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Les philosophies existentielles

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Il m’a semblé judicieux de séparer tout le travail fait aux sources d’une pensée de l’existence des philosophies existentielles qui seront traitées et dont voici le plan.  
 
L’existence comme posture : Kierkegaard
L’existence comme possible : Jaspers
L’existence comme corporéité : Gabriel Marcel
L’existence comme facticité et liberté : Sartre
L’existence comme révolte et jouissance : Camus
 

I. Kierkegaard ou l’existence comme posture


L'existence de par son étymologie est un terme qui implique l'idée d'extériorité et particulièrement d'extériorité à soi : ex-sistere.

Mais cette idée d'extériorité à soi implique à son tour l'idée d'un rapport à soi, exister c'est nécessairement rentrer en rapport avec soi-même. Non pas être, être n'est pas possible donc forcément ce que nous sommes, où ce que nous serons, sera la résultante de ce rapport à soi. Nous sommes nécessairement en rapport avec nous-mêmes, devons soutenir ce rapport à soi. Cette relation n'est pas d'ordre logique, elle implique au contraire deux plans. D'abord une dimension ontologique et métaphysique mais aussi une dimension éthique.

Concernant cette dimension éthique, ce rapport à soi il nous appartient de l'édifier, de le construire. Il nous appartient de le choisir. Ceci revient à dire il nous appartient de nous choisir c'est-à-dire de nous faire exister en nous donnant telle ou telle forme. S'indique déjà l'un des grands thèmes de la philosophie sartrienne.
Cette idée que nous devons nous choisir, choisir le rapport que nous devons entretenir avec nous-mêmes, donc nous choisir, donc nous faire exister sous telle forme ou au contraire sous telle autre forme, montre effectivement quelle est la différence énorme, le fossé qui sépare ces deux termes que le langage courant confond souvent, c'est-à-dire vie et existence.

Si la vie renvoie à une idée de processus physico-chimiques, que nous partageons avec l'ensemble du vivant, qui nous achemine vers la mort, si du point de vue de la vie la mort est un phénomène parfaitement naturel représentant le terme, la fin naturelle de toute vie particulière, l'on peut dire qu'en revanche elle figure le commencement de notre existence. Non pas d'un point de vue religieux, ce n'est pas l'idée religieuse qui est qu'il nous faut mourir dans notre vie, d'être incarné pour accéder à la vraie vie.
 
D'un point de vue strictement philosophique c'est l'idée que parce que nous développons une très haute conscience de notre caractère d'être mortel, que nous avons conscience qu'il faudra mourir un jour, que ce terme, rétroactivement, nous contraint à faire des projets. C'est bien la mort qui constitue la condition de possibilité de l'idée même de projet.
Si nous faisons des projets, si nous pouvons nous décrire nous-mêmes comme un ensemble de projets, ces projets ne sont possibles, et sur le plan de la pensée, sur le plan logique compréhensibles, que référés à la mort. Une vie immortelle, une vie qui n'aurait pas de fin n'aurait pas la moindre nécessité de construire le moindre projet. Nous nous laisserions vivre et de ce point de vue nous raterions notre existence.


Autant la mort est le terme naturel de la vie pour chaque être vivant, autant elle va être considérée pour l'ensemble des philosophies existentielles comme le point de départ de l'existence, puisque c'est cette connaissance de ma propre mort inéluctable qui va m'amener à me projeter dans l'avenir que je sais limité, et à délimiter d'une façon libre, la plus libre possible, des séquences de ce temps, et cette délimitation est ce que l'on appelle le projet.

La vie est essentiellement vie de l’espèce par rapport à quoi la vie individuelle, la vie de tel être vivant ou de tel autre apparaît comme transitoire. L'individu est le moyen par lequel l'espèce se maintient en vie. Dure loi biologique. L'individu est la ruse de l'espèce. 
L'espèce qui est en droit immortelle, mais qui périt lors de cataclysmes et de mutations, ce que l'on appelle des accidents, est  sur un plan purement génétique  programmée pour durer indéfiniment.
 
Comment une espèce peut-elle se maintenir en vie ? 

En se servant de l'individu qui est mortel mais sexué, d'où la relation puissante entre mort et sexualité, qui le contraint par là à se reproduire c'est-à-dire à renouveler la vie de l'espèce. Les choses se passent ainsi du point de vue de la vie.

L'existence au contraire est strictement individuelle.
La vie est faiblement individuée, elle passe par la fabrication permanente d'individus, mais l'individu n'est pas le terme de la vie.
L'existence est nécessairement individuelle. Nul ne peut exister à ma place et chacun a le droit de se concevoir comme une entité unique, singulière. Mais cette singularité que nous revendiquons n'est pas sans ambivalence.
Bien sûr cela va nous acheminer vers une très grande recherche d'autonomie, donc de liberté possible, nous livrer dans une très grande vulnérabilité car nu et seul devant la mort.
 
On ne comprend rien à la problématique moderne de l'existence si on ne la relie pas à la mort, à ce que l'on pourrait appeler plus exactement la conscience de la mort.
 
Cette vulnérabilité extrême de ce que l'on peut appeler l'existant se vit dans l'angoisse, thème commun à tous les existentialistes, dans la déréliction, thème essentiellement camusien.
Le terme de déréliction signifie sentiment que l'existence est absurde. Non pas mon existence propre parce que j'ai raté ma vie, mais l'idée que l'existence en tant que telle, l'existence humaine, puisqu'il n'y a d'existence que pour l'homme, est fondamentalement dépourvue de sens. 
 
C'est tout le thème de l'absurde chez Camus où il va me montrer que si l'on ne s'est pas confronté à la déréliction, non pas d'une façon permanente mais sous forme d'expérience existentielle, on ne peut pas véritablement se construire. On se construira mais d'une façon artificielle, fausse.
Ce terme de déréliction a une très forte connotation existentielle mais davantage lié aux réflexions et à la méditation de Camus.
 
On comprend que l'expérience de l'angoisse ou de la déréliction sont des expériences humaines, fondamentales, nécessaires. Sans elles nous ne parviendrions pas à constituer notre humanité.


On ne peut ici que souligner la différence entre le sort humain, le sort dévolu à l'être humain, et le sort de cet autre vivant qu'est animal, puisque l'animal en effet ne se définit que par son espèce.
En lui c'est l'espèce qui parle bien plus que l'individu, d'où l'idée que comme une espèce évolue peu, il n'y a pratiquement pas de progrès chez  l'animal. Si progrès il y a, il se fait par sélection naturelle mais pas par contribution d'un apport d'individu à individu. « L'espèce ne vieillit jamais » Schopenhauer : Métaphysique de l'amour, métaphysique de la mort.


En effet l'espèce vit dans une certaine forme d'éternité alors que nous sommes découpés dans le temps comme dans l'espace. Telle est la tragédie de toute existence mais peut-être aussi sa chance, voir son salut. C'est ce paradoxe qu’il faut essayer de comprendre en s'aidant de la lecture de Kierkegaard.
 
Cette existence qu'il nous faut donc puisque nous ne pouvons pas nous contenter de vivre, mais qu'il nous faut tenter d'exister, cette existence qu'il nous faut promouvoir, peut-on la décrire sous forme de continuum ou au contraire doit-on admettre que nécessairement pour se construire elle doit en passer par des moments, ce que Kierkegaard appellera des stades ?
Chacun de ces stades  se marquant par une certaine conception de l'existence, une certaine manière de se comporter, en un mot une certaine posture. 

