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Doit-on nécessairement être cultivé pour pratiquer la philosophie ?

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4 participants

descriptionDoit-on nécessairement être cultivé pour pratiquer la philosophie ? EmptyCulture et partage

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La culture est-elle nécessaire à la discussion philosophique ? De mon point de vue, mais peut-être que je me trompe fortement, je crois que la philosophie doit être à la portée de l'homme moyen, et non pas à la portée d'une élite cultivée.

Or, le lycéen de banlieue, l'habitant rural, la caissière de supermarché doivent-ils s'interdire de penser et de partager sous prétexte qu'ils ne savent pas ?

descriptionDoit-on nécessairement être cultivé pour pratiquer la philosophie ? EmptyRe: Doit-on nécessairement être cultivé pour pratiquer la philosophie ?

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La culture (philosophique) est nécessaire pour discuter des philosophes et de l'Histoire de la philosophie ; en aucune manière pour penser, voire philosopher (elle peut cependant bien sûr en être un support, un contexte, une aide, mais ne doit pas sortir de ces limites : l'Histoire est une chose, philosopher en est une autre).

Imaginons un Primo Levi sortant de l'enfer des camps de concentration et exprimant les fruits de son expérience à travers l'idée de "la honte d'être un homme". Qui oserait lui répondre qu'il lui est nécessaire d'user ses fonds de culotte dans une université pour apprendre les philosophes grecs avant de revenir formuler ça autrement ? C'est une plaisanterie !

Démocratiser la philosophie me semble une nécessité, un impératif minimal, faute de quoi (et par les temps qui courent) on risque d'en parler un jour comme d'une espèce à protéger, un folklore en voie de disparition. La philosophie grecque, sauf erreur (je suis plutôt néophyte, moi aussi), s'adressait au peuple, aux "citoyens" en tout cas, pas à une élite recroquevillée sur un savoir (qui au passage n'a rien d'une science). Je ne vois pas pour ma part comment des gens qui se définissaient comme "amis de la sagesse" pourraient réduire leur cercle à une seule élite.

Ça ne résout évidemment pas le problème de penser, où les capacités sont inégalement réparties entre individus. Mais ça ne doit en aucun cas dissuader quiconque de chercher au mieux à comprendre comment les choses fonctionnent (si ce type de définition peut correspondre à la tâche de la philosophie).

Cela dit, si tout un chacun est bien sûr porté à réagir sous forme d'opinions, il s'agit de ne pas s'en tenir là. Il s'agit de chercher. Chercher à comprendre. Penser c'est chercher à comprendre, en se méfiant justement de toutes ces opinions qui parasitent la réflexion comme autant de croyances, de présupposés jamais remis en question.



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aldolo a écrit:
La culture (philosophique) est nécessaire pour discuter des philosophes et de l'Histoire de la philosophie ; en aucune manière pour penser, voire philosopher (elle peut cependant bien sûr en être un support, un contexte, une aide, mais ne doit pas sortir de ces limites : l'Histoire est une chose, philosopher en est une autre).

Vous ne pouvez justement pas occulter l'histoire de la pensée, car votre pensée est prise dans cette histoire. Connaître l'évolution des idées, c'est comprendre comment nous pensons actuellement. Autrement dit : c'est aussi l'histoire des préjugés et de leurs formes qui vont jusqu'à imprégner notre époque contemporaine. Si philosopher consiste à se connaître soi-même pour combattre les préjugés jusqu'en nous-même, il faut bien voir que l'on ne peut se passer de critiquer l'époque, laquelle n'est pas détachée de l'histoire, elle en est au contraire le résultat. Penser par soi-même commence par se comprendre soi-même comme ce résultat, un héritage inconscient qui véhicule avec lui des préjugés qui sont les plus difficiles à démasquer puisqu'on ne peut se voir soi-même et que l'on croit à la pseudo-évidence de nos opinions (surtout du haut de notre prétention au progrès). Pour nous voir correctement, nous corriger, il faut en passer par la médiation de l'histoire. C'est en comprenant que nos idées sont plus vieilles que nous que nous pouvons commencer à penser. Non en proclamant : je peux penser tout seul, hors du temps, comme si l'on pouvait être une origine.

aldolo a écrit:
Imaginons un Primo Levi sortant de l'enfer des camps de concentration et exprimant les fruits de son expérience à travers l'idée de "la honte d'être un homme". Qui oserait lui répondre qu'il lui est nécessaire d'user ses fonds de culotte dans une université pour apprendre les philosophes grecs avant de revenir formuler ça autrement ? C'est une plaisanterie !

