jdoo a écrit: Non, je n'ai pas compris le sens de l'expression : "question exclue de la philosophie" ; vous apportez des précisions, qui sont déjà nuancées par rapport à vos premiers propos.
Elles ne nuancent rien, elles explicitent ou donnent des pistes de réflexion.
jdoo a écrit: Mais franchement comment ne pas être surpris par l'affirmation "exclus de la philosophie", c'est vraiment à s'étouffer.
Comment ne pas imaginer que ce terme n'a pas été utilisé avec un brin de provocation ?
La réponse est dans votre remarque : vous avez « imaginé ». Et tenir pour vrai ce qu'on imagine, en l'occurrence, c'est alléguer, se livrer au procès d'intention. N'en parlons plus, et revenons au sujet de ce topic.
jdoo a écrit: mais pourquoi n'aurais-je pas le droit de reprendre la question à mon compte dans un sujet, si je pense qu'elle éclaire un point de mon argumentation ?
Nul ne vous a interdit de la reprendre à votre compte. Vous avez intégré cette question à votre synthèse initiale. Je vous faisais simplement remarquer que qualifier de contorsion intellectuelle la tentative de faire cohabiter le dieu du christianisme (compte tenu, bien sûr, des attributs qu'on lui postule) et le libre arbitre, c'est évacuer la question de manière dommageable, pour ne pas dire lapidaire. Au total, si on en trouve bien la mention dans votre synthèse, vous ne mentionnez pas cette question pour la prendre à votre compte, mais pour l'invalider — non que vous le disiez explicitement, mais cela se déduit, tout simplement de ce qui ressemble quand même beaucoup à un euphémisme — : « Cette position nécessite de faire de véritables acrobaties philosophiques et mentales, et suppose un discours en général assez difficile à suivre » (c'est du reste
la seule, parmi toutes les autres questions ou positions que vous exposez, à laquelle vous accordez un commentaire de ce type).
jdoo a écrit: Je me souviens d'une intervention de monseigneur Lustiger sur Radio Notre Dame, sur le libre arbitre et l'omnipotence divine, c'était effectivement de l'ordre de l'acrobatie mentale, et ce n'était pas une réflexion d'un autre âge, c'était en 1990. La question reste épineuse.
Quelques remarques liminaires permettant de retrouver la question.
Cela ne concerne que la conviction intime de chacun. On ne discute pas avec une croyance. Et comprendre cela, c'est satisfaire à la toute première des conditions qui s'imposent à qui veut pouvoir discuter des croyances (laissons Monseigneur Lustiger de côté). Lisez ce qu'on appelle les œuvres fondatrices (Homère, Hésiode, pour m'en tenir à la Grèce archaïque), ou bien Mircea Eliade (définition du mythe, i. e. cosmogonie et théogonie) et Jean Delumeau (mais d'autres conviendraient aussi bien) : où que vous portiez vos regards, dans la préhistoire et l'antiquité, les hommes pensaient vivre au milieu de divinités multiples (cf. l'animisme, le polythéisme). Ils ont cohabité, dans une présence des uns aux autres qui nous échappe en partie (il y faut tout le talent de certains historiens, pour nous rendre sensible ce qui fut, pendant longtemps, une donnée immédiate de la conscience). Si Mircea Eliade et Delumeau vous paraissent trop « savants » ou ennuyeux, lisez Lucien Jerphagnon qui, avec beaucoup d'humour, étudie la question pour la période de l'antiquité romaine (ce qui offre un bon échantillon), dans
Les Dieux ne sont jamais loin ; ou bien, de Benjamin Constant, le premier chapitre de
La religion considérée dans sa source, ses formes et ses développements.
Cette remarque liminaire étant faite, on peut en revenir à un exemple historique, celui de la fin de l'antiquité romaine (IVe et Ve siècles). Je serai très (trop) bref, là encore. Le christianisme est devenu la religion de l'État romain depuis peu (Constantin), et le sentiment de l'effondrement du monde parcourt la totalité de l'empire. En 410, le sac de Rome par Alaric produit l'effet d'une bombe (Rome, qui n'était plus la capitale politique, demeurait le symbole de l'unité de l'empire et de la civilisation, le gage de l'ordre du monde). C'est dans ce contexte qu'il faut étudier la querelle du pélagianisme, dont l'optimisme (les hommes sont libres) constituait un danger pour le manichéisme (dont Augustin est issu), qui prônait quant à lui un détachement du monde matériel (le mal), véritable entrave à l'esprit, et qui pensait les hommes incapables du bien sans le secours de Dieu (la grâce). Le pélagianisme en effet s'adressait essentiellement à l'aristocratie romaine, qui avait encore les moyens d'agir sur la situation politique (anarchie, invasions, etc.), mais les autres catégories sociales étaient plus fatalistes, précisément parce que beaucoup étaient esclaves, ou pauvres tout simplement (au total, des millions), sans pouvoir intervenir dans le cours de l'histoire (Alaric a provoqué une migration immense, un flux ininterrompu de réfugiés qui allaient où ils pouvaient, partout hors d'Italie). Le pélagianisme était tout simplement inaudible, pour eux, qui ne pouvaient pas s'en donner les moyens (en gros, on n'a pas besoin de Dieu pour s'en sortir), et pour qui il fallait absolument que Dieu ait le pouvoir de les sauver du mal. Il ne venait à l'esprit d'aucun (noble ou pas, de s'interroger sur l'existence ou pas de dieu ; mais, selon la définition qu'on en donnait, soit on sombrait dans le désespoir, soit on s'en « débarrassait » — ou on risquait de s'en débarrasser). En somme, selon que vous concevez la cohabitation entre dieu et les hommes d'une manière plutôt que d'une autre, vous pouvez sombrer dans le fatalisme, ou bien compter sur la consolation d'un dieu omnipotent, ou bien ne compter que sur vous-même (attitude aristocratique).
Mais, ce qu'Augustin reprochait à Pélage, on le retrouve, pour partie, dans ce que les jansénistes reprochaient à la noblesse française au XVIIe siècle (cf. Paul Bénichou,
Morales du grand siècle), si on s'intéresse plutôt à cette période. Ou bien encore, et enfin, on peut regarder du côté de Voltaire s'interrogeant sur la théodicée leibnizienne après le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, ou lire
Candide. A chaque fois, les enjeux sont les mêmes, et déterminent l'attitude des hommes face au plus ou moins de liberté dont ils disposent.
jdoo a écrit: Je pense que le ton de ma réponse était correct, je n'ai pas fait preuve de manque de respect. Si c'est le cas veuillez m'en excuser.
Il n'y a rien de grave, l'essentiel est de faire que le fil de discussion soit intéressant par la contribution des uns et des autres, en se rapportant au contenu et à lui seul. Or votre échange avec Azyb est intéressant et de bonne facture.
Cordialement.