je continue mon étude
Il Aux sources d’une pensée de l’existence.
1) L’existence comme défaillance.
a)Un imbroglio métaphysique et linguistique(E. Gilson : L’être et l’essence- Vrin)
Comment ce qui n’était pas du tout pensé commence progressivement à avoir une certaine opacité, comment cette opacité travaille pour devenir péniblement un concept.
C’est de cela que les philosophies existentielles héritent. On ne peut pas comprendre la célèbre phrase « l’existence précède l’essence » si nous ne revenons pas sur le positionnement de l’existence et de l’essence.
Au début de la réflexion philosophique il n’y a pas de questions sur l’existence. L’existence ne fait pas problème. Il n’y a même pas de mot pour désigner cet être. Or s’il n’y a pas de mot pour désigner cette réalité c’est précisément que l’existence apparait comme une simple modalité de l’être.
Gilson note que le terme d’existence est un terme très tardif. On le voit utilisé, dans le sens que nous lui connaissons aujourd’hui, qu’au XVIIème siècle.
Faisons l’histoire.
Gilson rappelle que l’on peut diviser en trois moments l’histoire de l’existence. Trois moments scandent l’évolution de ce terme.
1°) On part de l’étymologie « existere », status voulant dire se tenir hors de et impliquant un mouvement de sortie de soi. Gilson insiste que pour les latins le sens de existere a un sens absolument concret qui n’est pas du tout celui qu’on lui attribue. Il donne deux citations :
« Les vers sortent du fumier » Lucrèce.
« Je crains de me montrer sévère » Cicéron.
Concrétude de ce vers. Ce qui est intéressant est de remarquer que existere qui est le terme primitif, est une contraction d’une expression beaucoup plus ancienne « ex aliquo sistere » qui signifie
1) être à partir de quelque chose d’autre,
2) avoir sa cause hors de soi,
3) provenir de quelque chose d’autre que soi.
« Exister signifie moins le fait d’être que le rapport que cet être entretient avec son origine » (p.16). Exister signifie « l’acte par lequel un sujet accède à l’être en vertu de son origine » (p.16).
Ceci appelle deux remarques :
- Ce rappel à l’origine que fait apparaitre Gilson, origine nécessairement extérieure à l’être dont on parle, et l’être dont on parle tient son être. Nous avons chacun notre propre origine que nous tenons de nos propres géniteurs. Elle est à l’extérieur de nous.
Ce rapport à l’origine n’a cessé de hanter toute la réflexion sur l’existence. On la trouvera thématisée et aboutie chez Sartre au travers des notions de contingence, mais aussi de facticité. Facticité qui signifie être un fait. L’existence est un fait, elle se laisse constater mais on ne peut jamais la démontrer dira Roquentin. Contingence et facticité sont les deux concepts sartriens qui vont nous ramener à ce problème, à savoir que toute existence, de facto, nous renvoie à sa cause, à son effet, et que la question est contingente.
- On pourra évaluer l’importance de ce rapport à l’origine sur le plan théologique et religieux , pour certains philosophes ce rapport est nécessaire, tout être a son origine hors de lui, interdit que nous disions par exemple que Dieu existe. (Célèbres leçons et fragments de Jules Lagneau ed. PUf coll. Quadrige (cours sur Dieu, Sorbonne 1892.1893).
Pourquoi Dieu n’existe pas, pourquoi va-ton refuser l’existence à Dieu qui semble un paradoxe et un sacrilège? Parce que « l’affirmation de l’existence est toujours l’affirmation de quelque chose qui n’es pas contenu dans une idée » Lagneau. L’existence ne se laisse pas réduire à un concept, ici à une idée.
L’existence cela se constate c’est toujours extérieur à.
Exemple kantien des thalers : il n’y a aucune différence entre 100 thalers réels et 100 thalers fictifs. Bien sûr il y a une différence, mais sous cette boutade, il y a un problème, le problème de la possibilité ou l’impossibilité de prouver l’existence. Kant veut dire qu’il n’y a rien de plus dans les 100 thalers réels que dans la simple idée de la somme de 100 thalers. Le réel n’ajoute rien au possible. Les 100 thalers réels ont simplement l’existence réelle en plus. Si on prend le concept de l’unité monétaire en tant que tel, ou le concept numérique de 100, que l’on soit dans la réalité ou dans un monde virtuel, on trouvera la même chose. Le concept ne variera pas.
En définitive nous dit Lagneau l’existence n’est jamais contenue dans le concept d’une chose. Nous n’avons pas besoin qu’une chose existe dans la réalité pour pouvoir concevoir la chose.
En linguistique, dans le signe il y a deux entités indissolublement liées, le signifiant et le signifié. Or le signifiant c’est ce qui intéresse le son, pas celui produit par la phonation, celui qui a une matérialité, l’image acoustique de quelque chose. Quand nous pensons sans prononcer intérieurement les mots de notre langue, nous en avons une empreinte psychique.
Bien sûr l’idée a une existence, non pas une matérialité. Sans matérialité elle a une réalité et une existence qui lui est propre. La seule pensée fait défiler des mots, autant d’empreintes dans le psychisme. Nous n’avons pas besoin que les choses existent dans la réalité pour qu’elles existent. Le seul fait de pouvoir se les représenter, les penser, d’en construire le concept (100 thalers) confère leur existence.
Tout le problème est de savoir si lorsque je vais dire qu’une chose existe, je lui enlève ou lui rajoute quelque chose.
Dans la logique qui était la nôtre, si nous parlons de ex aliquo d’où proviendrait le sens très fort et premier de existere, exister, nous comprenons pourquoi il est inadéquat de dire que Dieu existe, puisque Dieu existe voudrait dire :
1) Qu’il a son originalité à l’extérieur de lui-même, comme tout être.
2) Qu’il a lui-même la contingence. C’est toujours à l’extérieur du concept de Dieu que je trouverai son existence.
Que doit-on dire? Dieu existant ou pas, nous voyons le danger que cela représente. Nous voyons justement comment l’existence va nous apparaitre comme défaillante, comme toujours relative à l’être, et comme signification de l’être, n’ayant aucune autonomie, ne se pensant pas sans l’être.
D’autre part va-t-on dire Dieu est ? Est-ce mieux ?
Deux réponses possibles.
1) Oui si l’être excède l’existence. La métaphysique le montre.
2) Non si l’être désigne simplement une nécessité logique. Dieu serait alors assimilable à un pur objet mathématique. Il n’aurait d’existence, il n’aurait de réalité que celle du triangle et du cercle.
Nous aboutissons à l’idéalisme le plus total, à la formulation que Dieu n’est que l’idée de Dieu.
Tout ceci constitue l’héritage dont nos penseurs vont s’emparer.
Les différentes significations du terme exister.
Il y a toujours une interaction sur le plan sémantique, le plan de la signification des mots, entre le plan du langage, les idées et les notions philosophiques qui définissent plus particulièrement la métaphysique.
Toute la métaphysique qui tourne autour de la notion d’être est une conséquence d’un phénomène grammatical qui va déraper et permettre de poser une notion qui n’existait pas, qui est celle de l’être. C’est un réservoir où s’accumulent les significations qui vont permettre de comprendre les questions.