Il faut entendre par posture deux choses qui nous ramènent à une ambivalence, que nous retrouverons dans tous les propos de Kierkegaard. La posture est à la fois quelque chose qui nous protège, c'est une sorte de masque, d'armure que nous revêtons par une gestualité, par une façon de configurer l'espace autour de nous, de nous tenir dans cet espace, avec l'idée que ceci est tout à fait conscient.
La posture est quelque chose qui est travaillé, qui n'est pas hasardeux, et qui tend à autrui une image, une représentation de nous dont il va s'abreuver.
C'est du moins l'espoir de celui qui tient une posture pour ménager un espace intérieur dans lequel éventuellement on peut vivre tout à fait autre chose. La posture a une fonction apotropaïque, c'est-à-dire une fonction de protection, une fonction de protection qui vise à préserver le moi profond qui est bien trop fragile, bien trop vulnérable pour pouvoir se montrer à nu. C'est la première dimension, le premier sens de cette idée de posture.

Mais la posture est également ce qui transcende mon être. La posture c'est quelque chose qui est de l'ordre d'une forme que j'invente, que j'ai choisi, que j'ai construit avec l'idée que je puis en changer donc je ne suis jamais emprisonné définitivement dans une seule posture. Cette possibilité de trouver des postures, d'en changer ramène à une certaine idée de la transcendance parce que cela veut dire que par-là j'essaye de faire bouger ce que je vis et ce que j'expérimente néanmoins comme étant mes limites propres.
 
Par l'ensemble des postures qui seront les miennes, je fais sans arrêt bouger les limites qui doivent exister pour que j'existe moi-même et que je sois une entité réellement existante. Sans limites je me dissous.
 
Il va falloir garder pour Kierkegaard l'idée que la posture accomplit toujours deux choses : à la fois elle va protéger, elle sera forcément du côté de l'artifice, de l'hypocrisie, le cynisme, la séduction, donc fonction apotropaïque très importante, mais de l'autre côté elle montre cette espèce extraordinaire mobilité de notre être qui peut sans arrêt inventer des formes à l'intérieur desquelles une partie de l'huis tient, qui peut jouer avec ces formes, passer d'une forme à l'autre sans que jamais une seule posture à elle toute seule puisse prétendre épuiser ce que nous sommes.
Dans la posture, dans cette configuration de notre être il y a un mouvement de transcendance.
 
C'est une idée très importante que l'on retrouvera chez Sartre même s'il abandonnera l'idée de posture, mais l'idée qui restera, que l'on trouvera stigmatisée au sein de la mauvaise foi, à l'intérieur de cette idée sartrienne de la mauvaise foi, c'est qu'il nous faut toujours improviser pour être. Il y a un lien qui par-delà la posture va nous amener dans une philosophie tout à fait athée.
 
Il y a une telle osmose entre la vie de l'individu Kierkegaard et l'élaboration de sa pensée que l'on est obligé de donner brièvement un certain nombre d'éléments biographiques.

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Kierkegaard : sa vie, son œuvre.

Philosophe danois naît et meurt à Copenhague 1813-1855.
C'est le dernier enfant d'un second lit. Il naît d'un père qui passe pour un vieillard pour l'époque, il a 56 ans. Il a perdu sa première femme dont il a plusieurs enfants, il épouse en catastrophe sa servante dont il attend un enfant. Et quand Kierkegaard naît c'est évidemment l’enfant du péché.
Le père de Kierkegaard sera la figure toute puissant qui va déterminer la vie la pensée l’oeuvre. Son très long journal donne de nombreux renseignements sur sa vie.
Dans l'année 1848 de son journal  le père est décrit comme despote « endurci par les ans dont la vie a été sombre et glacée » c'est un père religieux, chrétien de tradition piétiste.
Le piétisme est un courant qui fait de la religion quelque chose de sinistre, effrayant, castrateur.
ll a écrasé son fils du poids de ses propres tourments, de sa propre culpabilité. Kierkegaard raconte qu'il a passé son enfance avec le sentiment que le père ployait sous le poids de très lourds secrets. Et cette culpabilité ravageuse qui a miné la vie du père s'est exercée sur ses enfants au travers de leur éducation et particulièrement sur ce petit dernier très sensible et qui va réagir dès sa plus tendre enfance à ce côté tourmenté, angoissé.

Kierkegaard est élevé dans l'idée que nous sommes tous pécheurs, qu'aucun acte de la vie n'existe sans qu'aux yeux de Dieu il ne soit un péché. L'imagination de l'enfant est frappée par cela et Kierkegaard insiste sur le fait qu'il a eu l'impression, par cette éducation qu'il juge « insensée », que son père l'a tué avant qu'il n'ait eu la possibilité de commencer à vivre.
Cette jeunesse totalement lugubre, vouée à une méditation morbide sur la notion de péché va laisser au jeune Kierkegaard une angoisse indélébile et particulièrement une angoisse face à toutes formes de sensualité, une méfiance totale du bonheur qui constitueront chez lui, à son tour, un tourment aussi puissant qu'à été le tourment du père et l'a conduit plusieurs fois au seuil du suicide.

Néanmoins quand on regarde les témoignages des compagnons, des étudiants, de sa jeunesse il est décrit comme un jeune homme très brillant, plein de vie, gai, enjoué, spirituel aimant la compagnie et la recherchant. Mais la totalité de l'œuvre, y compris l'œuvre philosophique, démontre combien ceci fut effectivement un masque, une posture, qui cachait, recouvrait ce que Kierkegaard appelle « une monstrueuse mélancolie ». 

Pour survivre donc il n'y a que la duplicité. Plus on s'enfonce dans la culpabilité plus à l'extérieur on essaye de montrer une figure totalement opposée. Cette duplicité Kierkegaard ne l'abandonnera jamais et nous en avons une trace par l'utilisation permanente des pseudonymes qui a aussi une fonction apotropaïque. Pseudonymes qui protègent son identité véritable et qui lui donnent l'impression de pouvoir explorer la diversité des possibles qui s'offrent à lui, la diversité de tous les personnages qui constituent son moi. 

Son seul plaisir était de faire en sorte que personne ne put découvrir sa misère intérieure. Son seul plaisir était sa capacité de dissimuler l'état réel de son moi, la détresse totale et extrême qui l'habitait, «Journal d'un séducteur ».

Cette misère, cette détresse, cette solitude extrême que le jeune homme va dissimuler pendant quelques années 1835-36-37 au travers de mœurs dissolus, voire de débauche a pour origine la religion ou plus exactement une forme exacerbée, morbide de la religiosité.
Mais ce qu'il y a de très exceptionnel c'est qu'il se soignera d'une certaine façon par un retour à la religion, au christianisme. C'est le poison qui tue et le remède qui soigne. Cette religion haïe qui l'empêche de vivre, l'oppresse, sera de l'autre côté sa planche de salut au terme d'un gros travail qui occupera la deuxième partie de sa vie.
Il va repenser intégralement le christianisme, voir s'il est possible d'aimer Dieu en sortant de ces limites mortifères que le père lui avait imposées. Crainte et tremblement.

Cette débauche a été intense puisqu'il a contracté des dettes que le père a dû payer pendant longtemps. Au travers de l'exemple de son père, Kierkegaard va comprendre très tôt que la religion n'apaise pas les tourments profonds de l'âme.
Cette découverte dit-il dans son journal 1847-1848 fut pour lui comme un tremblement de terre.
C'est cette prise de conscience qui va le détourner de la religion telle que la pratique le père et telle que l'institution religieuse tente de l'imposer. Il va se réfugier, posture, dans ce qu'il appelle l'intelligence, seule arme qui pourra lui apporter du réconfort. Ce refuge pendant quelques années dans l'intelligence pure et ses capacités va lui faire découvrir le concept d'ironie. Il va  reprendre à Socrate la notion d'ironie et devenir un dandy cynique. C'est sa période esthétique où il rejette tout.

