Je me demande s'il existe un seul philosophe qui n'ait pas essayé de résoudre ou qui n'ait pas discuté de ce problème.
I) Déterminisme - pour qu'il y ait du déterminisme il faut du passé + des lois qui impliquent un futur (cf. Cyrille Michon). Dit autrement, il n'y a qu'un seul futur possible dû aux événements passés et aux lois de la nature.
- Le déterminisme est une théorie où la succession des événements (issus du passé et arrangés par des lois) est due au principe de causalité, c'est-à-dire qu'un événement a une origine liée à un ou des événements qui se trouvent nécessairement antérieurs à lui.
- Donc
a contrario l'indéterminisme ou un événement indéterminé, c'est un événement qui dépend d'une cause qui n'a pas d'origine ou qui apparaîtrait de façon spontanée, ou indépendamment des causes passées, par exemple par hasard. Les philosophes n'aiment pas cette notion de hasard, car elle s'assimile à la magie, l'ignorance, à l'occulte. « Le hasard est la mesure de notre ignorance », disait Poincaré.
- Le fatalisme, c'est lorsque les causes sont indépendantes de la volonté humaine. Le fatalisme n'est donc pas forcément du déterminisme. Des événements dus au hasard peuvent avoir un caractère fataliste, si l'homme n'en est ni à l'origine, ni ne peut contrer ces événements.
- Le nécessitarisme : tout ce qui existe est nécessaire, qui n'implique pas non plus du déterminisme.
Quelques partisans du déterminisme :
Einstein, Schrödinger, Saint Augustin, Cioran, Freud.
II) IndéterminismeOn peut définir l'indéterminisme comme :
- la négation que tout événement soit prévisible, parce que l'on n'a pas accès à tous les éléments de la réalité.
Dans ce cas c'est une barrière à la connaissance. Ce cas n'implique pas forcément que l'univers ne soit pas déterministe. Cela nie le fait que l'on puisse avoir accès à tous les paramètres, et donc on serait ici dans une illusion d'indéterminisme. Cet indéterminisme est à considérer comme du déterminisme dans le tableau 1 (décrit plus loin)
- la nature même des événements qui seraient indéterminés, des événements issus de causes spontanées (sans causalité) ou de façon aléatoire. Il s'agit bien de cet indéterminisme qui est décrit dans le tableau 1.
III) Libre arbitre - Luther définissait le contraire du libre arbitre comme le serf arbitre (cf. la querelle du libre arbitre). Je prendrai ce terme par opposition au libre arbitre.
- Le libre arbitre serait la faculté chez l'être humain à se déterminer librement et par lui seul, à agir et à penser. La définition du libre arbitre s'oppose à la définition du déterminisme. Effectivement, comment lier le libre arbitre au déterminisme ? Cela semble contradictoire, en fait c'est une position philosophique assez répandue.
- En corollaire le libre arbitre suppose une volonté, une conscience, la possibilité d'évaluer les choix et d'opter pour l'un d'eux. Les partisans du serf arbitre supposent que le sentiment d'avoir le choix n'est qu'une illusion.
- Second corollaire, s'il n'y a pas de libre arbitre, il ne peut pas y avoir non plus de liberté.
IV) Déterminisme/indéterminisme — libre arbitre/serf arbitreOn a quatre combinaisons possibles, avec leurs options, résumées dans le tableau 1.
