociales qu'elle implique, à la paupérisation, etc.).
En ce sens, pour que les individus d'une société puissent être réellement libres il faut non seulement un certain ordre donc une certaine organisation, mais aussi une certaine justice sociale qui permette de dégager les conditions dans l'organisation de la construction par l'individu lui-même d'une liberté qui passe à terme, chez l'individu autonome, par une autorégulation interne (par des principes éthiques, moraux ou religieux). De nos jours quand on parle de justice commutative, il s'agit surtout d’égalité devant la loi, il y a donc hors de ce domaine une inégalité admise qui repose sur la justice distributive, impliquant que chacun a selon son mérite, or on vient de voir que c'est moins le mérite que l'appartenance sociale (qui n'est pas forcément méritée car elle peut être héritée) qui détermine ce que possède chacun. De plus ce que possède chacun doit s'entendre ici comme déterminant fortement la liberté de l'individu pour accomplir ce qu'il souhaite (si vous voulez vous soigner et que vous n'en avez pas les moyens, vous êtes prisonnier de votre condition sociale et par extension de toute une organisation juridique qui veut que pour que vous puissiez vous soigner, il vous faut débourser une certaine somme d'argent, comme aux États-Unis) ; mais quand cette justice sociale est relativement présente et qu'elle vise donc à réduire les inégalités qui peuvent exister entre les différents acteurs de l'ordre établi, elle élargit les horizons de ceux qui sont défavorisés par l'organisation (ne serait-ce que par exemple l’accès gratuit en France aux bibliothèques et aux cours universitaires). L'une des figures emblématiques de la critique de l'organisation dans laquelle nous vivons actuellement, est incontestablement Karl Marx, ce dernier s'en prend de manière virulente à l'État et ne le considère que comme une construction bourgeoise visant à illusionner le peuple sur la réalité du pouvoir. Les bourgeois ne viseraient qu'à faire miroiter au peuple un idéal ou chaque citoyen serait égal devant l’autorité tutélaire et en l’occurrence devant la loi qu'elle édicte alors que cela serait factuellement faux, en ce sens la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ne serait que l'instrumentalisation de l'universel au profit de la classe bourgeoise qui aurait de ce fait volé la révolution au peuple sans même que ce dernier ne s'en rende compte. Tout comme vous Mr. zhbw, Marx voulait renverser cet ordre des choses, et il proposait la société sans classes, hélas son projet a échoué dans le fracas des bombes du XXeme siècle.

Vous aurez sûrement remarqué que, personnellement, je tends bien plus vers une logique réformatrice que révolutionnaire (la principale différence entre les deux étant que dans le premier cas on essaye de réduire les inégalités, alors que dans le second on vise à faire sauter l'organisation qui serait en soi la cause des inégalités). Marx voulait la justice absolue, une dictature du prolétariat, mais sa soif de justice a fini par consacrer l’étouffement de la liberté (on ne peut pas vraiment dire que c’était une valeur centrale de l'organisation soviétique, ni même de l'actuelle Corée du Nord, quant à la Chine il paraît qu'il y a des évolutions), et de ce fait l'injustice. Comme nous l'avons vu pour la liberté, le principe de justice comporte également les moyens de sa propre négation.

Et vous Mr. zhbw, votre soif de liberté est-elle absolue ? Vous dites que des institutions telles que la police sont déjà illégitimes bien qu'en fait qu'elles rendent service au plus grand nombre, je vous réponds que d'une part, sans la police vous ne seriez pas libre tout comme vous ne le seriez pas s'il y avait trop de police ; et que d'autre part je trouve assez curieux que vous disqualifiez aussi facilement le fait que la police en question puisse rendre service au plus grand nombre, n'est-ce pas justement cela qui fait sa légitimité ? Je dirais par contre qu'elle devient illégitime lorsque l’égalité devant la loi qu'elle est censée garantir et appliquer est bafouée (Edit : n'oublions quand même pas que la loi peut elle-même être oppressive, et c'est à ce moment que la régulation interne prend une importance accrue, la question de la désobéissance civile reste très actuelle, même ici dans nos sociétés Européennes, si quelqu'un a un avis là-dessus il m’intéresse).