Il interrompt ses études théologiques, mais il s'aperçoit que toute vie esthétique, posture, est désespoir. L'esthétisme n'est qu'une grimace retenue du désespoir le plus irrémédiable. L'esthète n'a que ses traits et son ironie pour se défendre de son angoisse. Il découvre très vite que la séduction est un leurre qui ne peut que déboucher sur la mort. C'est ce que lui révèle la lecture de Don Juan. Toute séduction est séduction d'elle-même, l'autre n'étant qu'un objet transitionnel, un moyen jamais une fin en soi. 

Pour Kierkegaard la femme existe toujours pour autre chose, elle n'a pas sa finalité en soi. Dans la séduction c'est moi que je cherche à perdre, côté du séducteur, quand je séduis l'autre. A peine l'autre est-il conquis, à ma merci, à ma portée qu'irrésistiblement je m'en éloigne et je n'ai qu'une envie c'est d'abandonner l'objet devenu ainsi objet inutile, objet encombrant.
Conduite donjuanesque qui est évidemment, parce que le mythe est moral, sanctionnée par la mort.

Toute séduction est mortelle. La séduction est la scénographie de notre désir et que, comme le dit Hegel, « tout désir poursuit sa propre mort ». Tout désir tant à être d'abord, mais ce n'est qu'une illusion, désir de quelque chose. A peine ai-je la chose que mon désir est supprimé par le contentement que me procure la chose, ce qui permet à Hegel de dire que, si on pense un peu d'une façon dialectique, tout désir implicitement poursuit sa propre mort.

C'est très exactement le cas de Don Juan. C'est bien parce que Don Juan est mû par le désir compris profondément dans ce sens là, qu'il accepte la rencontre avec le Commandeur, et va défier la mort et lui donner une ultime illusion que le désir est plus fort que la mort. Kierkegaard parle surtout du mythe du Don Juan de Mozart.

C'est cette expérience d'une autre forme de désespoir, aussi grande que la première, qui va arracher Kierkegaard à cette vie dissolue et le ramener à une vie en apparence plus tranquille. Mais en réalité il est toujours aussi tourmenté intérieurement.
Il reprend ses études de théologie fait une thèse, se rapproche de son vieux père qui meurt en 1838.

C'est une époque très tumultueuse où il rencontre Régine Olsen qu'il va séduire, se fiancer et néanmoins après avoir séduit d'une façon programmatique cette jeune fille va l'abandonner et rompre ses fiançailles. Cela va lui valoir de très grandes et violentes critiques parce que personne ne comprend.
A ce moment il écrit « Le journal du séducteur » et va élaborer les concepts centraux dans son œuvre des stades de l'existence, particulièrement les deux premiers : esthétique et éthique ; commence l'usage des pseudonymes qu'il utilisera jusqu'à la fin de sa vie et, pouvant vivre de ses rentes, se consacre à une tâche d'écriture.

Son travail sur l'angoisse qu'il appelle la maladie mortelle va relâcher l'étau du désespoir et il va être touché par la lumière de la foi. Journal août 1847 « Père céleste ne sois pas avec nos péchés contre nous, mais avec nous contre nos péchés».
Désormais Kierkegaard se sent sauvé de sa morbidité, de sa mélancolie, les idées suicidaires disparaissent. Mais une forme de tristesse profonde l'habitera jusqu'à sa mort.

Durant toute sa vie il revient sur deux événements. Mais il en parle tout le temps en nous dérobant la vérité, ultime duplicité.
- Rupture avec Régine Olsen dont on comprend que c'est une femme qu'il a réellement aimé toute sa vie mais il s'est tenu à une certaine posture.
- Événement religieux : cette révélation de ce que peut-être l'amour de Dieu lorsque l'on sort du carcan de la faute, de la culpabilité, du péché.
Mais en en parlant il referme de plus en plus le mystère sur ces deux événements.
 
Son œuvre : 1841-1849, les œuvres majeures.

-1841 : Concept d'ironie, correspondrait à une thèse universitaire. C'est un préambule à sa philosophie, ouvrage qui s'intéresse à l'ironie socratique. Dans toutes les œuvres de Kierkegaard la figure de Socrate est toujours là.

-1843 : Ou bien ou bien
            Crainte et tremblement : oeuvre considérée comme peut-être la plus profonde. Combat qu'il va mener contre lui-même pour retrouver la religion tout en la débarrassant de ce qu'elle pouvait avoir de mortifère. Analyse importante du sacrifice d’Isaac par Abraham.
            La répétition : réflexion sur le temps et à partir du temps réflexion sur une des conséquences qu'à le temps sur l'existant dans le domaine de la morale c'est-à-dire quelque chose qui intéresse la notion de fidélité. La fidélité à soi, aux autres, n'est jamais qu'une façon dont nous manifestons notre rapport au temps.
Être fidèle à soi, être fidèle à ses engagements, être fidèle aux autres c'est s'inscrire à partir de quelque chose de ponctuel qu'on décide, c'est dérouler une durée, s'inscrire dans cette durée, la soutenir. La fidélité implique une méditation sur le temps.
 
- 1844 : Les miettes philosophiques, ou Riens philosophiques
             Le concept d'angoisse : grande méditation sur le poids du péché et néanmoins la possibilité d'un libre arbitre. Méditation sur le péché et la liberté.
 
- 1845 : Les stades sur le chemin de la vie. Kierkegaard revient sur cette idée de stade.

- 1846 : Post-scriptum aux miettes philosophiques

- 1849 : Traité du désespoir sous-titré La maladie mortelle. Kierkegaard montre qu'il y a plusieurs types de désespoir. Texte considéré comme le texte existentialiste. Dans ce texte Kierkegaard montre parce que l'homme éprouve du désespoir sous différentes modalités, il est déchiré, ne peut jamais coïncider avec lui-même et à partir de là nous avons le matériau qui sera repris par les autres grands existentialistes notamment le thème de la non coïncidence avec soi que l'on représente comme étant sartrien mais ne l'est pas tout à fait.

- 1848-1849 : 80 discours édifiants commencés probablement vers 1845.
A la fin de sa vie la célébrité de Kierkegaard est acquise en tout cas au Danemark, mais elle est assombrie par des polémiques violentes qu'il créé lui-même. Il est agressif, ironique. Il va porter des attaques très sévères sur certains prélats qui lui vaudront des ennuis avec la justice.
Son dernier texte s'intitule « L'école du christianisme » texte polémique où il attaque un  théologien hégélien et un évêque.

- 1855 : fonde le journal « L'instant » mai 1855, organe fondé comme moyen de répondre aux polémiques.
Mais en octobre il s'effondre dans la rue, paralysé, il meurt le 11 novembre 1855 à 42 ans. Mourant il refuse les ultimes sacrements. C'est le dernier acte de quelqu'un qui est revenu à la religiosité la plus sincère, la plus profonde. On peut penser que ce refus des ultimes sacrements est le dernier geste d'un homme qui est de signifier justement qu'il ne reconnaît pas aux hommes, et particulièrement pas à ceux-ci, la possibilité de se substituer à Dieu et de le pardonner de ses péchés. Il n'en répondra que devant Dieu. C'est une des interprétations qui semble la plus crédible.