Mais Primo Levi est confronté à l'impensable, l'événement inattendu, imprévisible, qui bouleverse les repères intellectuels. Certains intellectuels vont aller jusqu'à accuser la tradition philosophique et se demander comment il est possible, après cet effondrement de la culture, de penser (si la barbarie loge au cœur même de ce qu'on prenait pour la noble pensée). D'un côté, donc, on a l'expérience de quelque chose que l'histoire des idées ne peut expliquer parce qu'elle ne peut le prévoir (cela n'a jamais eu lieu auparavant), et Primo Levi peut exprimer son sentiment (qui est aussi celui de l'incapacité de penser, ou de l'incapacité propre à la pensée d'aller à l'encontre de ses illusions et des monstres qu'elle produit ; elle est figée, tétanisée, désavouée) ; de l'autre côté, on a des philosophes qui s'emparent de cette expérience parce qu'elle traduit un problème nouveau qui implique de chercher la responsabilité des intellectuels, car l'on se demande comment il se fait que l'impossible soit advenu (et comment les intellectuels eux-mêmes n'ont pas su voir ce qui se tramait ; bref : quels sont les préjugés que l'on n'avait pas vu, véhiculés par ce qui se présentait comme pensée légitimée ?). "La honte d'être un homme" est aussi, me semble-t-il, celle que l'on peut ressentir lorsqu'on découvre que l'on s'est abusé soi-même pendant si longtemps. Or l'horreur arrive et l'on se dit que si, justement, en passer par l'histoire aurait pu aider à comprendre le présent, à voir que les discours dominants, acceptés par tous, ne vont peut-être pas de soi.

aldolo a écrit:
Démocratiser la philosophie me semble une nécessité, un impératif minimal, faute de quoi (et par les temps qui courent) on risque d'en parler un jour comme d'une espèce à protéger, un folklore en voie de disparition.

Mais quand on observe quelle "philosophie" se démocratise, on se dit que le philosophe ferait mieux de rester dans son coin. D'ailleurs, la philosophie (la culture) n'a jamais concerné qu'une petite partie de la population (la démocratisation de la "culture" n'y change rien ; l'éducation facilite l'accès au savoir mais n'entraîne pas plus à penser. Pourquoi ? Peut-être parce que, comme le dit Deleuze, la pensée, qui ne concerne pas que les philosophes, loin de là, est provoquée par un choc, un problème, si l'on veut : un événement traumatique, c'est la rencontre avec quelque chose qui bouleverse l'ordre contingent de notre monde socialement normé. On se retrouve alors dans l'inconnu, dans l'incertain, on doute ; le philosophe et le penseur sont des anomalies, ils ont perdu l'évidence du rapport pratique au monde, mais parfois voilà le philosophe qui, par recherche de la sécurité et de la maîtrise, construit un empire intellectuel qui nie le réel et là, ça ne peut plus penser, voire la théorie ne sert plus que de justification à une domination arbitraire, ce qu'on peut appeler idéologie, retour sournois de l'opinion sous des airs savants).

aldolo a écrit:
La philosophie grecque, sauf erreur (je suis plutôt néophyte, moi aussi), s'adressait au peuple, aux "citoyens" en tout cas, pas à une élite recroquevillée sur un savoir (qui au passage n'a rien d'une science). Je ne vois pas pour ma part comment des gens qui se définissaient comme "amis de la sagesse" pourraient réduire leur cercle à une seule élite.

La philosophie grecque est aristocratique, plus encore que la sophistique. Les sophistes enseignaient leur savoir aux jeunes riches, et le but était l'accession à la vie publique, politique (l'art de l'orateur). La philosophie est à l'origine tournée contre les sophistes et la démocratie ; le philosophe est sectaire, il finit par s'enfermer, hors du monde, dans son école (c'est Platon et son Académie), et cultive l'ambiguïté (différence entre les discours ésotérique et exotérique).

descriptionDoit-on nécessairement être cultivé pour pratiquer la philosophie ? EmptyRe: Doit-on nécessairement être cultivé pour pratiquer la philosophie ?

