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Le déterminisme exclut-il toute novation/création ?

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2 participants

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jem a écrit:
Je ne crois pas que les hommes soient capables de création pure. Novateurs, oui, mais créateurs, j'en doute.


Sans parler de création ex nihilo, il y a quelque chose qui ne s'intègre pas complètement au déterminisme, quelque chose face à quoi une approche déterministe n'est pas épistémologiquement pertinente. On peut se référer à Castoriadis. Voici un petit passage (pas complètement satisfaisant, mais je n'ai pas le temps de vous chercher les références précises dans l'œuvre elle-même) de Wikipedia :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Cornelius_Castoriadis a écrit:
Chaos et Cosmos, création et déterminisme

S'inspirant de penseurs de l'antiquité grecque (Hésiode, Anaximandre), Castoriadis conçoit le monde (l'Être, la totalité de ce qui est) non pas uniquement comme un Cosmos – soit tel un monde entièrement ordonné, "déterminé de part en part" – mais soutient au contraire l'idée selon laquelle il existe une dimension chaotique de l'Être, inéliminable, qui nous empêche de parvenir à le saisir tel un ordre logicisable ou mathématisable. Ce Chaos, qu'il désigne la plupart du temps par l'expression "Chaos/Abîme/Sans-Fond", n'est pas conçu comme une dimension distincte du cosmos, mais tel "l'Envers" de toute chose, "l'Envers de tout Endroit", et correspond "littéralement à la temporalité", qu'il faut ici comprendre comme rapportée à l'altération et à la "création/destruction" des êtres (de manière analogue, quoique non assimilable, à la durée de Bergson). Ainsi, il définit ce Chaos/Abîme/Sans-Fond comme" ce qui est derrière ou en dessous de tout existant concret, et c’est en même temps la puissance créatrice – vis formandi dirait-on en latin – qui fait surgir des formes, des êtres organisés."

S'il y a donc pour Castoriadis une dimension chaotique de l'Être, c'est en tant que celui-ci n'est pas achevé, mais participe d'une dynamique dans et par laquelle il y a création (et destruction). En liant ces deux notions, Castoriadis confère à l'idée de création un sens radical : est création ce qui est radicalement nouveau, c'est-à-dire qui n'est pas mécaniquement dérivable de ce dont elle procède, qui n'est pas exhaustivement déterminé par ce qui la précède. Par là, le concept castoriadien de création marque son opposition franche envers les théories déterministes ou mécanistes.

Pour autant, ni la notion de chaos ni celle de création, telles que Castoriadis les définit, n'impliquent qu'il n'existerait aucune détermination, aucun déterminisme ni aucune "loi" dans l'ordonnancement du monde. "La création, explique Castoriadis, veut dire précisément la position de nouvelles déterminations - l'émergence de nouvelles formes et donc ipso facto l'émergence de nouvelles lois". Ou encore : « La non-détermination de ce qui est n’est pas simple « indétermination » au sens privatif et finalement trivial. Elle est création, à savoir émergence de déterminations autres, de nouvelles lois, de nouveaux domaines de légalité…", précisant qu'"aucun état de l’être n’est tel qu’il rende impossible l’émergence d’autres déterminations que celles déjà existantes. »


Dernière édition par Euterpe le Ven 22 Juil 2022 - 1:58, édité 2 fois

descriptionLe déterminisme exclut-il toute novation/création ? EmptyRe: Le déterminisme exclut-il toute novation/création ?

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Je pense que même la composition artistique n'est pas réellement de la création, sinon comment pourrions-nous analyser une œuvre, puisqu'elle est création ?

Eh bien soit, je ne pense pas être déterministe. Je n'en rejette pas pour autant l'idée qu'à chaque cause sa conséquence, et qu'une conséquence implique une cause. Cela ne veut pas dire pour autant que je pense que le monde est unique. Mais cela empêche-t-il le monde d'être ordonné ? En effet je pense que toute chose a son contraire (la matière a l'antimatière, etc.). Mais l'existence d'un « chaos », comme contraire du cosmos, enlève-t-il la causalité de ce chaos ? Je ne pense pas, le chaos n'existe que parce que le cosmos existe, en reprenant la pensée de Castoriadis disant qu'il existe une dimension chaotique de l'être, le chaos de l'être n'existe que parce que l'être existe. Mais nous avons alors un conflit cause-conséquence : en effet le chaos existe-t-il parce que l'être existe ? Ou inversement ?

