N'est-il pas plus simple de penser que Heidegger était un grand professeur, tout simplement ? D'autant qu'on a les notes concernant beaucoup de ses cours et que si l'on y regarde, ça me paraît plutôt du bon boulot... Par exemple, dans une des qualités qu'on cite souvent pour parler d'un bon, voire d'un grand prof : la capacité à rendre passionnants pour l'auditeur des sujets apparemment ardus. Rendre captivante l'analyse d'Angelus Silesius ou de Boehme, de Duns Scot ou la métaphysique de Schelling, il faut quand même le faire.
Bien d'accord avec vous en revanche, Euterpe, sur la réception de Heidegger en France (on lira à ce propos avec grand profit le livre, très complet et passionnant de Janicaud, Heidegger en France) étonne le monde entier.
Les Allemands d'abord - qui se font autant d'illusions sur nous que nous sur eux, et nous prennent souvent pour des cartésiens, des esprits clairs et distincts, d'une part, et en même temps des jouisseurs. Je ne m'arrête pas sur la jouissance - qui ne semble pas le message fondamental de la pensée heideggerienne - mais sur la clarté, ils rechignent. Certains philosophes allemands osent l'hypothèse que cela doit être un phénomène d'attraction des contraires, bien connu en physique. De plus railleurs, sur cette même ligne, s'amusent un peu de nous sur le mode : "ah, ces Français, fascinés par la métaphysique allemande, et qui confondent le confus avec le profond". Enfin, bref, pour beaucoup d'Allemands, Heidegger est surtout un philosophe obscur et pas très important. C'est un phénoménologue, il est connu, etc., mais pas très important. Et bien évidemment, je ne parlerai pas de ce qu'ils en pensent sur le plan politique...
Même surprise chez les Américains lorsqu'ils se sont entichés de la philosophie française dans les années 70, la French Theory et tout cela : ils ont découvert que certes Lacan, Foucault, Derrida et tout ça, c'est génial, mais que si vous voulez les comprendre, il faudra passer par la case Heidegger, case qu'ils avaient complètement ratée, et ceci à peu près pour les mêmes raisons.
Pourquoi chercher à comprendre un type qui, lorsqu'il ne dit pas des choses incompréhensibles, fait des éloges à Hitler ? Qui nous place devant l'alternative de : soit je ne comprends rien, ou alors, quand je comprends, c'est un appel à adhérer au national-socialisme ?