Quel est le sens de l'existentialisme chez un penseur tel que Kierkegaard ? Qu'est-ce que  Kierkegaard entend refuser avant de dégager de sa propre position ?

Il fait des études de philosophie mais d'une façon plutôt autodidacte. Il fréquente d'une manière capricieuse l'université. Ce que lui apprennent ses maîtres cela ne le marque pas. En revanche c'est un lecteur d'une façon intuitive plutôt qu'universitaire dans le sens classique du terme.

A l'université il découvre que toute la philosophie est occupée par l'hégélianisme. Sur le plan philosophique il faudra comprendre la notion d'existence pour Kierkegaard comme une immense réaction à ce que la philosophie va porter à cette jeunesse, à savoir quelque chose de strictement spéculatif, quelque chose d'abstrait. Il a très vite l'intuition que cela ne sert pas à grand chose et même cela peut conduire à rater sa vie, passer à côté de ce qui doit normalement constituer les seules grandes occupations humaines. 
L'entrée en philosophie de Kierkegaard est commandée, au départ, par une réaction contre l'hégélianisme  régnant dans toute l'Europe.

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Que reproche Kierkegaard à Hegel ?

Tout d'abord il refuse le qualificatif de philosophe. Pourquoi se défend-t-il d'être assimilé à un philosophe ? Et pourquoi refuse-t-il toute empreinte hégélienne ?

Premier motif de son rejet c'est l'utilisation systématique abusive, selon lui, et particulièrement par Hegel de ce qu'il appelle l'abstraction.

La philosophie est soit une idéologie déguisée, soit elle utilise depuis Platon jusqu'à Hegel une abstraction qui peu à peu va vider, va récuser la vie, va empêcher l'homme de se servir de ses capacités à réfléchir, de faire de la philosophie pour construire, pour passer de la vie à l'existence c'est-à-dire construire son existence.
Il y a pour Kierkegaard un excès, un défaut de théorisation dont souffre la philosophie. Et quand on fait de la philosophie on passe à côté de l'existence.
Hegel lui semble l'emblème le plus parfait de ce travers.
« La langue de l'abstraction ne mentionne à vrai dire jamais ce qui constitue la difficulté de l'existence et de l'existant, et elle en donne encore moins l'explication » Post Scriptum aux miettes philosophiques- deuxième partie- deuxième section- chapitre 13.

La philosophie est comptable depuis Platon d'une machine infernale construite avec toutes les légitimations a posteriori. La philosophie essaye de comprendre les choses, le monde, en bâtissant des concepts. La philosophie essaye de nous arracher de la sphère du subjectif, de l'individuel, de la particularité pour nous élever, « auf heben », terme central dans le vocabulaire hégélien qui exprime à lui tout seul comment Hegel construit la dialectique.
 
Dans « auf heben » il y a l'idée de conserver tout en dépassant. On conserve l'essentiel de deux choses contradictoires et en mettant en contact l'essentiel de la contradiction on fait produire une troisième chose qui permet un dépassement. On dépasse la contradiction pour en produire une autre à un autre niveau.
En effet comme le dit Hegel, le propre de la philosophie depuis Platon c'est de nous arracher de la sphère individuelle du subjectif, du particulier pour nous élever progressivement vers le général, puis l'universel au moyen du concept en forgeant une langue qui est la langue philosophique. D'ailleurs l'une des difficultés propres à cette matière c'est de circuler dans cette langue sans forcément se servir de l'acceptation des termes.

Ce faisant, forgeant cette langue qui lui est nécessaire la philosophie va travailler le réel, revenir à l'existence au moyen de ces concepts, au travers de ces termes qu'elle forge et qui vont déformer, aux yeux de Kierkegaard, dévoyer l'existence.
Remarque importante qui nous montre que jamais la langue ne doit être négligée. La langue doit toujours être prise comme un instrument avec des effets redoutables. La langue, tout le temps nous traverse, nous dépasse et produit à notre insu des effets que nous ne pouvons pas prévoir et que nous ne pouvons qu'analyser.

Le propos de Kierkegaard est de dire attention à l’abstraction, c’est-à-dire la conceptualisation, la mise en concept de ce qui au départ n'est qu'une impression positive, sensations, sentiments. 
Exister c'est d'abord ressentir des choses physiquement, émotionnellement. Ensuite il y a ce passage que Kierkegaard appelle l'abstraction, la mise en concept.
Donc attention parce que cette mise en concept, cette conceptualisation, cette théorisation ont pour effet d'anéantir littéralement l'existence, de la tuer. Parce que concept, théorie, vident l'existence de sa substance véritable et le premier exemple c'est le temps.

Lorsque nous essayons de quitter le sol de la subjectivité, et nous sommes avant tout des sujets qui avons un rapport nécessairement subjectif au monde, aux choses, aux autres, à nous-mêmes, nous sommes obligés de faire comme si nous n'étions pas constamment aux prises avec le temps. Nous sommes obligés de nier ce qui pourtant constitue l'essentiel de notre substance c'est-à-dire justement le temps. Pourquoi ?

Parce que le concept nous contraint à penser sous la catégorie de l'éternité. Le concept nous contraint à parler de tout à commencer par notre existence dans une catégorie totalement déplacée puisqu'il s'agit d'une catégorie de l'éternité, en tout cas de ce qui échappe au temps, une catégorie intemporelle, alors que tout en nous est pétri de temps et plus particulièrement ce qu'il faudra appeler, au sens bergsonien, la durée, ce temps intérieur, ce temps subjectif qu'à partir de Bergson on préfère appeler, en philosophie, la durée.

L'abstraction de ce point de vue là ignore ce qui fait toute la singularité de l'existence à savoir cette tension, dont personne ne peut sortir, entre finitude, fini. Nous sommes sous de multiples rapports et pour des causes diverses des êtres finis. Nous avons un corps, qui nous enferme dans la finitude de la matière, qui a des limites physiques, spatiales donc.
Nous sommes assujettis à l'irréversibilité du temps, là aussi s'indique notre finitude. Et cet être fini, qui de toute part éprouve à chaque instant sa finitude, néanmoins par une partie de sa conscience ne cesse de chercher des voies, des traverses pour sortir, briser cette finitude, tout cet élan métaphysique qui nous porte vers des absolus, le beau, la liberté, l'immortalité de l'âme, Dieu ou le divin.

Le vocabulaire de l'abstraction ne permet pas de rendre compte de cela, il fait de nous des êtres mutilés qui n'avons plus comme recours que de choisir entre l'un et l'autre terme, soit le fini ou la voix de la finitude c'est l'ordre du corps, Pascal, soit nier cela et se mutiler pour évoluer dans l'atmosphère raréfiée, éthérée de la métaphysique, de la théologie.

L'existence n'est pas cela dit Kierkegaard.

L'existence il faut d'abord la comprendre comme une sorte de tension dont il appartiendra à chacun de prendre cette tension et de décider par quel moyen on va la vivre, l'assumer et surtout quelle forme il faudra lui donner. Nous ne sommes pas dépourvus de libre arbitre, il conviendra de décider de la forme que nous allons lui imposer pour la vivre dans un cadre et peut-être nous apercevoir qu'elle peut produire des choses fécondes et non pas l'écartèlement qui n'est que douleur, souffrance.
Cela dit même si on arrive à s'accrocher à la pire douleur cela sera pour s’ouvrir à l'expérience fondamentale de l'angoisse.
Il y a différentes formes d'angoisse pour Kierkegaard. Il y a des formes appauvrissantes, stérilisantes de l'angoisse. Mais il essaiera de donner une forme à l’angoisse, de rendre à l'angoisse une positivité, voire une fécondité. Anthologie- Kierkegaard- Existence- PUF coll. sup.