Prenons la liberté religieuse. L'on croit qu'il s'agit de nourriture ou de vêtements. Mais chacun a sa religion personnelle, sa façon de se mettre en relation avec son créateur s'il y croit. Toute obligation de citoyen est une potentielle offense à la liberté de pratique

Je suis tout a fait d'accord, sauf sur votre dernière affirmation, je ne vois pas pourquoi des obligations citoyennes pourraient être des "offenses" potentielles à la liberté éthique et/ou religieuse, pouvez-vous élaborer ?


Bonne soirée à tous.

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Silentio a écrit:
zhbw a écrit:
Vivre dans un pays libre ou en corée du nord m'indiffère totalement. Je crois que l'individu est seul maître de faire son bonheur. Aucune oppression ne peut porter atteinte efficacement à sa liberté.

Eh bien, partez vivre en Corée du Nord, on verra si vous pouvez y demeurer libre très longtemps sans un état de droit garant de vos libertés.

Peut-être voulait-il dire, de manière fort maladroite en prenant le plus mauvais exemple qui soit, que le bonheur est du domaine du privé (quand l’État est associé au public).

John Dewey passe en revue les principales conceptions de l’État :
Si l'on s'enquiert non d'une énumération des faits, mais d'une définition de l’État, alors les controverses et une confusion de clameurs contradictoires dominent. D'après telle tradition, qu'on affirme dériver d'Aristote, l’État est la vie sociale harmonisée au plus haut degré ; l’État est à la fois la clef de voûte de l'arche sociale et l'arche dans son intégralité. D'après tel autre point de vue, l’État n'est qu'une des nombreuses institutions sociales ; il n'a qu'une fonction réduite mais importante, celle d'arbitrer les conflits entre les autres unités sociales. De ce point de vue, chaque groupe naît d'un intérêt humain positif et le réalise ; l’Église, les valeurs religieuses ; des guildes, des syndicats et des corporations, des intérêts économiques, et ainsi de suite. Cependant, l’État n'a aucun intérêt qui lui soit propre ; son but est formel, comme celui du chef d'orchestre qui ne joue d'aucune instrument et ne fait pas de musique, mais qui sert à maintenir ceux qui jouent vraiment d'un instrument de musique en harmonie les uns avec les autres. Il y a encore un troisième point de vue d'après lequel l’État est l'oppression organisée, à la fois une excroissance sociale, un parasite et un tyran. D'après un quatrième, il est un instrument plus ou moins maladroit pour empêcher les individus de trop se quereller les uns avec les autres.

John Dewey, Le public et ses problèmes (1927), Gallimard, p.82-83.


En voyez-vous d'autres ?

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lcz a écrit:
je ne vois pas pourquoi des obligations citoyennes pourraient être des "offenses" potentielles à la liberté éthique et/ou religieuse, pouvez-vous élaborer ?

La conscription évidemment. Les cours de musique pour les collégiens où l'on parle de la vie du point de vue des artistes non-croyants. 
Tout peut être une offense à la liberté du  croyant, il suffit d'avoir une religion originale.

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À noter qu’il y a un prix bien lourd à payer pour se passer de l’État. Voici un extrait de La Société contre l’État de Pierre Clastres, mentionné ci-dessus par Silentio.
Pierre Clastres a écrit:
La propriété essentielle (c’est-à-dire qui touche à l’essence) de la société primitive, c’est d’exercer un pouvoir absolu et complet sur tout ce qui la compose, c’est d’interdire l’autonomie de l’un quelconque des sous-ensembles qui la constituent, c’est de maintenir tous les mouvements internes, conscients et inconscients, qui nourrissent la vie sociale, dans les limites et dans la direction voulue par la société. La tribu manifeste entre autres (et par la violence s’il le faut) sa volonté de préserver cet ordre social primitif en interdisant l’émergence d’un pouvoir politique individuel, central et séparé. Société donc à qui rien n’échappe, qui ne laisse rien sortir hors de soi-même, car toutes les issues sont fermées. Société qui, par conséquent, devrait éternellement se reproduire sans que rien de substantiel ne l’affecte à travers le temps.