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Silentio a écrit:
aldolo a écrit:
La culture (philosophique) est nécessaire pour discuter des philosophes et de l'Histoire de la philosophie ; en aucune manière pour penser, voire philosopher (elle peut cependant bien sûr en être un support, un contexte, une aide, mais ne doit pas sortir de ces limites : l'Histoire est une chose, philosopher en est une autre).

Vous ne pouvez justement pas occulter l'histoire de la pensée, car votre pensée est prise dans cette histoire. Connaître l'évolution des idées, c'est comprendre comment nous pensons actuellement. Autrement dit : c'est aussi l'histoire des préjugés et de leurs formes qui vont jusqu'à imprégner notre époque contemporaine. Si philosopher consiste à se connaître soi-même pour combattre les préjugés jusqu'en nous-même, il faut bien voir que l'on ne peut se passer de critiquer l'époque, laquelle n'est pas détachée de l'histoire, elle en est au contraire le résultat. Penser par soi-même commence par se comprendre soi-même comme ce résultat, un héritage inconscient qui véhicule avec lui des préjugés qui sont les plus difficiles à démasquer puisqu'on ne peut se voir soi-même et que l'on croit à la pseudo-évidence de nos opinions (surtout du haut de notre prétention au progrès). Pour nous voir correctement, nous corriger, il faut en passer par la médiation de l'histoire. C'est en comprenant que nos idées sont plus vieilles que nous que nous pouvons commencer à penser. Non en proclamant : je peux penser tout seul, hors du temps, comme si l'on pouvait être une origine.

C'est l'histoire de la philosophie et non celle de la pensée que je pointais, afin de répondre au mieux à l'interrogation de Géraldine22, et éventuellement dissiper des malentendus entre penser et philosopher - tout comme différencier clairement histoire de la philosophie et histoire de la pensée. 
C'est en fait ce dernier point qui m'interroge dans cette affaire, et qui me semble devoir perdre toute ambiguïté : la philosophie n'a pas à s'arroger l'exclusive d'un droit de regard sur toute forme de pensée ; une façon de juger in fine si telle pensée aurait droit de citer selon qu'elle s'accorderait ou pas à un système philosophique cohérent, qui finalement la validerait. Chaque problème doit être pensé individuellement et c'est si et seulement si tous les problèmes étaient pensés correctement qu'on devrait théoriquement aboutir à un système cohérent. Dit autrement l'idée de faire système ne peut pas en quelque sorte "précéder" l'idée de chercher à comprendre la multiplicité des problèmes : toute pensée ne peut être confronté qu'au réel et au problème auquel elle s'attache pour prendre ou pas de la "valeur", du sens. A cette valeur alors de s'intégrer dans un contexte philosophique et d'y trouver sa place, en cohérence avec d'autres vecteurs de sens.