Il y a distorsion entre la pensée spéculative philosophique, la pensée qui nous emprisonne dans les règles idéalistes et de l'autre côté la vie, plus exactement l'existence.
C'est toute la philosophie idéaliste depuis Platon qui est là attaquée, c'est la branche la plus puissante de notre tradition, celle qui porte toute la métaphysique donc une grande partie de la philosophie. La pensée abstraite nous éloigne, nous coupe même de la vie réelle, de l'existence, de sorte que plus on s'ingénie à construire une pensée spéculative (Hegel) plus on porte loin la spéculation, plus on se coupe de l'existence.

Non seulement le recours à l'abstraction, la spéculation qui vident l'existence de sa substance, mais également la mise en système. Cette philosophie spéculative ne résiste pas au système, au désir de réduire la vie à une totalité que l'on peut penser sous forme systématique.
 
Or, par définition, Kierkegaard part d'un postulat qui est qu'aucune existence ne saurait être totalisable. C'est une idée qui traversera l'ensemble des philosophies existentielles. Elle sera reprise par Sartre. Toute la théorie sartrienne de la liberté présuppose cela. Si nous sommes libres, alors il est impossible d'enfermer notre existence dans un quelconque système, car système implique notion de totalité.

Aucune existence n'est totalisable.

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De la même façon aucune existence ne saurait prétendre à être ordonnée. Il y a, souligne Kierkegaard, dans notre tradition philosophique un fantasme qui est celui de l'ordre : rationalisme cartésien, philosophie leibnizienne, Hegel.
L'ordre est rassurant. Cet acharnement à trouver de l'ordre, à exiger que l'existence obéisse à un ordre, s'accommode de cette quête du sens. Or il n'y a pas d'ordre. Tout ordre que l'on peut trouver à son existence, à celle des autres est une construction artificielle rétroactive, c’est-à-dire c'est toujours dans l'après coup, en nous retournant sur ce qui n'est plus que nous arrivons à conférer un ordre à ce qui, précisément, ne se préoccupait pas d'en avoir. Exemple : l'importance de la vie monastique. Si l’on veut aimer Dieu, on ne peut le faire qu'en se retirant de la vie et en créant une vie parfaitement artificielle. On pourrait voir dans la vie monastique un essai pour imposer à l'existence une règle que, pour elle-même, elle est incapable de donner.
L'abstraction supprime et résout toutes les contradictions.

Kierkegaard conclut donc que penser l'existence s'avère impossible parce que, dit-il, « c'est essentiellement la supprimer, comme on supprime une contradiction ». L'existence est à vivre, elle est à mettre en acte, à mettre en œuvre, non pas d'une façon générale mais pour chaque existant. Mais cette mise en existence, cette mise en acte passe par des moments, des configurations qui exigent une mise en forme correspondant à des modes d'exister dont chacun de ces modes d'exister constituera ce que Kierkegaard appellera stades.
Est-ce que l'on ne retombe pas ici dans la même position que Hegel ? Non. 

Ces stades ne sont pas des constructions théoriques qui découlent du travail strictement conceptuel mais on doit les comprendre comme la tentative de se servir, de se faire cristalliser des éléments qui figurent dans toute existence, qui seront d'un côté la sensualité, de l'autre côté cet élan, la métaphysique, élan vers l'absolu et pour certains la rencontre avec Dieu.
Tous ces éléments figurent dans n'importe quelle existence. L'idée de stade ne provient pas d'une formalisation artificielle de quelque chose qui se servirait uniquement d'un travail conceptuel et illustrerait cela en se retournant de temps en temps vers la vie, non.

Ceci est contournable, ces éléments nous les rencontrerons à des degrés divers et sous différentes formes, il va falloir apprendre à s'en servir.
L'idée est que plutôt que de laisser ces éléments, qui de toute façon existent, travailler, se saisir de nous et nous conduire dans des directions que nous ne pouvons plus choisir, il va falloir apprendre à s'en servir c'est-à-dire les intégrer dans des ensembles, s'en servir comme dans un moteur et en prélever l'événement dynamique. Car c'est à vivre jusqu'au bout ce que chacun de ces éléments pourra nous faire vivre que, très naturellement et sans se faire violence, nous serons portés à dépasser cela.

Le dépassement des phases se fera par l'investigation de la sphère esthétique, et mus naturellement par un mouvement nous serons portés à aller voir autre chose, ailleurs, d'une autre façon.
Dynamisme = sens neutre, idée de mouvement. C'est une volonté de la part de Kierkegaard de dire que si nous laissons les choses évoluer "naturellement" en nous, nous allons subir des influences qui nous viennent du monde extérieur puisque nous ne vivons pas tout seuls, nous n'allons pas savoir diriger ces éléments mis en rapport les uns avec les autres, et si nous n'arrivons pas à les diriger nous en ferons les frais, c'est-à-dire que les autres disposeront de nous, nous ne serons pas maîtres de notre existence. Il y a volonté de repérer ces éléments de les distinguer pour ce qu'ils sont et il nous appartient de nous structurer autour de noyaux qui essayent de rassembler d'abord les éléments esthétiques, ensuite l'élément éthique et en terminer avec l'élément religieux.

Cela ne veut pas dire que dans l'esthétique il n'y a pas déjà de l'éthique, du spirituel, du religieux. Cela veut dire que là cet élément ne sera pas majoritaire et qu'il va nous permettre une conduite, un type d'existence particulier. Mais c'est en vivant ce type d'expérience particulier qu'au bout d'un certain moment j'en serai peut-être lassé, parce que moi-même, de par mes expériences, j'en sentirai la finitude, j'en sentirai les limites.
Et c'est là que l'on trouve le dynamique, non pas la personne dynamique, mais la personne qui est mue par un mouvement propre intérieur.
L'idée de Kierkegaard c'est qu'un homme normalement constitué au bout d'un certain moment finit par éprouver comme étant limité, fini, ce qui au début de ce moment de sa vie lui apparaissait au contraire comme infini, plein de promesses.
C'est en vivant l'existence que nous-mêmes, parce que nous sommes habités par ce mouvement, au sens grec neutre, nous habiterons les trois stades. Travaillant la notion d'esthétique Kierkegaard va s'intéresser à deux mythes : Don Juan et Faust. 

Faust ayant lu tous les livres a fait le tour de l'intellectualité. Il sait que la connaissance ne peut pas nous apporter le bonheur. Et même si l'on va jusqu'au bout de la connaissance il y a toujours quelque chose qui est insatisfait.
 Ayant découvert que même l'esprit ne nous arrache pas à notre finitude Faust revient à la chair. Parcours inverse de Don Juan. Ayant lu tous les livres, il vend son âme au diable et retourne à ce mode d'existence esthétique.

A) Le stade esthétique (Aisthêsis)
 
D'une façon générale aisthêsis en grec est un terme qui signifie la sensation.
Le terme esthétique est créé par Baumgarten au XVIIIe siècle pour désigner ce domaine de la réflexion qui va appartenir à la philosophie et qui va s'intéresser à la sphère de la sensation car nous sommes tous des êtres qui ressentons les choses, éprouvons des sensations.

