Héliogabale a écrit:mon questionnement pose la question du rapport entre l'éthique, le politique et la morale.
Le problème avec Nietzsche et Cioran, c'est qu'il ne va plus subsister grand-chose à votre objet d'étude, une fois que tout aura été réduit à une volonté de dominer. :roll: Mais au moins cela formera-t-il votre regard, afin de ne pas vous laisser avoir par les beaux idéaux sous lesquels s'agitent un certain nombre de passions et d'illusions, pour lesquels les grands discours bien intentionnés ne servent que de justifications mensongères. Reste qu'en disant cela, en devenant plus lucide, on peut avoir la tentation de tout régler en se défiant à l'extrême de la question qui vous anime. Ce qui peut être une manière de ne pas voir que le problème est plus complexe, puisqu'il me semble que politique et éthique s'imposent à nous, en tant que nous vivons à plusieurs. Là-dessus, les réponses des auteurs cités, qui tendent à évacuer le problème, me semblent discutables.
Desassocego a écrit:Le choix d'une traduction pour Nietzsche va souvent avec un parti pris entre littérature et philosophie. C'est ainsi d'ailleurs que s'est constituée sa réception en France : jusque dans les années 1930, sa pensée était considérée comme essentiellement littéraire. Ce n'est qu'après que Nietzsche fut traité comme philosophe à part entière (d'abord irrationaliste, puis à partir des années 70, comme un philosophe avec sa propre logique, ses propres méthodes, etc.). Nous avons donc au moins deux courants, le premier très littéraire (dont les principaux acteurs-traducteurs sont Henri Albert, Alexandre Vialatte et Maurice Betz), le second plus conceptuel (c'est dans ce courant que se situe l'œuvre complète de la collection NRF).
C'est assez réducteur. D'une, Nietzsche n'est pas un rationaliste. De deux, il a été pris pour ce qu'il voulait être : un immoraliste. Enfin, il a été considéré sérieusement, notamment sous l'angle politique, par des personnes comme Seillière, Fouillée, Andler, Fournière, etc.
Desassocego a écrit:Quoiqu'il en soit, les deux courants cohabitent encore de nos jours, puisque les premières traductions ont été rééditées, revues et corrigées, notamment par Jean Lacoste et Jacques Le Rider, dont le travail est publié chez Robert Laffont et accompagné d'un index qui constitue un outil de choix, même pour des spécialistes de Nietzsche. Du reste, la traduction des œuvres de Nietzsche est toujours en marche, puisque Blondel ou encore Wotling ont réalisé de nouvelles versions des œuvres principales, chez Garnier-Flammarion, avec à chaque fois un appareil de notes impressionnant et précieux pour qui souhaite travailler Nietzsche.
Ce sont tous de grands spécialistes, mais j'aurais plus tendance à faire confiance à quelqu'un comme Jacques le Rider, qui connaît mieux l'histoire allemande et n'a pas de parti pris.
Desassocego a écrit:On peut parfois étudier un auteur en le mettant en rapport avec un autre, et cela devient original. Il y a par exemple peu d'études sur le rapport entre Nietzsche et Pessoa, et cela aurait pourtant un grand intérêt...
Cela me semble de moins en moins pertinent. De nos jours, la tendance au commentaire est en passe de devenir reine : on met machin avec machine, on compare truc avec bidule, mais à la fin il reste le plus souvent des consensus mous pour montrer à quel point les deux auteurs sont merveilleux, au lieu de pousser la critique jusqu'au bout et de regarder ce qui tient ou ne tient plus. Qu'on fasse de l'histoire, c'est très bien, mais si l'on oublie le jugement alors il n'y a pas de pensée. Mais c'est commode, ça permet de vivre en combinant tout et n'importe quoi, et là il y a matière à traiter ! Mais bon, l'université n'attend pas forcément qu'on s'essaie à penser par soi-même, tant qu'il y a quelques centaines de pages à noter. Cela donne du travail aux professeurs et un but aux étudiants... Cela dit, pour me montrer moins cynique, il faut bien apprendre et se rendre intelligibles des pensées, et ce genre de travaux donne l'occasion de faire ses armes.