kercoz a écrit: Arcturus a écrit: Ainsi dans la vie sociale il y a ce mélange de volonté déterministe et de don, de reconnaissance (volontaire) de liberté aux autres. La liberté alors est forcément vécue comme une infraction à la pure causalité, à votre causalité ! C'est ce qui fait le charme des rapports humains : l'impossibilité de tout prévoir de l'autre, non parce que le principe de causalité est inopérant en soi mais parce que vous décidez de ne pas tout soumettre à la détermination de votre raison.
C'est curieux comme on peut inverser le signifiant entre 2 individus.
Vous attribuez à la "raison" un caractère déterministe que je me permets de contester. C 'est la rigidité comportementale qui pourrait bénéficier de ce qualificatif. La raison , va , au contraire s'attaquer à ces déterminismes.
J' ai aussi du mal avec votre point de du "charme" des rapports humains du fait de leur imprévisibilité.
Je vais passer par un exemple rural:
Quand je jardine dans mon potager, je souffre d' une sorte de phobie curieuse: la "peur du voisin". Non pas que j' ai de mauvais rapports avec eux, mais du fait que je ne sais quel comportement adopter lors d' un passage de voisin.
La première rencontre est assez facile à traiter. L' interaction doit s'effectuer dans une durée correcte correspondante a plusieurs facteurs comme l' historique de nos rapports, l' espacement de la précédente interaction, etc . Le second passage est plus compliqué: il ne faut pas repartir sur des considérations longues , mais dire un mot, un signe de tete , un sourir etc.. Qui doit parler le premier ? pour ne pas me gèner ou inversement, l' évitement est possible ( pas vu pas pris !), tourner le dos au passage s'il n' a pas vu que je l' ai vu etc ..
Toutes ces procédures et interactions étaient autrefois parfaitement règlées et rodées dès le plus jeune age.
Cet ancien manque de liberté comportementale facilitait la vie et autorisait aussi l' interaction importante ( tu veux des plants de salades ?, ta fille va mieux ? ..)
L' individualisme moderne me semble cacher des tas de traumatismes règlés par des molécules là ou ces rigidité ( aliénations culturelles) faisaient très bien l' affaire.
Comme toujours je ramène tout sujet sous le point de vue structuraliste.
Débarrassons-nous un moment de ces mots, causalité, déterminisme, etc . pour en revenir à notre réalité psychologique. La raison c'est une faculté qui conduit les hommes à vouloir tout contrôler. (Quand je dis les hommes j'entends les femmes aussi).
Ce qui vous angoisse c'est de ne pas pouvoir tout contrôler. Vous êtes inquiet des réactions que vous ne contrôlez pas ou que vous ne pouvez pas anticiper.
Mais il y a aussi des personnes qui aiment ce côté incontrôlé parce qu'elles vont devoir inventer, s'adapter à toute vitesse, trouver l'inspiration. Certains aiment les situations absolument incontrôlées au préalable, ce sont souvent des joueurs ceux là. Le vrai joueur ne contrôle pas, ne veut pas contrôler, ou, plus exactement, il ne veut pas anticiper, utiliser les prédictions données par la raison.
Si, un jour, l'univers est absolument compris et prédit, alors vous verrez se lever soudain, un homme , des hommes, dont le but, sera justement de casser toutes les prédictions. Au-delà de la raison l'homme est un créateur. Il est le génie créateur. Qui brise les certitudes, qui brise les sécurités, il est celui qui part un jour explorer les forêts inconnues, il est celui qui partira un jour dans l'espace quitte à y perdre la vie. Ce type d'homme aucune raison jamais ne le corsètera. Pour ces hommes la raison est un instrument mis au service de leur inspiration.
C'est pour cela que j'aime la philosophie des premiers, Empédocle par exemple :
"Les cavales qui m'emportent m'ont mené aussi loin que m'entrainait mon désir, et leur galop m'a conduit sur le chemin illustre de la Déesse qui partout guide le Sage.
Là je fus conduit, là, fut tiré mon char par les coursiers habiles. De jeunes vierges dirigeaient ma route. L'essieu brûlant, dans les moyeux stridait comme un flûte."
(Rapporté par Y. Battistini, Trois présocratiques, collection Idées, page 109)
Aujourd'hui nos philosophes, possédés par la seule raison, vont retraduire ces mots dans un langage rationnel. Et je demande : quand donc un philosophe complet retraduira enfin les discours rationnels en langage inspiré, poétique? Depuis Descartes la philosophie s'est amputée de la dimension poétique en Occident (Nietzsche est à part, bien que tous tentent de le retraduire en langage dit rationnel, ce qui tue immédiatement la dimension poétique de son œuvre).