Bien, si je lis le passage que vous m'avez donné ici, cela n'enlève pas la causalité des choses mais remet en cause le déterminisme unitaire. En effet cela implique juste qu'il y aurait différents déterminismes, autrement dit différentes lois dans l'ordonnance du monde. Mais la causalité de ce chaos comme contraire du cosmos implique que le chaos fut créé en même temps que le cosmos. En effet les opposés ont tous la même origine et des essences semblables en vue de leurs oppositions. On a alors une divergence de conception, soit le chaos est l'endroit qui a créé le cosmos et donc le cosmos est contenu dans le chaos, soit le chaos et le cosmos sont des mondes opposés et donc ils sont tous les deux contenus dans quelque chose.

Ainsi si l'on prend la première hypothèse et si l'on prend l'image de Lévi-Strauss qui voit l'évolution humaine comme une arche qui se détériore, alors la dimension chaotique qui existe en chaque être humain n'est que le résultat de son inexorable détérioration. C'est-à-dire qu'il revient inexorablement à son état initial, c'est-à-dire qu'il rejoint le chaos qui l'a créé. Ainsi on peut voir différemment la pensée de Castoriadis qui, contrairement à ce que j'écris, dit que le chaos qui est en l'être humain montre que l'être humain n'est pas achevé. Mais là encore, on en revient à un conflit cause-conséquence. Mais cela n'enlève en rien mon affirmation « à chaque cause ses conséquences et à chaque conséquence ses causes », cela dit seulementque les deux mondes sont régis par des règles différentes. Et par conséquent la création pure n'en est pas moins difficilement déterminable. Et cela implique que rien n'est radicalement nouveau. La part de l'être, dite chaotique, ne fait rien de radicalement nouveau, puisqu'elle est déterminée par des règles, or les règles sont régies pas des effets cause-conséquence.
Je me renseignerai sur les références données.

descriptionLe déterminisme exclut-il toute novation/création ? EmptyRe: Le déterminisme exclut-il toute novation/création ?

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jem a écrit:
Je pense que même la composition artistique n'est pas réellement de la création, sinon comment pourrions-nous analyser une œuvre puisqu'elle est création ?

Comment croyez-vous que font les critiques d'art ou les historiens ? On étudie les œuvres d'abord à partir d'elles-mêmes : elles fournissent leurs propres critères d'appréciation. Sans cela, impossible de détecter des Léonard, des Rembrandt, etc. Vous ne pourrez jamais confondre Pérugin et Raphaël, pourtant celui-ci fut l'élève de celui-là, et cela se voit. Même les interprétations d'un Taine ne sont pas réductibles à une approche déterministe du type cause-conséquence ; chez lui, le milieu est déterminant car il exerce une influence sur les artistes, mais c'est à condition de choisir des critères pertinents au regard de la méthode choisie. Aucune œuvre n'est réductible à ses causes réelles ou supposées. Si je dis qu'un artiste crée son œuvre parce que (cause) il a acheté des pinceaux et des tubes de peinture, vous admettrez qu'on n'aura encore rien dit ; et pourtant, le fait d'avoir acheté ses ustensiles constitue bien une cause objective.

Le couple cause-conséquence, en ce domaine comme en d'autres, n'est pas un petit jouet qu'on pourrait manipuler comme un enfant joue avec des cubes. Un seul et même événement vécu par des milliers de personnes est cause d'autant de conséquences. Pourquoi ? Parce que la cause n'a pas la nécessité que vous semblez croire qu'elle a. Si tel était le cas, une cause ne produirait jamais que la ou les mêmes conséquences. Sauf que les hommes ne sont pas des mécanismes, mais des êtres qui pensent et qui agissent, et qui, ce faisant, provoquent des séries causales interminables dont la conjonction est incessante, et d'une complication telle que pour en apercevoir la réalité, il faut isoler des séries afin de les modéliser. Or isoler et modéliser des séries causales pour les besoins de l'épistémologie appliquée à telle ou telle science humaine, cela peut toujours faire l'objet d'une réfutation. Nous n'en sommes jamais qu'à des probabilités.

