Bonjour,
Le sujet que vous proposez est intéressant, cependant il me semble qu'il est équivoque : il est en effet possible d'entendre plusieurs choses par « déterminisme absolu », la plus radicale étant une réalité où tout serait nécessaire et prédéterminé, où nous ne serions que des automates soumis à un destin.
Parmi les autres formes de déterminismes extrêmes, le système spinoziste est particulièrement intéressant et pourrait vous apporter des éléments de réflexions. En effet dans un tel système tout est nécessaire, c'est-à-dire le produit d'un enchaînement causal inflexible. Ce tout, Spinoza le nomme Deus sive natura ― Dieu ou la nature (« ou » au sens de « c'est-à-dire », comme le précise justement R. Misrahi dans sa traduction de L'Éthique qui est la meilleure à mon sens) — nécessairement infini et à la fois tout ce qui est, et qui produit ce qui est ; Spinoza parlerait de « nature naturante » et de « nature naturée » qui sont la même chose, puisqu'il s'agit d'une ontologie de l'Un, vue sous deux perspectives différentes, pourrait-on dire.
Dans ce système, là très vulgairement esquissé, la raison est ce qui permet à l'homme d'avoir des « idées adéquates », c'est-à-dire de connaître la nature, Dieu, l'univers ou comme on voudra l'appeler. Or la raison est en concurrence avec l'imagination et, plus généralement, tout type d'affect.
Dès lors, et j'espère apporter ici un élément de réponse, oui l'irrationalité est compatible avec le déterminisme attendu que l'homme n'est pas seulement raison.
Il faut cependant avouer que la réponse n'est pas satisfaisante : il y manque au moins une définition de la raison. En effet, j'ai naïvement répondu en considérant la raison comme une instance indépendante, autonome et auto-productrice de raisonnement — ce qui n'est pas une tautologie. J'avoue cependant ne pas être particulièrement compétent en la matière ; je propose ainsi de relancer la discussion à partir du statut de la raison car la question fondamentale est : comment penser la raison, particulièrement dans son rapport à ce que l'on appelle plus généralement l'intelligence et l'intelligible ? Y a-t-il autonomie de la raison vis-à-vis de tout ce qui, chez l'homme, permet la création de connaissances (sens, imagination, etc.) ? La raison est-elle vraiment séparée des objets qu'elle croit traiter ?
Le statut de la raison est donc complexe mais fertile ; si elle est partie prenante, constituée — et donc constitutive — de la réalité qu'elle analyse, elle sera certainement prise dans un schéma de type « déterminisme absolu ». La raison purement autonome, véritablement neutre pourra cependant — même dans un schéma déterministe donc — constituer au mieux l'instance de la liberté humaine, au pire l'instrument d'un contre-déterminisme — car comme le dit l'adage, « la logique est implacable » — concurrent : en ce sens alors le paradoxe serait un hiatus révélant cette concurrence des déterminismes, le moteur de la logique d'une part et le principe de l'absurdité du réel d'autre part.
Là la liberté humaine serait réduite à une sensation intellectuelle, si l'on peut dire, acquise lorsque est formulé un énoncé grammaticalement correct, sémantiquement vraisemblable et conforme aux lois régissant le réel a priori, mais inacceptable par la raison. Il s'agirait alors d'exalter cette sensation pour véritablement se sentir libre, c'est-à-dire être par delà tout déterminisme. Le paradoxe serait la liberté acquise par une sorte de mise en sur-régime de l'enchaînement nécessaire des idées logiques confrontées à l'expérience du réel par ailleurs : là serait la source et l'aboutissement de l'irrationalité de notre rapport au monde et aux idées ; c'est l'irrationalité du rationnel érigée en symbole de la liberté.
Je ne sais pas ce que vaut cette maquette d'essai, mais enfin son but premier est de permettre de poursuivre la conversation. Ainsi si peu de choses ont été dites, et assez mal, il faut espérer qu'il y a là matière à contredire, préciser ou même transformer, bref à discuter !