Ceci posé, je suis en gros d'accord avec ce que vous dites, avec deux petites réserves.
- La première, c'est que je me méfie de formules du type : "C'est en comprenant que nos idées sont plus vieilles que nous que nous pouvons commencer à penser". 
Sans doute qu'on innove peu, mais ce "commencer" est une formulation ambiguë. Difficile de ne pas se poser la question de savoir si vous ne partez pas d'une définition de la philosophie qui ferait forcément système. Je ne vois pas autrement de raison particulière d'envisager un "commencement" à la pensée de quelqu'un. Les gens pensent, au moins quelquefois. Forcés, peut-être (il faudrait y revenir).
... ou peut-être parlez-vous d'un commencement de démarche philosophique ? Mais alors ce serait "penser" qui serait ambigu : en plein dans l'ambiguïté penser / philosopher.
- La deuxième, c'est que l'histoire est pleine de contingences et que j'ai des réticences à envisager qu'elle suffise à placer un contexte aux contours aussi nets qu'on puisse et ne puisse que s'appuyer dessus pour expliquer toute chose... d'ailleurs vous ne dites pas autre chose quand vous prenez le contre-exemple de la Shoah pour la qualifier "d'inattendue et d'imprévisible".
Il me semble que la pensée est multiple et qu'il serait bien aléatoire de croire pouvoir en tracer un cheminement aussi simple et clair que ça. Alors l'Histoire, on s'y réfère bien sûr, mais comme une cause parmi d'autres. Ce serait imprudent de prétendre circonscrire toute pensée à une histoire, et carrément de l'ordre du préjugé d'imaginer que cette histoire puisse être linéaire. L'époque, pour reprendre vos termes, n'est certes pas détachée de l'Histoire, mais elle n'en est pas pour autant le "résultat". Le résultat est aussi le fruit de mille autres "histoires" contingentes. Mille facteurs influent sur le contexte de nos pensées, contexte qu'on appelle "réel" (Deleuze parle "d'actuel", c'est bien mieux). L'Histoire est peut-être elle-même plus faites de ruptures que de continuité (Foucault a détaillé ce dernier point dans une admirable "Réponse au Cercle d'épistémologie" dont je vous passe le lien : http://1libertaire.free.fr/MFoucault238.html

Silentio a écrit:
aldolo a écrit:
Démocratiser la philosophie me semble une nécessité, un impératif minimal, faute de quoi (et par les temps qui courent) on risque d'en parler un jour comme d'une espèce à protéger, un folklore en voie de disparition.

Mais quand on observe quelle "philosophie" se démocratise, on se dit que le philosophe ferait mieux de rester dans son coin.

Oui c'est très compliqué l'idée de "démocratiser la philosophie". Très compliqué mais passionnant. Ce qui semble compliqué là-dedans, c'est de comprendre l'indifférence plutôt partagée en ce qui concerne l'idée de penser, alors qu'il semble que tout le monde ait quelque chose à dire, et à redire, sur le monde tel qu'il est, voire tel que chacun se le représente.
Le problème vient peut-être du fait que si beaucoup de gens sont peut-être prêts, désireux même de comprendre mieux les choses (comme le montre par exemple le succès de l'université d'Onfray), personne ne semble prêt à abandonner sa vision des choses sans qu'autre chose ne vienne se mettre "à la place"... et si j'ai du mal malgré tout à parler d'un tel "effort de la pensée" qui valoriserait ceux qui sont engagés dans des processus de déconditionnement, je ne peux que faire un constat d'incompréhension envers si peu de... curiosité, persévérance, intérêt, intelligence, imagination ? (j'ai du mal à envisager un mot précis).

Silentio a écrit:
La philosophie grecque est aristocratique, plus encore que la sophistique. Les sophistes enseignaient leur savoir aux jeunes riches, et le but était l'accession à la vie publique, politique (l'art de l'orateur). La philosophie est à l'origine tournée contre les sophistes et la démocratie ; le philosophe est sectaire, il finit par s'enfermer, hors du monde

Aïe ! J'étais sûr que dès que je tenterai de me référer ici à quoi que ce soit de culturel, je le prendrai en boomerang dans la tête. Bien fait pour moi ! Va pour l'élitisme de la pensée grecque (mieux vaut ne pas dévoiler aussi vite sur ce forum les trous qui me servent de culture)

descriptionDoit-on nécessairement être cultivé pour pratiquer la philosophie ? EmptyRe: Doit-on nécessairement être cultivé pour pratiquer la philosophie ?

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aldolo a écrit:
je me méfie de formules du type : "C'est en comprenant que nos idées sont plus vieilles que nous que nous pouvons commencer à penser". Sans doute qu'on innove peu, mais ce "commencer" est une formulation ambiguë. Difficile de ne pas se poser la question de savoir si vous ne partez pas d'une définition de la philosophie qui ferait forcément système. Je ne vois pas autrement de raison particulière d'envisager un "commencement" à la pensée de quelqu'un. Les gens pensent, au moins quelquefois. Forcés peut-être, peu importe.