Or l'esthétique au sens premier du terme c'est non seulement l'étude de la sensation, mais surtout c'est le domaine qui va essayer de construire une science de la sensation
L'esthétique est toute la réflexion qui essaye de normer les sensations, et de voir comment les sensations dans leur spécificité peuvent participer à la construction du vrai. Le problème majeur de la sensation philosophique c'est qu'elle est radicalement subjective.
On sent tout de suite l'impasse, l'aporie qui guette la construction d'une esthétique, c'est ce paradoxe qu'il y a à tenter, à chercher, à vouloir construire une science de l'individuel.
 Comme Aristote le disait déjà « il n'y a de science que du général », on ne peut pas construire de choses individuelles. Toute l'esthétique, à commencer par l'esthétique Kantienne, ne va pouvoir se construire qu'en prenant acte de l'existence de ce paradoxe.

Soit je suis platonicien et ce qui m'intéresse c'est de comprendre le beau en soi, mais pour comprendre le beau en soi à la limite ai-je besoin de passer par des œuvres belles, je peux faire uniquement de la spéculation.
Si je veux à la fois ne pas rester dans la sphère limitée de ma subjectivité et me contenter de me dire c'est beau, sous-entendu je ne peux pas en rendre compte, on est là dans la sensation purement subjective.
 
De l'autre côté si j'ai bien conscience que se mouvoir dans la pure métaphysique c'est-à-dire définir ce qui est beau en soi, ce que veut faire Platon, me conduit à ce paradoxe qui est que je peux parler du beau sans jamais rencontrer le beau. Nous sommes dans une très grande difficulté.
 
La seule voie possible sera à la voie kantienne qui ouvre les grandes réflexions esthétiques.
Si je veux prendre en considération les œuvres et savoir ce qu'est le beau quand j'ai l'impression que telle œuvre que je vois, que j'entends est belle il me faut revenir à la sensation, ne pas faire l'impasse.
Telle est la difficulté.
 
De la même façon que Kant montrera que la métaphysique ne saurait être une science véritable, de la même façon on ne peut fonder le beau.
Le beau se manifeste au travers de choses belles qui sont dites belles parce qu'elles produisent un certain type de sensations et d'émotions en moi. Ce n'est pas du beau qu'il faut parler d'abord mais du goût. On ne peut normer le beau, sauf d'une façon sociologique. Sur le plan conceptuel ce n'est pas possible. La seule chose que l'on va normer c'est le goût, c'est le jugement de goût. Car c'est bien ce jugement là qui dit que telle chose est belle ou qu'elle ne l'est pas.

Kierkegaard emprunte ce terme car le stade esthétique est un stade ou par définition nous allons nous laisser guider pas totalement passivement, mais nous allons organiser notre existence autour de la sensation, de nos sensations, qui est, chronologiquement parlant, la première chose, la première expérience qu'en tant que vivant j'ai.

Ce terme n'est pas inventé par Kierkegaard. Ce terme est travaillé aussi bien par la philosophie que par la littérature.
Le stade esthétique est un retour à la sensation, réaction à l'hégélianisme. On tire un trait sur l'abstraction, on part de ce qu'il y a de plus concret c'est-à-dire justement la subjectivité, la subjectivité sensible, donc la sensation ainsi ce que l'on pourrait appeler son empreinte psychique : l'émotion. Le sentiment, empreinte psychique de la sensation ne peut se comprendre qu'à travers une double référence qui constitue l’héritage kierkegardien. Double référence : philosophique et littéraire.

Kierkegaard est contemporain du romantisme, des mouvements romantiques qui se propagent partout en Europe et en particulier dans l'Europe du Nord par rapport au monde latin. Le romantisme a considérablement développé d'une part une réaction au grand rationalisme qu'impose la révolution française, d'autre part une réaction aux aspirations universalistes que donnera Hegel et qui découle aussi de la révolution française.

La déclaration des droits de l’homme est un texte dans lequel on voit cette aspiration à l'universel. C'est au travers de telle ou telle nation que  l'homme  doit être promu, protégé, défendu. 
Or les romantiques, et déjà les préromantiques, ont eu l'intuition tout à fait extraordinaire de pressentir un oubli puis un mépris de la sphère individuelle, de tout ce qui renvoie à l'individu et plus particulièrement ce qui renvoie au domaine de la sensation.
La solitude du héros incompris de tous, thème si prisé par les romantiques, naufragé d'une époque, va donc trouver refuge dans une nature de nouveau valorisée. Il n'a pour seule solution que ce repli, cette solitude parce qu'il est enfermé, forme de solipsisme, dans le blockhaus de ses sensations. Il sait que toute la vie démarre dans ce que l'on appelle la sensation mais comme cette sensation est totalement subjective il ne peut jamais être assuré de pouvoir la communiquer, la dire, être compris.
 
D'où le surinvestissement et en même temps le désinvestissement qui en fait une tension très intéressante pour Kierkegaard.
Surinvestissement du domaine amoureux où c'est la sphère amoureuse qui par définition nous place dans cette nécessité d'attendre de l'autre tout, et donc de mourir de l'autre, et en même temps de s'apercevoir que l'autre n'a pas cette puissance, que par ailleurs il n'a que la puissance que je veux bien lui conférer.
 Ce surinvestissement ne peut aboutir qu'à la pire des déceptions, c'est-à-dire l'autre n'est jamais ce que je pensais qu'il était et donc nous retombons évidemment dans l'idée que nous sommes seuls.
 
Dans toute la littérature romantique la souffrance devient la seule chose qui atteste que je sois un être vivant. C'est pour cela que le romantique chérit sa souffrance. Tous les romantiques se replient sur leurs propres souffrances. La souffrance est ce qui vient en lieu et place d'une idéalisation en terme psychanalytique, surinvestissement de l'amour idéalisé avec les attentes, les projets que forcément cet amour installe en nous.
Le romantique ne fait plus qu’aimer son incompréhension, sa souffrance même et refuse absolument que l'on mette un terme à cette souffrance. Lui pourra se suicider, la tentation suicidaire est aussi un des termes romantique. Il refuse que l'on mette un terme à sa souffrance, c'est-à-dire toute solution rationnelle est refusée.
Donc souffrance, ennuis de la vie, idée que tout s’effondre, réellement on ne peut pas croire à ce monde tout n’est que trahison.
Anthologie- Le romantisme -Puf coll.sup.

Haine de Kierkegaard contre Hegel car la notion de système lui semble contradictoire avec la vie. Il faut revenir à cela pour bien faire apparaître la nécessité pour Kierkegaard de dégager ce qu'il appelle quelque chose d'esthétique.
Haine de Kierkegaard contre la grande philosophie spéculative laquelle vide l'existence de tout contenu en la faisant rentrer dans un système. Le système tue par sa totalisation l'existence, tue le mouvement même de la vie.
 
Dans le système hégélien on assiste à la disparition de l'individualité ou de l'individu, c'est-à-dire que le système par son mouvement de totalisation et sa dialectique fini-infini se sert des individus et finit par les absorber. Nier l'individualité de tout individu pour ne retirer de chaque individualité que ce qui peut servir à l'émergence de l'universalité. 

L'individu n'est jamais reconnu en tant que tel, il n'est là et mis à disposition, dans la philosophie hégélienne, que comme apportant son tribut à quelque chose qui va l'absorber complètement et le dépasser, mouvement dialectique au sein de l'émergence de cette conscience absolue qui intéresse Hegel. Donc négation et disparition de l'individu qui est absorbé dans l'universel.
L'individu n'est donc pris en compte que tant qu'il est porteur d'universalité, et l'universalité de son côté ne peut s'incarner sinon cela resterait un concept totalement abstrait.