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zhbw a écrit:
Mais c'est un aveuglement que de croire que l'État - même minimal - n'est pas une atteinte à la liberté.

Certes, mais j'insistais pour ma part sur le fait que l'homme vit nécessairement en société et qu'il faut nécessairement qu'elle soit, d'une manière ou d'une autre, organisée. Cela implique des lieux de décision, des institutions. Bien entendu, l'État tel que nous le connaissons est une invention moderne, et il y a certainement des organes de pouvoir plus enclins à la liberté individuelle. Cependant, dans un État démocratique comme le nôtre, il faut nécessairement des contraintes pour permettre la liberté du plus grand nombre, et je ne pense pas que l'on puisse parler de tyrannie ou de régime liberticide pour autant. D'un point de vue politique, nous sommes plus libres que sous la monarchie d'Ancien régime ou que dans un État du type antique (par exemple à Athènes). Il y a d'ailleurs une juridiction très complexe qui garantit la liberté de l'individu (il fallait d'ailleurs le reconnaître ! or l'individu est une invention récente), qui a certes des devoirs, là où l'homme finalement très abstrait, rendu à sa supposée liberté naturelle, serait à la merci de tout un chacun. Et comme nous sommes pour la plupart faibles, et que la force n'est pas inébranlable, il vaut mieux avoir de son côté un tiers pour représenter la justice (aussi imparfaite soit-elle). Certes, nous voudrions être le plus indépendant possible, mais comme nous ne pouvons faire autrement que de vivre à plusieurs, c'est un moindre mal.
zhbw a écrit:
Une institution qui limite la liberté, même si cela rend service au plus grand nombre (comme la police) peut être considérée comme illégitime.

Hobbes serait d'accord, à condition que le pouvoir menace ma vie.
zhbw a écrit:
Prenons la liberté religieuse. L'on croit qu'il s'agit de nourriture ou de vêtements. Mais chacun a sa religion personnelle, sa façon de se mettre en relation avec son créateur s'il y croit. Toute obligation de citoyen est une potentielle offense à la liberté de pratique.

L'État n'a pas vocation à convertir les âmes, mais à organiser un espace commun que l'on appelle souvent le vivre-ensemble - sinon il s'agirait de totalitarisme. Mais pas plus qu'il ne doit s'immiscer dans la vie privée celle-ci ne doit s'imposer aux autres, car alors il s'agirait d'intégrisme.
Kthun a écrit:
Peut-être voulait-il dire, de manière fort maladroite en prenant le plus mauvais exemple qui soit, que le bonheur est du domaine du privé (quand l’État est associé au public).

Bien sûr, mais on peut aussi ajouter que l'État peut participer de cette recherche du bonheur (je ne suis pas certain qu'il ne doive permettre qu'une liberté négative, comme l'a mentionnée Impero, puisque nous voulons aussi agir). De plus, il faut envisager les conditions qui rendent possible l'espace privé, or il me semble qu'elles sont aussi politiques. Le risque n'est donc pas seulement de voir le privé détruit par l'État, mais de voir la chose commune (la politique) à ce point amoindrie par le repli dans l'espace privé que cela pourrait se retourner contre les intérêts de chacun. D'ailleurs, le totalitarisme n'est pas simplement l'aliénation politique des individus, c'est aussi la destruction du politique et tout à la fois de ce qu'il présuppose comme sa condition et garantit, à savoir la pluralité. Avec l'atomisation du corps social, il n'y a plus de monde commun, et dès lors c'est très inquiétant pour ces individus soi-disant souverains (qui sont d'autant plus normalisés qu'ils se croient libres parce qu'en-dehors de la politique).
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