Les vérités copernico-galiléennes que vous jugez telles aujourd'hui sans les avoir vérifiées vous-même, semblaient folles aux hommes du XVIIe siècle, qui tenaient le système ptolémaïque pour vrai ; or il suffit de regarder le ciel pour être ptolémaïque ou y être réceptif.

jem a écrit:
Mais l'existence d'un « chaos », comme contraire du cosmos, enlève-t-il la causalité de ce chaos ?

Sauf que le chaos n'est pas le contraire du cosmos. Le contraire de l'ordre, c'est le désordre. Le chaos, c'est autre chose, et notamment ce qui exclut les contraires, puisqu'il est antérieur au principe de non-contradiction et au principe d'identité. Il n'y a pas de causalité dans le chaos. Cf. le magma, encore chez Castoriadis.

jem a écrit:
le chaos n'existe que parce que le cosmos existe, en reprenant la pensée de Castoriadis disant qu'il existe une dimension chaotique de l'être, le chaos de l'être n'existe que parce que l'être existe. Mais nous avons alors un conflit cause-conséquence, en effet le chaos existe-t-il parce que l'être existe ? Ou inversement ?

La dialectique vous sera d'un grand secours.

jem a écrit:
si je lis le passage que vous m'avez donné ici, cela n'enlève pas la causalité des choses mais remet en cause le déterminisme unitaire. En effet cela implique juste qu'il y aurait différents déterminismes, autrement dit différentes lois dans l'ordonnance du monde.

Vous manquez le plus important. Se défaire des impasses d'un déterminisme unitaire et linéaire, c'est s'en défaire rigoureusement, et non réaffirmer des déterminismes eux-mêmes linéaires, autrement dit parallèles et autonomes les uns par rapport aux autres. C'est en soi que le déterminisme unitaire et linaire pose problème. Castoriadis rappelle qu'il y a plusieurs déterminismes, plusieurs séries causales, qui se croisent, s'enchevêtrent, se séparent, ne se rencontrent jamais, etc. Tout est possible, et même, il ne suffit pas qu'une chose soit possible, encore faut-il qu'elle soit compossible avec d'autres (cf. Leibniz), i. e. compatible.

Ce qui fait plus qu'égratigner la pensée magique du couple cause-conséquence que l'on scande plus souvent qu'à son tour pour crier la vérité du déterminisme, notion qu'on utilise à tort et à travers, au point de négliger trop souvent hasard, imprévisible, etc., autant de choses qui, si elles n'excluent évidemment pas la causalité, montrent que le couple cause-conséquence n'est pas une parole oraculaire, d'autant moins qu'il a l'inconvénient majeur de rouler sur lui-même, en avançant comme en reculant, de manière indéfinie. Bref, ce couple est un couple aporétique et pas aussi fertile que la paresse intellectuelle voudrait le croire. Un exemple psychologique, qui vous intéresse probablement ou qui vous passionnera bientôt : la schizophrénie. C'est le point d'achoppement de la psychologie, du point de vue de la causalité.

jem a écrit:
La part de l'être, dite chaotique, ne fait rien de radicalement nouveau, puisqu'elle est déterminée par des règles, or les règles sont régies pas des effets cause-conséquence.

Vous voulez bien nous décrire un chaos régi par des règles ?

Dernière édition par Euterpe le Sam 13 Aoû 2016 - 9:48, édité 1 fois

descriptionLe déterminisme exclut-il toute novation/création ? EmptyRe: Le déterminisme exclut-il toute novation/création ?

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Je suis d'accord avec vous et si j'ai laissé penser que je pouvais voir le monde de façon linéaire, alors sachez que non. Si j'ai laissé penser cela, ce n'est dû qu'à ma méconnaissance des termes. Et donc je réaffirme que je ne vois pas de façon déterministe. Et je n'abandonne toujours pas le couple causeS-conséquenceS. Je vois le monde comme un réseau trophique. Tout est, selon moi, lié et tout a une incidence sur tout. Ne dit-on pas que les battements d'ailes d'un papillon provoquent des ouragans ?

