Crosswind a écrit:Arcturus a écrit:
"Nous existons" ou "j'existe" est d'abord le dire d'une intuition, c'est-à-dire le résultat d'une perception.
Ce sont les mots "résultat" et "perception" qui heurtent ma raison. Tel que je le comprends, ce dont parle Sartre au travers du mot "existence" est avant toute chose une prise de conscience. En quelque sorte une reconnaissance brutale, une plongée dans l'abîme de l'étrangeté du fait qu'il y a. Cette reconnaissance, au fond, c'est penser l'impensable, c'est l'expérience d'une sorte de magie impossible. J'ai coutume de dire que cet état de reconnaissance rend la métaphysique plus concrète que le plus concret des rocs. On la touche littéralement de soi.
Mais cette reconnaissance ne peut être dite comme "résultat de". Le faire revient à diminuer sa portée par caractérisation prématurée de ce qu'il y a. Entendez que l'on ne peut impunément affirmer qu'énoncer "nous existons" nécessite une certaine configuration au sein même de ce qui se montre dans l'existence (par exemple un corps biologique, des yeux, des oreilles et un cerveau). Je peux comprendre que ma phrase soit nébuleuse, auquel cas n'hésitez pas à me le faire savoir.
La perception est le première source de connaissance. C'est ce moment de passivité dans lequel vous recevez, à partir d'un rapport avec soit l'extérieur soit votre intériorité, une représentation. Cette représentation est le contenu de votre intuition. C'est un donné, qui vous vient du rapport que vous entretenez avec l'extériorité et l'intériorité. Sans la perception vous ne connaissez rien. Bien sûr ce donné est aussitôt conscientisé, pensé, mais il y a bien d'abord une réception, un donné. Il n'existe pas que des représentations d'objets extérieurs, il existe aussi des représentations d'objets intérieurs (les sentiments). Il y a d'abord cette notion d'état, de donné. Ce donné, Sartre tente d'abord de le décrire, tel qu'il le ressent, d'où ses mots assez subjectifs (obscénité notamment). Il dit d'abord comment il ressent, ce qu'il ressent, et il exprime ce ressenti avec ses mots. Vous êtes d'abord obligé d'accepter ce ressenti avant d'en faire l'analyse. Vous passez aussitôt à l'analyse du ressenti sans prendre le temps de fixer ce ressenti en vous, de lui donner corps en vous. C'est un défaut que l'on retrouve souvent dans le quotidien : cette rapidité à analyser sans tenir compte des données du réel. Nous avons coutume de voir cela en politique par exemple; l'individu ne prend pas le temps de récolter les faits, de collationner les faits, de partir faire une enquête, non il interprète aussitôt ce qu'il voit, il interprète à partir de ses présupposés sans même collationner les faits (surtout si ceux-ci contredisent ses certitudes). Il y a d'abord nécessité d'un moment de passivité dans la compréhension d'un texte comme celui de Sartre. Accepter de faire sienne sa représentation, épouser en quelque sorte, dans le sentiment, dans la perception interne, ce qu'il perçoit.