Comment le concept va pénétrer la réalité, ne pas rester une enveloppe vide ?
Le concept va trouver son point de jonction dans la réalité au travers de l'individu qui est une cheville qui va river l'idée abstraite d'universel à la concrétude de réalité. L'individu est un vecteur, c'est quelque chose qui n'a aucune nécessité en soi, la nécessité lui est extérieure, d'où la contingence, pour Hegel, de l'individu. Tout ceci s'incarne dans la grande philosophie politique de Hegel, notamment au travers de la théorie de l'État.
Hegel : Système du Droit-parag. 258.

descriptionLes philosophies existentielles EmptyRe: Les philosophies existentielles

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Hegel montre combien la constitution du Droit est une partie importante dans la concrétisation et le développement de l'universel, c'est-à-dire que le Droit par son ambition générale puisque par définition il statue, légifère et en même temps prescrit des choses qui sont nécessairement des choses générales.
 
La loi ne prend pas en considération la particularité de ma situation et ne peut statuer que sur des cadres tout à fait généraux. Le Droit constitue un instrument qui nous arrache à l'individualité et participe de ce mouvement où l'individuel se transcende dans l'universalité. « C'est seulement dans l'État que l'homme a une existence conforme à la raison ». C'est seulement au niveau de l'État que l'individu s'élève au-dessus de sa condition singulière et subjective pour embrasser un point de vue général qui gagne en objectivité. L'État matérialise le passage de la singularité à l'universalité.
Aux yeux de Hegel les peuples dont l'histoire les conduit à l'élaboration d'un état figurent un peu le moteur de l'Histoire. Il montre que le mouvement général de l'existence humaine c'est d'aller du singulier vers l'universel, conscience absolue, savoir absolu. L'État est une concrétisation très importante. L'État, toujours pour Hegel, figure l'osmose : vérité-liberté.
 
L'État non seulement révèle que la vérité, concept qui intéresse les sciences abstraites, les sciences, la philosophie, cette vérité a un autre nom quand elle se concrétise dans la vie et cet autre nom c'est le nom de liberté.
 
 La liberté c'est le vrai en acte.
 
Au fond on sent bien que quand nous recherchons notre liberté, nous recherchons et manifestons notre vérité profonde, que nous acceptons parfois de mourir pour la liberté parce que c'est là que nous saisissons notre vérité. Ne pas mourir pour la liberté dans certaines conditions et notamment dans certaines conditions historiques reviendrait à accepter de vivre dans le mensonge.
D'où chez certains philosophes existentialistes un très grand intérêt pour le mensonge et la mauvaise foi.
Depuis le christianisme nous avons un point de vue moral sur le mensonge.
Le mensonge c'est chez les Grecs un accident du vrai. Le vrai je puis m'en écarter et donc manipuler le non-vrai c'est-à-dire au fond le mensonge. Mais le mensonge prend toute sa profondeur dans, et au travers, du christianisme. C'est une conséquence directe du péché originel. 
 
Entre la tradition grecque païenne qui reconnaît l'accidentalité et sortir du vrai, et la pratique du mensonge comme effet de notre nature par le christianisme nous avons d'abord une approche morale du mensonge.
Ici il y a à l'intérieur de la philosophie un déplacement intéressant. Nous n'avons pas  une perspective qui est d'emblée morale, ce qui ne veut pas dire que les perspectives morales sont écartées ou niées, mais cela veut dire qu'ici on peut parler, et on parlera du mensonge dans d'autres perspectives que des perspectives strictement morales.

Il y a l'idée chez Hegel que le mensonge c'est l'indice que je ne suis pas encore suffisamment arraché à l'immédiateté de l'existence, aux limites propres de ma propre subjectivité, je ne suis pas assez enrichi de contradictions, de déterminations contradictoires pour m'élever dans la liberté. Nous n'en finissons pas d'apprendre à être libres. Lorsque nous mourrons, même a  un âge très avancé, certes nous aurons cheminé, mais pourrons-nous nous prévaloir de nous être vraiment affranchis ? Doutes profonds à ce sujet.

Le cheminement est tellement long et difficile que Hegel choisit une autre échelle, c'est-à-dire au fond la liberté s'accomplit dans l'histoire. 
La perspective est que lorsque nous mentons, lorsque nous ne sommes pas des êtres authentiques ce n'est pas seulement parce que nous sommes des êtres de péchés, mais simplement parce que nous n'avons pas encore reçu suffisamment de choses pour nous avancer plus avant dans la liberté.
N'étant pas suffisamment libres intérieurement nous ne pouvons pas manipuler la vérité d'une certaine façon. Le mensonge ici est toujours le signe de notre propre faiblesse, mais pas sur le plan moral, sur le plan de la saisie de la vérité qui a sur le plan éthique, moral, politique des conséquences immédiates puisque l'un est l'autre.

Comme Platon nous l'avait appris dans sa philosophie idéaliste le bien n'est pas autre chose que le vrai.
Sartre dira aussi que le mensonge a un sens philosophique, ne pas l'enfermer uniquement dans la sphère de la moralité parce qu'on en rate presque la valeur, la richesse, dans le sens où le mensonge est toujours signe de quelque chose.
Nous ne pouvons affronter la vérité donc nous mentons et la force du mensonge est toujours illusoire. Nous régnons pendant un certain moment sur celui que l'on dupe, mais fondamentalement c'est nous que nous dupons, puisque nous sommes défaillants par rapport à la vérité, et cela nous ne voulons pas le reconnaître, d'où la situation de mauvaise foi chez Sartre.
Le simple mensonge c'est quelque chose auquel nous sommes voués parce que nous pourrions par une évolution très lente aboutir à la vérité, idée que l'on trouve chez Hegel mais refusée par Sartre.
 
Même lorsque je crois dire la vérité, que je m'emploie à la saisir, je reste malgré tout, chez Sartre, dans une forme de mensonge, certes pas une forme de mensonge moral, mais dans quelque chose qui me décale par rapport à la réalité parce qu'en définitive la vérité n'existe pas. La vérité n'est jamais que le mot que j'utilise pour nommer un rapport de soi à soi, de soi aux autres mais surtout de soi à soi.
Lorsque Sartre nous dit « Nous ne coïncidons jamais avec nous-mêmes » c'est une façon abstraite de dire qu'alors nous sommes obligés de nous mentir, parce que nous sommes toujours décalés par rapport à nous-mêmes.
Vouloir absolument exclure, expulser le mensonge voudrait dire que nous nous saisissions pleinement et que nous puissions absolument coïncider avec nous-mêmes. Mais si nous coïncidons totalement avec nous-mêmes nous existons sur le mode des choses, nous sommes choséifiés. Nous existons sur le mode de l'en-soi et non plus sur le mode du pour-soi. 

La liberté c'est la responsabilité sur le plan moral, mais sur le plan physique c’est ce qui engage la connaissance, la connaissance de soi, l'idée que quelque chose constamment nous échappe, que Sartre appelle notre transcendance. Et quand je coïncide avec moi-même, je n'existe plus.
La référence hégélienne est très importante, puisque tous les philosophes existentiels sont lecteurs de Hegel.
La philosophie qui les conduit à leurs propres pensées, c'est la philosophie de Hegel.

« Le but de toute éducation est que l'individu cesse d'être quelque chose de purement subjectif et qu'il s'objective dans l'État ». Ambivalence de la phrase. 
Dans le système hégélien, l'État, si nous prenons soin de bien le constituer, le passage à la démocratie est incontournable car il ne doit pas incarner les intérêts d'une classe ou d'un groupe qui s'imposerait ensuite à la totalité des personnes, mais doit bien représenter le dépassement, l'expression de volonté qui émane des individus mais lesquels consentent à dépasser les limites de leur propre subjectivité pour s'installer du point de vue de l'intérêt général. Et l'intérêt général n'est pas forcément mon intérêt particulier. 