Isoler les séries causales ne permet de déterminer que les causes principales, mais le reste peut être important. Mais là encore ce ne sont que des probabilités, j'en conviens. Pour déterminer l'évolution d'une personne je ne compte pas que l'éducation, il faut aussi voir l'environnement social dans lequel elle a évolué, mais aussi ses fréquentations et tout un tas de données. Il faut tout prendre en compte mais je pense que l'on peut quand même déterminer, à un certain pourcentage bien sûr, les causes de l'évolution d'une personne.

En ce qui concerne ce que j'appelle les preuves, je parle soit de faits irréfutés, soit de déductions solides et qui peuvent être observées et vérifiées.

Quant au chaos, j'avais mal saisi le sens du mot. Pour ce qui est de l'ordre, je pense qu'il est subjectif et que par conséquent il pourrait y avoir un ordre là où nous n'en verrions pas. Quant au chaos régi par des règles, il est vrai que je ne possède pas de réponse à cela.

descriptionLe déterminisme exclut-il toute novation/création ? EmptyRe: Le déterminisme exclut-il toute novation/création ?

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jem a écrit:
Je pense que pour faire une analyse il faut avoir des éléments de comparaison

En effet. D'une certaine manière, on pourrait même dire que sans la comparaison, il ne nous reste plus grand chose pour nous saisir du réel.

jem a écrit:
Je vois le monde comme un réseau trophique. Tout est, selon moi, lié et tout a une incidence sur tout. Ne dit-on pas que les battements d'ailes d'un papillon provoquent des ouragans ?

Voyez dès lors comme dans l'écheveau du monde il devient difficile de démêler les fils qui mènent d'une cause à ses effets ; la complexion de ce qui est ne se retrouve jamais dans un laboratoire.

jem a écrit:
Il faut tout prendre en compte mais je pense que l'on peut quand même déterminer, à un certain pourcentage bien sûr, les causes de l'évolution d'une personne.

D'où l'exemple de la schizophrénie. Un défi pour les fils du monde ensembliste-identitaire. Défi qui n'est pas encore relevé. On ne sait pas ce qui fait qu'une personne bascule dans la schizophrénie. On a des indices, des facteurs, etc., mais rien qui permette d'établir une ou des causes. Voici un extrait tiré de l'article de Wikipedia (pardonnez ma paresse) consacré à la schizophrénie :
Son diagnostic se fonde uniquement sur les déclarations du patient, leur écoute et leur analyse, il n'existe aucun test de détection en laboratoire. Un examen psychologique permet aussi de poser un diagnostic de structure. Les études indiquent que des facteurs génétiques, environnementaux, neurobiologiques, psychologiques et sociaux jouent un rôle dans l'apparition de la maladie (des drogues et médicaments peuvent également causer l'apparition ou l'aggravation de symptômes), sans qu'une cause organique puisse être isolée.


jem a écrit:
En ce qui concerne ce que j'appelle les preuves, je parle soit de faits irréfutés, soit de déductions solides et qui peuvent être observées et vérifiées.

Mais qu'est-ce qu'un fait ? Et qu'est-ce qui le distingue du reste, autrement dit de ce qui ne serait pas un fait ? Selon quels critères ? Est-il purement descriptif ? Qu'est-ce qui permet de l'affirmer ? Le descriptif est-il le seul gage de l'objectivité ? Mais qu'est-ce qu'un fait objectif ? On voit bien qu'interroger le fait implique d'interroger l'interprétation : sommes-nous absolument capables de décrire quelque chose sans qu'aucune interprétation n'interfère avec la description qu'on en fait ? Où s'arrête la description ? Où commence l'interprétation ? La description pure existe-t-elle ?

jem a écrit:
Pour ce qui est de l'ordre, je pense qu'il est subjectif et que par conséquent il pourrait y avoir un ordre là où nous n'en verrions pas.

Le cosmos (qui a donné cosmétique) et le monde (terme qui s'applique aussi au jardinage et aux travaux agricoles — les Romains étaient des agriculteurs) n'existent que pour les hommes en effet. C'est le réel, après seulement qu'on l'a ravaudé et ravalé sa façade.

Dernière édition par Euterpe le Sam 13 Aoû 2016 - 10:00, édité 1 fois
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