Tableau 1 : combinaisons possibles Déterminisme/Indéterminisme - Libre Arbitre/Serf Arbitre
| Libre arbitre | Serf arbitre |
Déterminisme | D-LA | D-SA |
indééterminisme | ID-LA | ID-SA |
Explication des cases du tableau 1: D-LA : Pour les "compatibilistes" il est possible d'avoir du libre arbitre avec du déterminisme. Dans ce cas on parle de soft-déterminisme. C'est une position un peu délicate à tenir. Les "incompatibilistes" réfutent cette position, en affirmant que dès lors qu'on a le choix, on peut influencer le futur. Alors que les "compatibilistes" prétendent qu'il suffit s'être conscient d'avoir un choix, pour que l'on ait du libre arbitre. Mais que ce choix est forcement déterminé.Le "semi compatibilisme" nie le libre arbitre avec le déterminisme mais pense que la "responsabilité morale" est compatible avec le déterminisme. Cette position répond aux critiques des "incompatibilistes", selon qui s'il n'y a pas de libre arbitre alors il ne peut y avoir de "responsabilité morale", et si effectivement c'est le cas alors toutes les actions sont justifiables. Pour contrer cela les "semi compatibilistes" prétendent qu'il n'y a pas de libre arbitre mais qu'il y a une "responsabilité morale".Cette position est cruciale dans la philosophie, notamment pour ceux soutenant l'existence de Dieu. Car il s'agit rien moins que d'arriver à faire cohabiter deux notions : la toute puissance de Dieu omniscient, et le choix que fait l'homme dans les voies du mal, car ayant son libre arbitre. Cette position nécessite de faire de véritables acrobaties philosophiques et mentales, et suppose un discours en général assez difficile à suivre. Cette position n'est pas soutenue que par les théologiens, Schrödinger croit aussi au déterminisme et au libre arbitre. ID-LA : Pour les "incompatibilistes" s'il y a libre arbitre il y a forcément indéterminisme. Cela n'implique pas forcément qu'il y ait du libre arbitre. Par contre dans ce cas, s'il y a du libre arbitre il y a forcément de l'indéterminisme.Le libre arbitre, quoi qu'il en soit, n'est jamais total (nous n'avons pas le choix de décision pour tous nos actes). D-SA :C'est le déterminisme dur. Il paraît assez naturel qu'il ne puisse pas y avoir de libre arbitre dans un monde déterministe.Dans un tel univers : - Les choix ne sont que des illusions. - Les événements dus au hasard ne sont considérés comme hasardeux que parce que nous ignorons tous les paramètres du problème. - Il semble très dur de se faire psychologiquement à cette position. Parmi les déterministes durs on trouve Cioran : « Le même sentiment appartenance, de jeu inutile, où que j'aille : je feins de m'intéresser à ce qui ne m'importe guère, je me trémousse par automatisme ou par charité, sans jamais être dans le coup, sans jamais être quelque part. Ce qui m'attire est ailleurs, et cet ailleurs je ne sais ce qu'il est. » (cf. La tentation d'exister)ID-SA : L'idée que l'on est dans un univers indéterministe n'implique pas forcément que l'on a du libre arbitre. Dans ce cas de figure on peut imaginer l'absence de libre arbitre pour les raisons suivantes : - la position machiniste : nous sommes des machines non déterminées et ce sont les phénomènes qui nous gouvernent, le libre arbitre est dans ce cas là une illusion- la position paranoïaque : nous sommes manipulés par des forces extérieures (dieu ou autre) dans ce cas là aussi on nous donne l'illusion de notre libre arbitre. V) Indéterminisme et hasard.L'indéterminisme dû à autre chose qu'à un défaut de connaissance, mais dû au hasard et aux causes spontanées. Cette vision des choses a été rejetée par Laplace :
nous devons envisager l’état de l’Univers comme l’effet de son état antérieur et la cause de ce qui va suivre. Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule le mouvement des plus grands corps de l’Univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux.
Essai philosophique sur les probabilités (1814)
Cette position du XIXe siècle est tout à fait légitime, la physique se décrit avec des équations mathématiques, et une équation mathématique est parfaitement déterministe. L'analogie entre l'équation et le monde est alors facile à faire. Mais à la même époque apparaissent les mathématiques statistiques et les probabilités, qui montrent qu'il n'est pas nécessaire de tout savoir pour établir des lois. Si vous voulez connaître le comportement d'un gaz, nul besoin de connaître toutes les caractéristiques de toutes les molécules de ce gaz, les lois de probabilité sont suffisantes. Cela ne veut pas dire que l'univers n'est pas déterministe, mais cela veut dire qu'il est possible de faire de la science sans qu'il soit nécessaire de tout savoir. On peut au moins parler d'un déterminisme statistique. Si le hasard existe (dans le sens où le hasard n'est pas assimilé à de l'ignorance) alors il est tout de même possible de faire de la science et de prévoir des choses.