La pensée me semble être un processus qui bien souvent se trouve difficile à soutenir, si bien qu'elle est menacée de se figer assez rapidement en son contraire. Commencer, c'est créer une ouverture, une brèche. Mais on retombe souvent sur des habitudes qui n'aident pas. Et la pensée est elle-même instable, motivée aussi bien que minée par le doute, pas seulement pas les pseudo-évidences et illusions. Il est difficile de penser, et peut-être penser n'est-il que cette difficulté même ; un mouvement qui n'en finit pas de se reprendre sans pouvoir saisir sa proie, s'achever, déconcerté par le réel qui résiste ; dialectique négative qui s'arrête net, repart en se nourrissant d'elle-même, etc. Mais d'autres diront peut-être que penser ne consiste qu'à juger, mais je crois qu'atteindre une conclusion demande beaucoup d'efforts. Et il faut commencer par poser le bon problème si l'on veut viser une solution. Solution qui ne nous contente jamais tout à fait...

aldolo a écrit:
... ou peut-être parlez-vous d'un commencement de démarche philosophique ? Mais alors ce serait "penser" qui serait ambigu : en plein dans l'ambiguïté penser / philosopher.

Je dirais que le philosopher est une forme de la pensée, mais que toute philosophie n'est pas une pensée (elle peut toutefois en être un matériau). Je ne suis pas très précis, ce sont des questions compliquées. Nietzsche est un penseur plus qu'un philosophe, parce qu'il accepte la complexité du réel, ses pensées expriment des problèmes vécus et il n'y a pas chez lui de système qui réduirait le problème à peu de chose. Hegel est un philosophe : la Phénoménologie de l'Esprit me semble être le résultat d'une pensée incroyable, mais la systématicité de ses visées finit par lui nuire dans ses ouvrages postérieurs, si bien que l'intelligence trahit le réel. L'intelligence (le raisonnement, la logique) seule ne suffit pas à faire un penseur, laissée à elle-même elle ne mène qu'à l'abstraction (ce qui est séparé de la chose).

aldolo a écrit:
La deuxième, c'est que l'histoire est pleine de contingences et que j'ai des réticences à envisager qu'elle suffise à placer un contexte aux contours aussi nets qu'on puisse et ne puisse que s'appuyer dessus pour expliquer toute chose... d'ailleurs vous ne dites pas autre chose quand vous prenez le contre-exemple de la Shoah pour la qualifier "d'inattendue et d'imprévisible".

Le déterminisme en histoire soulève un problème d'une portée incroyable. L'histoire est création, advenue du nouveau irréductible à ses causes, et pourtant il est aussi l'effet de causes, ou plutôt de raisons. Mais quelles sont-elles ? Je vous renvoie à Castoriadis et également à Jacques Bouveresse (cf. La Voix de l'âme et les chemins de l'esprit - Dix études sur Robert Musil ; il y parle des causes partielles et des causes totales). Pour ma part, je vois simplement (et même si toute la difficulté est là !) qu'on ne peut penser l'événement qu'en posant ensemble sa singularité et un contexte : certes, il n'y est pas réductible, pourtant il ne vient pas tout à fait de nulle part, il prolonge quelque chose qui le rend possible (alors, bien évidemment, le problème de parler de conditions de possibilité est de savoir comment le possible, ou plutôt le virtuel, devient actuel, et l'historien se heurtera toujours à une forme d'hégélianisme consistant en une sorte de déterminisme rétrospectif sous la forme d'un récit).

aldolo a écrit:
Il me semble que la pensée est multiple et qu'il serait bien aléatoire de croire pouvoir en tracer un cheminement aussi simple et clair que ça. Alors l'Histoire, on s'y réfère bien sûr, mais comme une cause parmi d'autres. Ce serait imprudent de prétendre circonscrire toute pensée à une histoire, et carrément de l'ordre du préjugé d'imaginer que cette histoire puisse être linéaire. L'époque, pour reprendre vos termes, n'est certes pas détachée de l'Histoire, mais elle n'en est pas pour autant le "résultat". Le résultat est aussi le fruit de mille autres "histoires" contingentes. Mille facteurs influent sur le contexte de nos pensées, contexte qu'on appelle "réel" (Deleuze parle "d'actuel", c'est bien mieux). L'Histoire est peut-être elle-même plus faites de ruptures que de continuité