S'i l'État se constitue bien, notamment au travers des démocraties qu'il nous faut installer mais pour cela nous éduquer, chaque individu, et c'est la perspective hégélienne, doit se reconnaître dans l'État. Il doit voir dans les prérogatives de l'État, se reconnaître et retrouver dans chaque domaine des inspirations profondes. 
Mais on peut aussi voir dans cette phrase la disparition, la suppression de la subjectivité, l'acceptation d'être amalgamé au point de ne pas plus exister individuellement, être broyé par la machine totalitaire.
Dans la théorie de l'État chez Hegel il y a, si on n'y prend pas garde, une sorte d'élimination peu à peu de l'individu.
La raison dans l'histoire. Coll 1018.

Ce passage nécessaire à l'universel chez Hegel implique que l'on se débarrasse dans l'Histoire de tout ce qui est inessentiel. Essentiel, inessentiel qui sont des termes éminemment hégéliens, c'est comme absolu et relatif, nécessaire et contingent, cela donne chez Hegel essentiel pour absolu et nécessaire, et inessentiel pour ce qui est relatif et donc nécessairement contingent. Ce sont des termes employés par Kierkegaard.
Hegel nous dit qu'on ne peut accéder à l'universel qu'en se débarrassant de l'inessentiel c'est-à-dire ce qui est particulier et contingent. Ainsi l'individu ne reçoit toute sa valeur, toute sa réalité spirituelle que dans l'État et au travers de l'État. L'État qui incarne la raison dans l'Histoire, qui est l'objectivation sous forme d'institutions de la raison. L'individu n'est qu'un moyen, une forme transitoire qui utilise l'absolu, l'universel pour se réaliser ce que Hegel appelle la ruse de la raison. Conséquemment comprenons que la subjectivité doit toujours être dépassée.

En tant qu'esprit encyclopédique il y a chez Hegel un point de vue sur la religion. Hegel interprète le personnage christique d'une façon très particulière. Le Christ fils de Dieu et le christianisme représentent la dialectique fini-infini, montrent comment l'universel doit, pour se concrétiser, passer par du particulier sinon il reste un concept vide. Dieu envoie son fils connaître une vie terrestre, s'incarner dans un corps humain, accepter de mourir c'est-à-dire prendre sur lui la condition humaine et la condition humaine est par définition la mort.
 
Dans le christianisme il y a l'idée que Dieu lui-même se met à mort, va faire l'épreuve de la mort. Cet absolu représenté par Dieu, qui serait l'équivalent dans les catégories hégéliennes de l'universel, s'incarne dans du particulier, du subjectif : le Christ qui va connaître une vie humaine, mourant sur la croix pour nous et connaissant les limites de la vie humaine et toute existence humaine, montre l'exemple. Il faut sacrifier la particularité, la singularité, la subjectivité.

Kierkegaard va rejeter violemment toute la philosophie hégélienne et va postuler que l'individu est la seule réalité. « Tout homme sans exception peut et doit mettre son honneur à être un individu en quoi il trouvera certainement sa félicité ... L'individu c'est la catégorie de l'esprit, du réveil de l'esprit aussi opposé que possible à la politique (réponse à la théorie de l'État)... L'individu c'est l'esprit qui interroge du point de vue de sa particularité... L'individu c'est la catégorie chrétienne décisive ».
Concept de l'angoisse.

Aux yeux de Kierkegaard Dieu nous a créé individuellement et donc c'est individuellement que nous devons répondre de nos actes sans chercher à nous fondre dans on ne sait quelle universalité. C'est de cette subjectivité, catégorie première et seule expérimentable pour nous, que nous devons partir, dans laquelle nous devons nous installer sans chercher à en sortir.
« La subjectivité, l'intériorité étant la vérité, celle-ci objectivement envisagée est le paradoxe ».  Post-scriptum des miettes philosophiques. 2e partie 2e section chapitre 2. Phrases très importantes car il y a un maniement du paradoxe chez Kierkegaard.

Seule la subjectivité existe, c'est d’elle qu'il faut partir. Elle est posée comme étant la vérité, de sorte que si seule la subjectivité représente pour Kierkegaard la vérité nous n'avons pas d'autres vérités que vérité subjective. 
Si nous essayons de la considérer d'un autre point de vue c'est-à-dire d'un point de vue objectif, c'est ce que veut précisément la philosophie, nous sommes nécessairement amenés à des paradoxes. Donc tout ce qui cherche à dépasser la subjectivité nous conduit à quelque chose de paradoxal.

Le premier à l'avoir précisément démontré c'est Socrate qui montre que bien sûr la philosophie essaye de comprendre ce que sont les choses  en elles-mêmes indépendamment de ce que nous nous appellerions telle ou telle subjectivité, parce que la subjectivité est limitée et elle est marquée par des particularités qui l'emprisonnent.
A la fois méfiance de la subjectivité, mais aux yeux de Kierkegaard le grand mérite, presque le génie socratique c'est d'avoir tenté de fermer une boucle, c'est-à-dire de s'être méfié de la subjectivité, d'avoir montré que l'on ne pouvait pas en rester aux limites propres, de notre propre subjectivité, qu'il fallait chercher ailleurs autre chose, qui deviendra chez Platon l'idée, cette notion d'intelligible, idée platonicienne. Mais c'est plus sensible chez Socrate que c'est Platon.

Platon nous conduit à la métaphysique idéaliste. Socrate essaye de nous arracher à ce point de vue qui est trop étriqué, puisqu'il y a nos humeurs, nos tempéraments qui brident les choses, mais en même temps il y a idée que cela ne sert pas à grand chose de dépasser les limites de cette subjectivité propre, très limitée au départ, si ce que l'on découvre à l'extérieur de nous, au-delà de nous, notamment dans le dialogue, dans l'échange d'autres points de vue avec autrui qui nous ouvre d'autres possibilités d'autres perspectives, ne nous permet pas de revenir à nous pour travailler de l'intérieur ce qui était au départ nos croyances, nos certitudes, nos jugements.

Si l'on employait le terme d'existentialiste on pourrait dire que Socrate pourrait d’une certaine façon être considéré comme le premier philosophe existentiel, c'est-à-dire qu'il nous donne une leçon d'existence et montre qu'il faut partir de la subjectivité, qu'on ne peut pas la mettre entre parenthèses, qu'elle n'est pas synonyme de fausseté, qu'elle n'est pas évidemment synonyme de vérité, mais qu'en tout cas l'homme ne peut pas tenir dans une vérité qui serait une vérité dans laquelle sa propre existence n'aurait plus de place. 

Mais la conséquence de cela c'est que cette vérité doit nécessairement s'incarner, c'est-à-dire elle doit en retour retravailler mon existence, idées chez Socrate de la justice, sa représentation du bien qui l'amènent jusqu'à  la mort.
Apologie de Socrate : parce qu'il est absolument convaincu de penser d'une façon juste, ceci l'amène précisément, non pas d'une façon sacrificielle offrir sa vie, mais à pouvoir travailler de l'intérieur y compris son sentiment de peur vis-à-vis de la mort de façon à être cohérent avec ses idées. Il s'agit d'apprendre à vivre. Et l'on ne peut apprendre qu'en travaillant cette subjectivité, en repoussant ses limites.
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