Fin du XIXe-début XXe, révolution ontologique dans les sciences avec la mécanique quantique, qui est basée sur les probabilités, c'est-à-dire que les quanta tant qu'on les laisse tranquilles, vivent dans un état de superposition. Ils peuvent être dans l'état A, B et A+B. Au moment de la mesure, c'est-à-dire au moment où ils entrent en collision avec le monde classique, leur état se détermine de façon aléatoire.
Sur l'interprétation de cette détermination de l'état de façon aléatoire, il y a eu deux positions :
- Albert Einstein : je reconnais l'efficacité de la mécanique quantique, mais il existe des variables cachées qui, si on les connaissait, feraient que la mécanique quantique serait déterministe (« Dieu ne joue pas aux dés »).
- Niels Bohr : la mécanique quantique, par son efficacité, prouve qu'elle est complète et il n'y a rien à rajouter, elle est donc bien de nature indéterministe (« Cessez de dire à Dieu quoi faire ! »).
Bien plus tard, les expériences d'Alain Aspect, basées sur les travaux de Bell, ont mis en évidence la chose suivante : on ne peut pas amender la mécanique quantique avec une théorie des variables cachées, sans que cette théorie des variables cachées soit contredite elle-même par la mécanique quantique, et que cette contradiction soit prédite par la mécanique quantique. Autrement dit, si on veut une théorie du quantique déterministe il faut trouver autre chose que la mécanique quantique (cf. De la dualité onde-particule à l'intrication : les deux révolutions quantiques). La mécanique quantique semblerait bien de nature indéterministe. Un électron, au moment de sa mesure, "choisit" un état de façon aléatoire, c'est-à-dire sans être lié à une cause. Attention, ce n'est pas en soi un preuve de l'existence du hasard, mais c'est un principe fort de la mécanique quantique. Donc en l'état, le hasard semble bien exister au niveau quantique. Si le hasard existe, nous sommes bien dans un univers indéterministe.
Mais est-ce que le hasard au niveau quantique n'est pas écrasé par le déterminisme du monde classique ? On ne voit pas de chat de Shrödinger, clignotant dans des états superposés, nous ne sommes pas dans des réalités floues, où les quanta attendent une mesure pour décider de leurs états. On peut imaginer l'expérience suivante : j'ai un émetteur d'électron et un appareil de mesure qui détermine s'il a un
spin up ou un
spin down (donc une chance sur deux de faire la mesure d'un des deux spins et cela de façon parfaitement aléatoire). J'ai un paquet d'olives et de cacahuètes sur la table. A chaque mesure
spin up, je mange une olive et en cas de mesure
spin down je mange une cacahuète. Mes actions de manger sont alors parfaitement indéterminées. Mieux ! je peux faire le contraire de ce qui était prévu par la mesure et ainsi prouver mon libre arbitre. Du moins c'est ce que vous pouvez raisonnablement penser tant qu'on n'aura pas trouvé mieux que la mécanique quantique.
VI) ConclusionsAucune des positions n'est prouvable. On est bien là dans des considérations philosophiques. A titre personnel, j'ai toutes les raisons de croire que l'on est dans un monde indéterministe et que l'on est doté de libre arbitre, je ne saurais pas le prouver mais je le pense :
- parce que ça explique pourquoi je me pose la question le matin, lorsque j'ai à choisir entre une banane ou une pomme.
- parce que les conclusions de la mécanique quantique sont troublantes, à défaut d'être une preuve, c'est tout de même un indice fort.
- que « J'ai remarqué que même les gens qui affirment que tout est prédestiné et que nous ne pouvons rien y changer regardent avant de traverser la rue. » (S. Hawking)
- je pense tout de même que le libre arbitre ne nous donne pas une totale liberté dans nos actions : le poids de la culture, de la morale, des nécessités ne compte pas pour rien
- que bien que nous soyons dans un monde indéterministe, ce n'est pas synonyme de n'importe quoi. Tout ne peut pas arriver. Mais plutôt que d'être dans un monde de certitudes nous sommes dans un monde de vraisemblance.
Dernière édition par Euterpe le Lun 7 Aoû 2017 - 17:54, édité 4 fois (Raison : orthographe, correction des erreurs (citation initialement attribuée à Spinoza au lieu de Poincaré ; serf arbitre attribué à Max Planck au lieu de Luther), intégration des sources)