Heureusement qu'il y a du devenir, des devenirs même, sinon il n'y aurait jamais de nouveauté, et seulement répétition du même. Mais il serait tout aussi naïf de croire que le penseur (qu'il soit poète ou philosophe) tire ses idées de son génie, de l'inspiration divine, que sais-je encore. Il se nourrit de ce qui est déjà là, il est le représentant de sa société, vit dans un monde structuré par des représentations sociales, etc. Bien sûr, l'individu n'est pas le reflet passif de ces représentations, il ne fait pas que les reproduire. Son expérience personnelle y apporte des modifications, il porte sur elle d'autres perspectives, etc. Et il peut justement créer en s'y opposant, en tentant de s'en écarter, et penser me semble aider à la création puisque c'est aussi critiquer et par là se déprendre de soi-même (comme dirait Foucault), de certains rapports à soi, au monde, etc., qui impliquent savoirs et pouvoirs.

aldolo a écrit:
Je crois que je préfère prendre ça comme un compliment que de tenter de répondre à ce genre de question, que je me pose aussi. La seule idée qui me vienne en tête, c'est que j'échangerais bien malgré tout mes deux barils de philosophie contre un baril de bonheur ! (...)

Je ne suis pas sûr que la philosophie mène au bonheur. Existe-t-il, d'ailleurs ?

aldolo a écrit:
Oui c'est très compliqué l'idée de "démocratiser la philosophie". Très compliqué mais passionnant. Ce qui semble compliqué là-dedans, c'est de comprendre l'indifférence plutôt partagée en ce qui concerne l'idée de penser, alors qu'il semble que tout le monde ait quelque chose à dire, et à redire, sur le monde tel qu'il est, voire tel que chacun se le représente.

C'est un noble combat... qui semble fournir, pour le moment, les armes contre soi. On voulait donner à penser et l'on nourrit l'opinion. Heureusement, les gens n'ont pas besoin de philosophie pour juger et vivre. En matière de philosophie c'est autre chose.

aldolo a écrit:
Le problème vient peut-être du fait que si beaucoup de gens sont peut-être prêts, désireux même de comprendre mieux les choses (comme le montre par exemple le succès de l'université d'Onfray), personne ne semble prêt à abandonner sa vision des choses sans qu'autre chose ne vienne se mettre "à la place"... et si j'ai du mal malgré tout à parler d'un tel "effort de la pensée" qui valoriserait ceux qui sont engagés dans des processus de déconditionnement, je ne peux que faire un constat d'incompréhension envers si peu de... curiosité, persévérance, intérêt, intelligence, imagination ? (j'ai du mal à envisager un mot précis).

Les gens ne cherchent pas la vérité, ils cherchent à se rassurer. Il leur faut donc des bergers pour les garder du mal, de toute complication. Maintenant, je ne pense pas qu'on puisse accuser Michel Onfray de tous les maux : certes, je n'aime pas ses méthodes, ni ses idées (en a-t-il ?), mais il n'est pas le seul responsable de l'état actuel des choses. Il profite simplement (et peut-être pas toujours volontairement) de la faiblesse de personnes qui, me semble-t-il, savent à peu près juger par elles-mêmes mais sont juste lâches, fainéantes, etc., elles cèdent à la facilité et à la paresse. Le Kant de Qu'est-ce que les Lumières ? est encore d'une grande actualité et pertinence (du moins en ce qui concerne son diagnostic). Mais pour le coup, Michel Onfray a certes un parcours singulier (et c'est un passeur qui a certainement certains mérites), il ne fait que servir les intérêts d'une certaine bourgeoisie qui n'attend qu'une justification à son hédonisme valorisé par la société. Le problème de Michel Onfray, me semble-t-il, est d'orienter l'histoire de la philosophie pour servir ses thèses. Au contraire, lire les auteurs permettrait de comprendre comment situer ce philosophe dans le paysage intellectuel français.

aldolo a écrit:
Aïe ! J'étais sûr que dès que je tenterai de me référer ici à quoi que ce soit de culturel, je le prendrai en boomerang dans la tête. Bien fait pour moi ! Ok ok, va pour l'élitisme de la pensée grecque (mieux vaut ne pas dévoiler aussi vite sur ce forum les trous qui me servent de culture)

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